Le non-respect des droits humains, un risque grandissant pour les entreprises

Les entreprises françaises sont de plus en plus exposées aux poursuites judiciaires pour leurs activités à l’étranger, notamment en ce qui concerne les violations des droits humains. Travail forcé, complicité de crimes contre l’humanité, financement du terrorisme : les accusations se multiplient, et la justice s’en empare. Mais jusqu’où va la responsabilité des entreprises ?

Ade Costume Droit
Par Adélaïde Motte Publié le 31 janvier 2025 à 14h30
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Le non-respect des droits humains, un risque grandissant pour les entreprises - © Economie Matin

En 2024, treize procédures pénales ont été ouvertes contre des entreprises françaises pour violation des droits humains, marquant une hausse de 50 % des litiges transnationaux depuis 2018. Face à cette recrudescence des poursuites, un rapport publié par le Club des Juristes souligne la responsabilité accrue des multinationales dans des zones de conflit et de non-droit.

Un cadre juridique en expansion

Le risque pénal auquel sont confrontées les entreprises repose sur un ensemble de lois et de règlements qui encadrent leur responsabilité. La loi française sur le devoir de vigilance, adoptée en 2017, représente une avancée majeure en ce qu’elle permet de poursuivre la maison mère pour des violations des droits humains commises par ses filiales et sous-traitants. Cette disposition unique en Europe constitue une base légale pour les plaintes déposées devant les tribunaux français. En parallèle, l’Union européenne envisage l’adoption d’un règlement visant à renforcer le contrôle des entreprises sur leur chaîne d’approvisionnement. Ce projet, encore en discussion, pourrait imposer des obligations plus strictes en matière de traçabilité et de diligence raisonnable.

D’autres législations à l’international viennent compléter ce dispositif. Aux États-Unis, le Uyghur Forced Labor Prevention Act interdit l’importation de produits issus du travail forcé, ciblant ainsi les entreprises opérant dans des régions à risque comme le Xinjiang. Cette approche extraterritoriale met sous pression les multinationales qui doivent justifier de leur conformité aux standards internationaux en matière de droits humains. Pourtant, selon Nayla Ajaltouni, coordinatrice du collectif Éthique sur l’étiquette, l’application de ces lois reste encore insuffisante. Elle souligne que, malgré l’existence de textes ambitieux, les entreprises continuent d’échapper aux sanctions grâce à des pratiques opaques et à l’absence d’une véritable volonté politique d’imposer des contrôles rigoureux.

Des affaires judiciaires en forte hausse

Le rapport du Club des Juristes met en avant plusieurs affaires emblématiques illustrant la diversité des risques pénaux auxquels s’exposent les entreprises pour violation des droits humains. Parmi elles, le cas Lafarge constitue un exemple frappant. L’entreprise est accusée d’avoir financé le terrorisme en Syrie et d’être complice de crimes contre l’humanité. Si les juges confirment les charges, le cimentier pourrait se voir infliger une amende de plusieurs centaines de millions d’euros, tandis que certains de ses dirigeants risquent des sanctions pénales.

TotalEnergies fait également l’objet de critiques, notamment en Ouganda, où des expropriations forcées et des atteintes aux droits des populations locales ont été dénoncées par plusieurs ONG. La justice pourrait s’appuyer sur la loi sur le devoir de vigilance pour engager la responsabilité de la multinationale. De son côté, BNP Paribas est mise en cause pour complicité de crimes contre l’humanité au Soudan, en raison de financements accordés au régime d’Omar el-Béchir. Cette affaire, actuellement en cours d’instruction, pourrait aboutir à un procès devant les juridictions françaises.

Sophie Grosbon, maître de conférences en droit public, estime que la multiplication des poursuites contre les entreprises pour violation des droits humains marque un tournant juridique. Elle rappelle que, pour la première fois, une multinationale est poursuivie pour complicité de crimes contre l’humanité, ce qui illustre l’évolution du droit en faveur d’une plus grande responsabilisation des acteurs économiques.

Un risque pénal renforcé par l’évolution du droit international

Les entreprises ne peuvent plus ignorer la multiplication des actions en justice qui visent à sanctionner leurs pratiques. La Cour pénale internationale, les juridictions nationales et les ONG s’efforcent de faire appliquer les principes du droit international. En 2024, dix nouvelles instructions judiciaires ont été ouvertes contre des entreprises françaises, illustrant une accélération des procédures et un durcissement de la répression.

Le passage d’un régime de responsabilité civile à une logique de criminalisation croissante modifie profondément les enjeux pour les multinationales. De plus en plus d’affaires relèvent désormais du droit pénal, ce qui expose directement les dirigeants à des poursuites individuelles. Outre les risques judiciaires, les entreprises doivent également faire face aux conséquences réputationnelles de ces affaires. Les campagnes de mobilisation menées par les associations et les consommateurs jouent un rôle essentiel dans la mise en lumière des violations des droits humains. L’impact sur l’image de marque et les relations commerciales devient ainsi un levier de pression supplémentaire.

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Ade Costume Droit

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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