Toute retraite sérieuse fonctionne par capitalisation

Une branche particulièrement importante du capital, c’est-à-dire de ce qui permet de produire et donc de pourvoir à nos besoins et de réaliser une partie au moins de nos désirs, c’est le capital humain.

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Par Jacques Bichot Modifié le 24 mars 2023 à 13h30
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Toute retraite sérieuse fonctionne par capitalisation - © Economie Matin
20%Les retraités représentent 20% de la population française.

L’homme n’est certes pas qu’un facteur de production, mais il en est un, et le plus important de tous. Nous pouvons rêver d’un monde dans lequel les êtres humains pourraient vivre confortablement sans avoir besoin de travailler, mais nous ne pouvons pas faire de ce rêve une réalité.

Qu’une partie de plus en plus importante des biens et services soient produits par des systèmes automatisés ne signifie pas que l’homme ait cessé d’être le facteur de production principal. Simplement, le travail humain sert moins à la production directe, et davantage à l’organisation de l’ensemble des machines et robots. Au lieu de transporter les marchandises à dos d’homme, nous utilisons des camions, et nous automatisons une part de plus en plus grande de la fabrication des dits camions, mais il n’empêche que sans le travail des ingénieurs, des techniciens et des ouvriers il ne sortirait rien des chaînes de production, pour la bonne et simple raison que ces chaînes n’existeraient pas. La complémentarité du capital et du travail est la base même de notre prospérité.

Capital humain et capital physique

Trois facteurs de production sont indispensables : les hommes, dans leur dimension homo faber, les instruments et installations, les techniques et connaissances. Ces facteurs sont largement entremêlés : sans connaissances, nous ne disposerions ni de techniques ni d’outils, au sens large du terme – par exemple, un réseau de voies de communication constitue un outil. Nous allons ici nous intéresser particulièrement au capital, au sens large du terme : ensemble des moyens de production dont nous disposons. Le langage, par exemple, est un capital, car sans moyens de raisonner, de calculer, et de communiquer entre eux, comment les hommes organiseraient-ils leur activité productive ? Il s’agit évidemment d’un capital humain, qui se distingue du capital physique qu’est un outil ou un bâtiment. Ce capital humain est produit par la mise au monde des enfants, par leur éducation et leur entretien. Son évaluation monétaire n’a pas grande signification si on songe à une sorte de prix d’achat ; en revanche, elle est fort utile pour comprendre et influencer le fonctionnement économique de nos sociétés, puisque ce qui n’est pas estimé monétairement est souvent négligé.

L’importance du capital humain a été soulignée par l’économiste américain Gary Becker, qui a élargi la notion de capital culturel formulée antérieurement par le français Durkheim. Retenons sa formulation : « ensemble des compétences et de l’expérience accumulées qui ont pour effet de rendre les travailleurs plus productifs ».

Le capital humain est une notion qui peut être utilisée soit de manière individualisante (les capacités de telle personne), soit de manière collective (la « force de travail » d’un ensemble de personnes). Le chiffrement monétaire de ce capital est une gageure : comment, par exemple, apprécier monétairement les talents d’un artiste ou la valeur d’une année d’études supplémentaires ? Néanmoins, il est utile de se livrer à des estimations, notamment pour la comptabilité nationale, parce que le refus de chiffrer le coût de production du capital humain et sa participation à la formation du PIB – le célèbre Produit Intérieur Brut - conduit à exclure du raisonnement économique un facteur de toute première importance. Le capital physique (bâtiments, machines, voies de communication, etc.) est certes un facteur très important, mais le capital humain l’est tout autant et même davantage : Des hommes intelligents et travailleurs peuvent tirer beaucoup d’une nature en apparence ingrate, tandis que des paresseux ignares vivront misérablement même dans un environnement qui leur offre d’immenses possibilités.

Retraites et capitaux

Revenons à l’organisation des systèmes de retraite. « Vivre de ses rentes » consiste évidemment à recourir à un capital, qu’il soit classique (actions, obligations, biens immobiliers) ou humain. Or le capital classique est relativement modeste en comparaison du capital humain – de l’ordre de la moitié. Il est donc normal que les retraites dites « par répartition », formule ambiguë qui désigne en fait le recours au capital humain, soient nettement supérieures, globalement, aux retraites dites « par capitalisation ». Grosso modo, les proportions logiques sont d’un tiers pour la capitalisation classique et deux tiers pour la capitalisation humaine. Mais comment organiser cela concrètement ?

La capitalisation classique ne pose pas de problème théorique : le travailleur consacre une partie de ses revenus à se doter d’une sorte d’épargne à très long terme qui, une fois constituée, lui fournira une rente viagère. Cette formule permet d’avoir recours à plusieurs organismes de capitalisation, de manière à minimiser les risques en recourant à la formule classique : ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier.

La capitalisation humaine, fondée sur la mise au monde et la formation des futurs travailleurs, répond partiellement à ce souci : les fonds qui investiraient principalement dans la mise au monde et la formation des futurs travailleurs pratiqueraient automatiquement une diversification très importante, dès lors que chacun d’eux regrouperait un très vaste ensemble d’individus, tel que la population d’un pays dans son ensemble.

Les systèmes publics de retraite, appuyés sur une législation rendant obligatoires les cotisations nécessaires au financement de l’investissement dans le capital humain constituent clairement la formule la plus naturelle et la plus efficace pour les régimes « de base ». En sus de ceux-ci, des fonds de pension pratiquant des investissements classiques permettraient aux citoyens de disposer de retraites complémentaires jouant un rôle essentiel dans le financement des investissements dans l’immobilier et les entreprises classiques. La France, ou tout autre pays adoptant un tel système, bénéficierait d’un double avantage : une couverture « de base » intrinsèquement liée à la démographie et une couverture complémentaire totalement financée en capitalisation. Nous aurions enfin des retraites complémentaires pratiquant un investissement massif classique propice au développement des entreprises, et une retraite « de base » fondée sur l’investissement en capital humain, formule éminemment favorable à l’indispensable remontée de la natalité.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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