Energie : repenser les tours et turbines des éoliennes

Des conceptions et des matériaux inédits peuvent rendre une importante source d’énergie renouvelable plus respectueuse de l’environnement et plus économique.

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Par Horizon Publié le 17 avril 2024 à 5h00
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production, énergie, éolienne, innovation, matériau, bois, acier - © Economie Matin
16%L’énergie éolienne s’est développée rapidement dans toute l’Europe ces dernières années et a satisfait 16 % des besoins en électricité de l’UE en 2022

Au premier abord, l’éolienne qui surplombe la nature verdoyante de la ville de Skara, en Suède, ressemble à toutes les autres. Sa tour de 105 mètres supporte les trois habituelles pales rotatives. 

Mais contrairement à la plupart des tours d’éoliennes, celle-ci est en bois et non en acier. Cette première installation commerciale de la société d’ingénierie suédoise Modvion pourrait présager de l’avenir de l’énergie éolienne. 

Un mât en bois

En matière d’énergie renouvelable, du bois peut être utilisé pour fabriquer le mât des éoliennes et les rendre plus respectueuses de l’environnement. 

Le bois peut aussi contribuer à réduire le coût des éoliennes tout en les rendant plus puissantes, un atout financier qui viendrait s’ajouter à leurs avantages environnementaux, d’après Otto Lundman, PDG de Modvion.

«Les tours en bois sont plus légères, plus modulaires et peuvent avoir une hauteur supérieure à celle de leurs équivalents en acier», a expliqué M. Lundman.

Modvion a bénéficié d’un financement de l'UE pour se rapprocher de son objectif qui était de mettre au point des éoliennes en bois à haute altitude. Le projet s'est déroulé d'octobre 2020 à septembre 2023. 

La tour de l’éolienne de Skara est issue de ce projet. Le bois lamellé-collé dont elle est constituée provient de l’usine Modvion de Göteborg située à environ 130 kilomètres au sud-ouest. 

Sa construction a pris environ un an et elle a commencé à être exploitée par la compagnie d'électricité suédoise Varberg Energi en février 2024. La société danoise Vestas a fourni la turbine. 

«Construire et concevoir des mâts tels que celui-ci nécessite des investissements conséquents», a précisé M. Lundman. «Le financement de l'UE a joué un rôle déterminant puisqu’il nous a donné les moyens de développer cette technologie.»

Une technologie en plein essor

L’énergie éolienne s’est développée rapidement dans toute l’Europe ces dernières années et a satisfait 16 % des besoins en électricité de l’UE en 2022. En 2021, elle représentait aussi 37 % de l’électricité produite à partir de sources renouvelables dans l’UE. 

Les nouvelles infrastructures éoliennes construites en Europe en 2023 ont permis de générer la puissance record de 17 gigawatts, d’après l'association industrielle WindEurope.

Toutefois, l’énergie éolienne doit se développer encore plus pour que l’UE puisse espérer atteindre ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 55 % à l’horizon 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Il faudra aussi faire grimper la part de marché des énergies renouvelables à 42,5 % d’ici la fin de la décennie, contre environ 23 % actuellement.

Pour que ces objectifs deviennent plus facilement réalisables, il faudrait produire 30 gigawatts d’énergie éolienne supplémentaires par an jusqu’en 2030.

Les travaux scientifiques menés dans ce domaine sont encouragés par le fait que certains acteurs du secteur industriel sont convaincus que de nouvelles conceptions capables d’augmenter la rentabilité des éoliennes sont nécessaires.

«Petit à petit, le secteur de l'énergie éolienne est parvenu à réduire le coût de l'énergie au cours des dernières décennies», a déclaré le docteur James Carroll, professeur agrégé à l'Université de Strathclyde au Royaume-Uni. «Il devient toutefois de plus en plus difficile de réduire les coûts des éoliennes traditionnelles. C’est pourquoi nous devons rechercher des améliorations plus radicales.»

De multiples avantages

C’est à ce niveau que la tour d’éolienne en bois de Modvion devient particulièrement intéressante, pour trois raisons financières non négligeables.

L’une de ces raisons est liée à sa résistance. Le bois de placage stratifié utilisé par Modvion est 55 % plus résistant, pour son poids, que l'acier traditionnellement utilisé dans les tours d'éoliennes, selon l'entreprise.

Modvion appelle son bois d’ingénierie «la fibre de carbone de la nature».

Celui-ci est aussi avantageux pour des raisons de poids. Le poids d’un mât en bois est 33 % inférieur à celui de son équivalent en acier. Il est donc plus facilement transportable.

Puis il y a la hauteur. Grâce à la résistance et aux avantages offerts par le bois en termes de transport, Modvion veut construire des mâts plus hauts.

«Plus vous prenez de la hauteur, plus il y a de vent», a expliqué M. Lundman.

Des bases plus larges

Pour comprendre le défi technique présenté par les tours, il faut savoir qu’elles ont la forme d’un cône inversé: elles sont plus larges en bas et plus étroites en haut. Plus la tour est haute, plus sa base doit être large. 

Jusqu’à présent, pour gagner en hauteur, on empilait des cylindres en acier les uns sur les autres. Mais au-delà d'une certaine hauteur, il devient quasiment impossible de transporter les cylindres de base sur les routes en raison de leur taille et de leur poids. 

En revanche, une tour en bois est faite de panneaux en forme de C, collés ensemble pour former un cylindre. Sa construction est plus modulaire et le transport de ses parties plus simple: un peu comme le serait une tour d’éolienne IKEA. 

Selon M. Lundman, l'utilisation de structures en acier modulaires similaires serait inefficace car elles devraient être boulonnées ensemble, ce qui augmenterait considérablement leur coût.

Lutter contre le réchauffement climatique

Les avantages du bois ne sont pas seulement économiques, ils sont aussi environnementaux. 

Le bois est meilleur pour le climat que l'acier. La production d’acier consomme beaucoup d’énergie et utilise des combustibles fossiles qui émettent des gaz à effet de serre. 

«En passant d'une tour en acier à une tour en bois, on réduit les émissions induites par la production de 90 %», a déclaré M. Lundman.

Les forêts stockant d’importantes quantités de carbone, Modvion s'approvisionne en bois dans des forêts scandinaves gérées durablement. Les mâts construits par l’entreprise peuvent aussi être recyclés après leur déclassement, un autre avantage en matière de protection de l’environnement.

Grâce au financement de l’UE, Modvion s’est fixé pour priorité d’augmenter la production.

«Des tours en bois comme celle-ci n'ont jamais été produites à l'échelle industrielle», a déclaré M. Lundman. «Nous avons par exemple dû fabriquer nous-mêmes les machines dont nous avions besoin pour assembler les lames de bois. Il n’en existait tout simplement pas dans ces tailles.»

Il a expliqué que Modvion avait pour objectif de créer d’ici 2027 une usine permettant de produire des tours d’éolienne en plus grand volume. Le but est d’approvisionner 10 % du marché mondial de l’énergie éolienne d’ici dix ans. 

Essai de turbines

Les travaux réalisés sur la prochaine génération d’équipements éoliens ne concernent pas seulement les tours mais aussi les turbines.

Un autre projet financé par l'UE s’est attaché à repenser la conception et le fonctionnement d’une éolienne. 

Intitulé XROTOR, le projet a examiné la faisabilité d'une turbine à axe vertical combinée à des rotors secondaires à axe horizontal au lieu de l’habituel axe horizontal. Une turbine à axe vertical tourne autour de sa tour. 

«L'idée m’est venue il y a plus de 10 ans», a déclaré William Leithead, professeur de systèmes et de contrôle à l'Université de Strathclyde. «J'ai constaté que les éoliennes à axe vertical dépourvues de rotors secondaires ne pouvaient tout simplement pas être efficaces sur le plan économique. J’ai donc commencé à chercher une solution à ce problème.»

MM. Leithead et Carroll dirigent le projet XROTOR, qui devrait prendre fin en avril 2024 après trois ans et quatre mois de travaux.

Les éoliennes à axe vertical peuvent être positionnées plus près les unes des autres mais cela présente un inconvénient majeur puisque leurs pales tournent plus lentement. Ceci augmente l’entraînement de la turbine, la taille du train et le coût de l’énergie générée, et affaiblit les arguments économiques en faveur d’une conception de ce type. 

«Fondamentalement, les tours coûtent trop cher pour l’énergie qu’elles produisent», a déclaré M. Leithead.

Un rotor en forme de X

Pour remédier à ce problème, les chercheurs du projet XROTOR ont adapté le concept. Ils ont conçu une turbine à axe vertical équipée d’un rotor principal en forme de X doté de turbines plus petites présentant un axe horizontal aux extrémités. 

Les rotors secondaires tournent très vite et produisent l'énergie de la turbine. Cette conception pourrait combiner les avantages des turbines à axe vertical et de leurs équivalents à axe horizontal. 

«Ces éoliennes peuvent être positionnées plus près les unes des autres au large des côtes», a déclaré M. Leithead. «Les éoliennes traditionnelles produisent un sillage dû au vent. On ne peut donc pas les rapprocher trop, sinon leurs performances diminuent.»

Les parcs éoliens sont de plus en plus éloignés des côtes pour disposer d’un espace suffisant. Les coûts s’en trouvent augmentés car les éoliennes doivent être plus résistantes aux conditions météorologiques extrêmes et nécessitent un câblage plus important. 

Si les éoliennes pouvaient être rapprochées les unes des autres, davantage d’électricité pourrait être produite plus près du rivage.

«L'impact pourrait être considérable», a déclaré M. Leithead. «Nous tablons ici sur une économie de 20 % par rapport à des turbines à axe horizontal de taille comparable.»

Bien qu'il ait fait l'objet de simulations, le nouveau concept n'a pas encore été construit et testé en environnement réel. Par conséquent, ses avantages potentiels doivent encore être prouvés.

M. Leithead et son équipe se préparent à partager les résultats du projet XROTOR et à chercher un financement de suivi auprès d'investisseurs privés et publics.

«Il faudra au moins quatre ans, et probablement plus, pour que ce concept soit utilisé en conditions réelles», a ajouté M. Leithead. «C’est une idée radicalement nouvelle, mais c’est ce qui rend la recherche si intéressante.»

Les recherches présentées dans le cadre de cet article ont été financées par le biais du programme Horizon de l’UE, via le Conseil européen de la recherche (CER) dans le cas de Modvion. Les opinions des personnes interrogées ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission européenne.

Plus d’infos

Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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