Quand des membres du Gouvernement et des Assemblées se préoccupent de réformer le système de retraites en vigueur dans notre pays, il serait bon qu’ils commencent par mettre à jour leur connaissance du système dit « répartition ».
Retraites : une ignorance désastreuse
Ce système a été instauré en France au cours de l’année 1941, époque malheureuse durant laquelle les responsables de notre pays, vaincu et en grande partie occupé par l’armée allemande, paraient au plus pressé – en l’espèce, limiter le nombre des morts par inanition. Le législateur prit une décision importante : sortir du système de retraites par capitalisation qui avait été mis en place quelques années plus tôt, de façon à pouvoir utiliser les cotisations non pour investir, mais pour éviter aux personnes âgées de mourir de faim. La retraite par capitalisation avait pour mission de constituer d’importantes réserves, en utilisant une très grosse partie des cotisations encaissées pour réaliser des investissements garantissant le paiement des futures pensions lorsqu’elles seraient liquidées ; elle fut remplacée par la « répartition », consistant à distribuer intégralement les rentrées de cotisations aux retraités, sans provisionner les droits à pension accordés aux cotisants.
Le passage de la capitalisation à la répartition
Provisionner de manière massive aurait été une tâche déjà difficile en temps normal ; dans un pays vaincu, occupé et ponctionné par l’occupant, c’était tout simplement impossible. Soucieux de ne pas laisser sans ressources les Français arrivant à l’âge de la retraite, le gouvernement a pris la décision de ne pas constituer les réserves initialement prévues, de façon à pouvoir utiliser la quasi-totalité des cotisations, au fur et à mesure de leur encaissement, à verser les pensions promises. Les pouvoirs publics renonçaient donc à constituer les réserves requises par la formule capitalisation.
A vrai dire, la constitution de telles réserves, exigeant de prélever des sommes énormes (celles destinées au paiement des pensions liquidées, plus celles nécessaires à la constitution de réserves), était impossible dans un pays pressuré par le vainqueur. On ne saurait donc jeter la pierre au gouvernement de Vichy : comme les Français eux-mêmes, il en était réduit à vivre d’expédients. Reste que les mauvaises habitudes se prennent rapidement mais ne se répudient qu’avec grande difficulté. Une fois les troupes ennemies boutées hors du pays, les dirigeants de la France libérée eurent des préoccupations plus urgentes que le retour à la retraite par capitalisation.
La répartition, sorte de souricière dont nous sommes prisonniers
La répartition a fonctionné comme une souricière : il était facile d’y entrer, mais quasiment impossible d’en ressortir. Le passage à la retraite dite « par répartition », consistant à ouvrir des droits à pension future pour chaque franc cotisé et rapidement reversé aux retraités, était bien commode pour nos dirigeants et nos élus. Pas de réserves, si ce n’est de modestes « fonds de caisse », cela pose problème en cas de conjoncture économique défavorable : pour honorer tous les engagements pris en matière de pensions, à défaut de pouvoir utiliser une « poire pour la soif », le système de retraites par répartition est contraint de se tourner vers l’Etat, son inventeur, qui est à même de créer de la monnaie en émettant de la dette publique. Mais il s’agit là d’une sorte de souricière dans laquelle l’Etat se fait piéger.
Certes la souricière est, dans un premier temps, un système assez confortable : tant que l’Etat est en mesure de procéder sans entrave à de la création monétaire, on peut chanter « tout va très bien madame la Marquise ». Simplement, il ne faut pas exagérer. Filou, mais non téméraire, l’Etat français, comme d’ailleurs bon nombre de ses homologues sur notre petite planète, a été dirigé par des personnages assez prudents pour ne pas mettre en péril le fonctionnement sur longue durée de l’énorme système de Ponzi dont il a été le créateur.
Comment s’y est-il pris ? Les retraites par répartition furent basées sur l’accumulation d’une dette publique impossible à rembourser, mais cette dette fut en quelque sorte garantie par le capital humain que constitue la population française. En croyant cotiser « pour sa retraite », le travailleur français paye les pensions de ses anciens ; c’est clairement un « pieux mensonge », mais ce mensonge fait force de loi et fonctionne quasiment à la perfection. Du moins tant que les Français ont envie de se reproduire, car faute de naissances suffisantes on assisterait à un alourdissement difficilement supportable des cotisations soi-disant versées pour préparer les futures pensions des cotisants, mais en réalité utilisées selon la formule « pay-as-you-go » pour payer les retraites déjà liquidées.
Un mensonge qui marche si bien !
La retraite par répartition a beau reposer sur le mensonge qui vient d’être décrit, elle ne marche pas mal ! Après tout, n’en déplaise aux moralistes, il peut être efficace d’ériger en loi un mensonge énorme, si gros qu’il est impossible de l’éradiquer, dès lors qu’en y croyant, ou en faisant semblant d’y croire, ou en s’abstenant de se poser la question, on permet au système de fonctionner efficacement. C’est ce qui permet au système français de retraites par répartition, comme à bien d’autres, de continuer à fonctionner. « Nous sommes en présence d’un mensonge vraiment trop énorme pour être dénoncé officiellement, en raison des cataclysmes qui résulteraient d’une telle dénonciation », pensent probablement les rares hommes politiques de haut niveau qui ont compris comment fonctionnent véritablement nos retraites « par répartition ».
La vérité serait préférable à ce dangereux mensonge
Alors, le mieux ne serait-il pas de ne rien dire ? Puisque le mensonge fait efficacement fonctionner le système, pourquoi prendre le risque de le remplacer ? Si tentant que soit ce cynisme, je crois utile de choisir plutôt le chemin de la vérité. Pour une double raison, l’une morale et l’autre pragmatique.
Premièrement, le recours au mensonge à grande échelle qui est au cœur même de la retraite par répartition est immoral, non seulement parce qu’il camoufle une vérité (les retraites reposent sur la natalité) que les citoyens ont le droit de connaître, mais aussi parce qu’il pénalise gravement ceux et celles qui contribuent le plus au renouvellement des générations. En dépit de certaines dispositions favorable aux pères et mères de famille nombreuse, il reste nettement préférable, du point de vue du niveau de vie, de ne pas avoir beaucoup d’enfants, voire pas un seul.
Deuxièmement, au niveau individuel le comportement efficace pour avoir une bonne pension de retraite n’est pas d’avoir des enfants et de leur donner une bonne éducation, c’est de privilégier l’activité professionnelle, puisque la pension est calculée sur la base des rémunérations perçues, auxquelles les cotisations vieillesse (qui ouvrent les droits à pension) sont proportionnelles. Les personnes qui ne participent que peu ou pas à l’investissement démographique sont ainsi privilégiées, au niveau des pensions, par rapport à celles qui mettent au monde et élèvent davantage d’enfants.
Il ne s’agit certes pas de leur jeter la pierre : combien de personnes sont malheureuses de ne pas avoir eu les enfants qu’elles auraient voulu avoir ! Mais la conséquence, nous l’avons sous les yeux : des taux de natalité trop faibles dans les pays développés. Homo sapiens n’est pas un être totalement et angéliquement altruiste : si, pour un couple, mettre au monde des enfants, les entretenir et les éduquer de son mieux, se traduit par une forte diminution du niveau de vie, en activité puis à la retraite, il vient au monde moins d’enfants qu’il ne serait souhaitable.
Conclusion : arrêtons de scier la branche sur laquelle nous sommes assis
Il serait donc très bénéfique pour l’avenir de l’humanité que l’on prenne conscience du fait que les retraites dites « par répartition » dépendent de la natalité et de la bonne formation des enfants et des jeunes. Nos législations sociales qui pénalisent les familles fécondes en omettant de reconnaître leur apport en matière de retraites scient la branche sur laquelle nous sommes assis. Notre droit social est perverti ; le mensonge institutionnel actuel relatif à l’acquisition de droits à pension est une sorte de lèpre qui ronge la plupart des pays développés. Même si, heureusement, la France n’est pas, et de loin, le plus malthusien des Etats, elle serait bien avisée de réaliser un aggiornamento législatif de grande ampleur pour reconnaître le service rendu par celles et ceux qui contribuent à éviter son effondrement démographique et le « grand remplacement » qu’il provoquerait.