Face à l’ambition de renforcer son parc nucléaire, la France se confronte à des défis économiques majeurs. Le projet de construction de six nouveaux réacteurs EPR2, évalué par la Cour des comptes, souligne une série d’incertitudes qui menacent sa viabilité financière et opérationnelle.
Relance du nucléaire : de nombreux « risques » et « incertitudes » selon la Cour des comptes
Les surcoûts de la construction des EPR2
La construction des réacteurs nucléaires EPR2 s'accompagne d'un voile d'incertitude quant à leur rentabilité future. La Cour des comptes souligne que le manque de clarté sur les coûts et les bénéfices attendus rend difficile la justification d'une telle entreprise. Cet aspect préoccupe d'autant plus que l'État, actionnaire majoritaire d'EDF, risque de supporter le poids des éventuels échecs financiers. Les enjeux opérationnels ne sont pas en reste. Après les retards et les dépassements budgétaires du projet Flamanville 3, les doutes persistent quant à la capacité de l'industrie nucléaire française à mener à bien la construction des EPR2.
Ces complexités soulignent notamment les difficultés techniques et les défis de gestion qui pourraient entraver l'avancement des nouveaux projets. Depuis plusieurs mois, le développement des EPR2 stagne, avec EDF et l'État rejette chacun la responsabilité sur l’autre concernant le manque d'un devis définitif. EDF sollicite des assurances financières de la part de l'État, qui de son côté, souhaite une meilleure transparence sur les coûts anticipés par EDF avant de prendre un engagement formel.
Les conséquences d’un investissement risqué
L'État, en sa qualité d'actionnaire principal d'EDF, se retrouve à la croisée des chemins. Entre fournir des garanties de financement et contrôler les dépenses, il doit naviguer dans un contexte de responsabilité financière accrue. « L'accumulation de risques et de contraintes pourrait conduire à un échec du programme EPR2 », ont indiqué les sages de la rue Cambon dans des propos rapportés par Les Echos. La décision de s'engager davantage est suspendue à une évaluation plus rigoureuse des coûts prévisionnels.
Investir dans les EPR2, sans une estimation claire des coûts, pourrait se traduire par des pertes substantielles pour les finances publiques. La prudence suggère d'attendre une meilleure définition des paramètres financiers avant de procéder à des engagements concrets. Cette approche permettrait de limiter les risques pour le budget de l'État. « La rentabilité prévisionnelle du programme EPR2 reste, à ce stade, inconnue », a d'ailleurs souligné la Cour des comptes.
En attente de clarté sur les EPR2
Bien que le « basic design » ait été achevé en 2024, la décision finale concernant l'investissement dans le programme des réacteurs EPR2 devrait être différée jusqu'à ce que deux conditions soient remplies : premièrement, que le financement du programme soit pleinement assuré et sécurisé, et deuxièmement, que les études de conception détaillées progressent et soient en adéquation avec les objectifs fixés pour le début de la construction concrète, désigné ici comme le « jalon du premier béton nucléaire ».
« Je rejoins pleinement cette première recommandation », a déclaré Luc Rémont, le PDG d'EDF, dans sa réponse à la Cour des comptes. La décision finale sur le financement des EPR2 par EDF et l'État actionnaire n'est pas prévue avant 2026 et dépendra de l'approbation de l'Union européenne sur les aides publiques proposées. Une fois ces aides publiques définies, il faudra encore au moins un an pour obtenir l'approbation de la Commission européenne, un processus qui pourrait prolonger encore les délais prévus.
100.000 emplois potentiellement créés dans la filière du nucléaire
Une réorganisation interne des activités nucléaires chez EDF a été initiée pour mieux répondre aux exigences du projet. Cependant, cette transformation n'est pas encore achevée, et ses résultats restent à prouver. La Cour des comptes appelle à une clarification des responsabilités pour éviter les erreurs passées.
Au-delà des aspects financiers et opérationnels, le projet EPR2 a des implications profondes pour le marché du travail et le tissu industriel français. Avec la création potentielle de 100.000 emplois d’ici à 2033, l'enjeu est aussi social et économique. Le succès de ces projets pourrait revitaliser de nombreux secteurs d'activité liés à l'énergie nucléaire.
Des engagements à l'étranger plus risqués
Alors que EDF explore des opportunités internationales, la Cour des comptes recommande de ne pas négliger les projets domestiques au profit de ces aventures étrangères. Les engagements financiers à l'international doivent être évalués avec soin pour éviter de compromettre les ressources nécessaires au succès des EPR2 en France. « Peu de nouveaux projets internationaux ont été lancés et aucun n'est arrivé au stade de la décision d'investissement », a déclaré la Cour des comptes. Le rapport recommande de veiller à ce que les projets internationaux d'EDF dans le nucléaire soient profitables et n'entravent pas le calendrier des EPR2 en France.
Toutefois, EDF est en désaccord avec ce point. Pour Luc Rémont, investir dans des projets internationaux est « pertinent et il ne faudrait pas qu'EDF, et plus largement la filière nucléaire française, se privent d'opportunités à l'export dans le domaine des réacteurs de grande puissance et des petits réacteurs modulaires, qui peuvent revêtir une dimension industrielle autant que stratégique ». Les déboires dans des projets comme celui de Hinkley Point C au Royaume-Uni montrent les difficultés de gérer des projets d'une telle envergure loin du territoire national. La Cour a d'ailleurs préconisé de « ne pas approuver une décision finale d'investissement d'EDF » pour le projet Sizewell C au Royaume-Uni, « avant l'obtention d'une réduction significative de son exposition financière dans Hinkley Point C ».
Le rapport révise également le coût total du réacteur de Flamanville 3, qui est maintenant évalué à environ 23,7 milliards d'euros, en prenant en compte les intérêts. Cela représente une augmentation de 4,6 milliards d'euros par rapport à l'estimation précédente de la Cour des comptes en 2020. D'après ces chiffres, la rentabilité de Flamanville 3 est jugée faible, se situant en dessous du coût moyen pondéré du capital de l'entreprise.
La plus récente estimation des coûts pour trois paires de réacteurs EPR2, faite à la fin de 2023 et augmentée de 30%, se chiffrait à 67,4 milliards d'euros, basée sur les valeurs de 2022. Ce montant représente déjà une somme provisoire de 79,9 milliards d'euros pour l'année 2023, selon ce que mentionne le rapport.