Le drame des retraites, en France – mais aussi dans bon nombre d’autres pays – est l’incompétence des personnes qui en ont établi le mode de fonctionnement. Voilà, direz-vous, ami lecteur, une bien grave affirmation ! Et pourtant, comme vous allez le voir, c’est la vérité, la triste réalité.
Retraites et capital humain
Notre législation des retraites offense le bon sens et trompe les assurés sociaux
Les actifs obtiennent des droits, sous forme de points (régimes complémentaires) ou d’annuités (régime général et régime des fonctionnaires) au prorata des cotisations qu’ils versent. Or, lesdites cotisations ne servent nullement à préparer les pensions auxquelles le droit est ainsi ouvert : dans le régime général elles sont immédiatement utilisées pour payer les pensions dues aux « seniors », et il n’en reste pas grand-chose, si ce n’est rien du tout, pour constituer des « réserves » grâce auxquelles des pensions pourraient être ultérieurement versées aux anciens travailleurs.
La formule dite « retraite par répartition » consiste à octroyer des droits à pension aux travailleurs parce qu’ils payent les cotisations grâce auxquelles les caisses de retraite versent aujourd’hui les pensions. Une telle législation fait litière de la réalité : en effet, les pensions futures ne seront pas versées grâce aux cotisations payées des années ou dizaines d’années plus tôt, ce qui impliquerait qu’elles aient été mises en réserve, mais en utilisant les cotisations tout juste rentrées, conformément à la formule « pay-as-you-go ». Le droit et la réalité font le grand écart : en réalité les cotisations ne sont ni épargnées ni investies ; elles sont dépensées rapidement après leur perception pour honorer les promesses de pensions arrivées à échéance.
Le législateur a donc inventé, bien avant le président Macron, le « en même temps », formule magique qui consiste, dans le cas des retraites, à comptabiliser deux fois la même somme. La cotisation versée un jour J est dépensée le jour même de son encaissement, ou très peu après, mais elle engendre en quelque sorte un double, elle bénéficie d’une sorte de deuxième vie, laquelle ouvre un droit à pension au bénéfice de l’assuré social qui a payé la cotisation.
La duplication des cotisations vieillesse pollue totalement le droit de l’assurance vieillesse
Un régime de retraites dépend inévitablement des investissements réalisés. Dans le cas de l’assurance vieillesse française – comme de la plupart de ses homologues – l’investissement s’effectue principalement en capital humain. Cela devrait être bien connu du fait qu’Alfred Sauvy, le fondateur de la discipline démographique en France, a maintes fois expliqué que « nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisations, mais par nos enfants ». Concrètement, c’est la mise au monde des enfants et l’éducation dont ils bénéficient qui préparent les futures pensions. L’investissement dans les êtres humains est le plus important de tous les investissements – mais les législateurs de nombreux pays, dont la France, n’ont pas compris que les retraites dépendent essentiellement de cet investissement. La plupart sont passés à côté de la réalité, pourtant toute simple, qui s’énonce ainsi : pour que les actifs d’aujourd’hui aient demain des retraites conséquentes, il faut qu’ils aient mis au monde et formé correctement un nombre suffisant de nouveaux êtres humains.
Quand on a compris cette réalité, la législation des retraites dites « par répartition » apparaît comme une monumentale ineptie juridique et administrative. L’apport effectué par les personnes qui engendrent des enfants et financent leur formation est en effet, sinon totalement nié, du moins très fortement sous-estimé, s’agissant de l’attribution des droits à pension. Ceci pour attribuer sans raison valable de tels droits aux personnes qui versent des cotisations destinées, non pas à investir dans la jeunesse, sur laquelle repose pourtant complétement le sort des futurs retraités, mais à prendre soin des retraités actuels. Bien entendu, il faut entretenir les personnes âgées, mais cela serait clairement impossible si, globalement, elles n’avaient pas, durant vingt à quarante années, investi dans la jeunesse, en mettant au monde des enfants, en les entretenant et en les éduquant.
Une incroyable confusion intellectuelle
Curieusement, les législateurs n’ont pas réalisé quels sont le rôle et la signification économique des cotisations vieillesse. Comment ces personnes réputées être sensées ont-elles pu accepter, et même décider, que la Sécurité sociale, ou un organisme équivalent, attribue des droits à pension en raison et au prorata, non pas des investissements réalisés dans la jeunesse, mais des sommes versées au bénéfice des retraités ?
Que des cotisations produisent des droits à pension est tout-à-fait normal si lesdites cotisations servent à investir dans la jeunesse : on sème, puis on récolte. Mais nous sommes conduits à constater, si incroyable cela soit-il, que des personnes réputées sensées, et parfois titulaires de diplômes attestant en principe un niveau élevé de connaissances économiques, acceptent benoîtement de considérer des remboursements de dettes (les cotisations vieillesse) comme devant produire de nouveaux droits. Quand la sagesse des nations proclame « qui paye ses dettes s’enrichit », elle n’entérine quand même pas l’idée saugrenue selon laquelle le débiteur qui rembourse 100 € deviendrait ipso facto créancier de cette somme !
Il est utile de se rappeler ici le conte d’Andersen intitulé « Le roi est nu ». Des courtisans à l’esprit tordu peuvent certes affirmer que le roi, en fait « dans le plus simple appareil », est vêtu d’une tunique arachnéenne, mais un jeune garçon plein de bon sens se refuse à nier l’évidence. Des politiciens ignares peuvent certes inscrire dans la loi que les cotisations reversées aux personnes âgées sous le nom de pensions constituent un investissement préparant la retraite des actuels actifs, la réalité n’en est pas moins totalement différente : les cotisations vieillesse constituent tout bonnement une sorte de remboursement de ce que les adultes dans la force de l’âge doivent à leurs aînés, à commencer par leur venue au monde et leur formation ! Il ne faut pas se fier aux élucubrations qui font passer pour des investissements les cotisations par lesquelles les actifs entretiennent leurs aînés retraités. Ces cotisations ne servent pas à préparer la production future, elles se bornent à organiser le remboursent de l’investissement antérieurement réalisé par leurs aînés pour qu’ils deviennent réellement des actifs productifs.
Comment sortir de notre enlisement dans un système de retraites pré-copernicien ?
Nous devrions être disciples de Copernic, cet homme de science qui a compris au seizième siècle que le soleil ne tourne pas autour de la terre, comme on pourrait le croire en l’absence de raisonnement solide et d’observation minutieuse, mais l’inverse : la terre tourne autour du soleil. Nos retraites dites « par répartition » appartiennent à une époque pré copernicienne ; il est temps d’acter le fait que les cotisations vieillesse ne constituent en rien un investissement, ne justifient en rien une attribution de droits à pension, de même que la terre ne constitue en rien le centre du système solaire. Cette responsabilité incombe au législateur pour ce qui relève des principes, et à un comité de direction du système de retraites par capitalisation humaine pour les modalités pratiques.
Concrètement, les droits à pension devraient être obtenus au prorata de la contribution apportée à l’investissement dans le capital humain. Les parents obtiendraient des points de retraite en raison de leur contribution à l’investissement dans les futurs cotisants. Et tous les adultes pourraient en obtenir en finançant l’investissement dans la jeunesse. L’Education nationale et les autres organismes de formation ne seraient plus financés par des impôts, ce qui est économiquement ridicule, mais par des cotisations productrices de droits à pension. Certaines personnes, ayant une famille nombreuse, obtiendraient des droits à pension principalement au titre de leur apport « en nature » ; d’autres, n’ayant pas d’enfant, compteraient complétement sur le versement de cotisations destinées à financer les diverses formes non spécifiquement familiales d’investissement dans le capital humain, à commencer par les formations scolaires, universitaires et professionnelles. Les parents d’un enfant unique obtiendraient une partie de leurs droits à pension du fait de leur investissement dans cet enfant, et une autre au titre de leurs contributions à la formation de l’ensemble des enfants et des jeunes. La France sortirait de cette sorte de préhistoire économique dans laquelle elle est actuellement enlisée - comme la plupart des pays - faute d’une attention suffisante apportée à l’investissement dans le capital humain.
Ainsi l’analyse critique de nos systèmes de retraite devrait-elle nous conduire à un aggiornamento radical de nos conceptions, de nos institutions et de nos pratiques dans le domaine des retraites, et par ricochet dans certains autres secteurs. Le bon usage de la notion de capital humain est ce dont nous avons besoin pour sortir de l’enlisement actuel dans des systèmes juridiques et administratifs bécassons, dont le droit des pensions est un exemple particulièrement frappant. Le bon usage de la notion de capital humain est un enjeu … CAPITAL !