Pénuries : Quand tout vient à manquer – Vive les supermarchés ! (extrait)

Nous sommes tous familiers de ces espaces singuliers dans lesquels des milliers de produits s’amoncèlent, bien rangés dans différents rayons thématiques. À tel point qu’il est quasi impossible de se procurer autant de biens en dehors de ces temples de la consommation. Mais qui s’est déjà posé la question de l’organisation et de la logistique que ces supermarchés requièrent ? Ou celle des risques et des conséquences pouvant survenir en cas de rupture d’approvisionnement ? Certes, quelques événements ponctuels peuvent nous faire prendre conscience de la fragilité de ce modèle en cas de perturbation, voire de simples rumeurs. On a tous en tête les images de hordes de clients se ruant vers le papier toilette ou les pâtes lors des confinements liés au Covid-19. Ou le même genre de scènes à la suite de ristournes sur certains produits tels qu’une célèbre pâte à tartiner. Mais une fois ces événements passés, la plupart d’entre nous retournent tranquillement faire leurs courses avec une facilité déconcertante.

Pourtant, le magasin n’est en réalité que la dernière étape d’une longue chaîne d’approvisionnement (supply chain), composée de producteurs et d’entrepôts souvent situés à des centaines, voire des milliers de kilomètres les uns des autres. Ces supply chains, quelle que soit leur échelle d’existence, fonctionnent pour l’essentiel en étoile avec comme principe de base la concentration des activités de même nature. Tout part d’un endroit où l’on centralise la production d’une matière première et d’où les ressources extraites vont être acheminées vers des centres de transformations (usines de fabrication, d’assemblage, d’emballage, etc.). Chacune de ces unités va ensuite envoyer sa production vers des centres de tri ou de stockage (parfois en passant par d’autres étapes de transformation ou d’assemblage).

Matérialisés sous la forme de gigantesques hangars souvent situés à proximité des axes autoroutiers, ces centres de logistique occupent, rien que pour la France, une surface de plus de 80 millions de mètres carrés et emploient pas moins de 13 % de la population ouvrière du pays (soit 700 000 personnes).

Ces entrepôts vont à leur tour expédier l’ensemble des biens stockés soit directement aux consommateurs (via le commerce en ligne), soit via les grandes surfaces, lesquelles constitueront le coeur de la dernière étoile (ses branches étant les clients rapportant leurs achats à leur domicile). Nous reviendrons sur les premiers maillons de la supply chain mais, en ce qui concerne ces dernières étapes (entreposage et consommation), bénéficier de produits en permanence et en abondance implique des va-et-vient de camions quasi quotidiens, sans quoi l’existence même du supermarché serait compromise. Pour s’en convaincre, il suffit de voir à quelle vitesse certains rayons se vident à la suite de perturbations d’approvisionnement (grève, aléa climatique, accident, etc.) ou même de simples phénomènes de panique chez des consommateurs désirant faire des réserves.

Ainsi, dans leur immense majorité, les supermarchés sont approvisionnés plusieurs fois par semaine, voire pour les plus fréquentés, plusieurs fois par jour. Si ces lieux nous offrent un mode de consommation inégalé dans l’Histoire en matière de facilité et de confort, ils n’en demeurent pas moins très vulnérables car dépourvus d’autonomie.

1. Jérôme Fourquet et Raphaël Llorca, La Société de supermarché. Rôle et place de la grande distribution dans la France contemporaine, Paris, Fondation Jean Jaurès, 2022, www.jean-jaures.org/publication/la-societe-de-supermarcherole-et-place-de-la-grande-distribution-dans-la-francecontemporaine

Texte tiré du livre "Pénuries : quand tout vient à manquer" écrit par Renaud Duterme et publié aux éditions Babelio, reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur.

Pour vous procurer le livre : https://www.babelio.com/livres/Duterme-Penuries-Quand-tout-vient-a-manquer/1561789