La crise liée au Covid a laissé des marques visibles sur le secteur de la restauration : entre réorganisation, nouveaux usages consommateurs et diversification de l'offre. Vincent Stellian, dirigeant de Quiétalis, installateur et mainteneur indépendant dans la cuisine professionnelle, détaille pour nous les évolutions les plus marquantes qu'a connu le secteur.
Le secteur de la restauration collective n’est pas sorti indemne de la crise Covid. Qu’est ce qui a changé de votre point de vue ?
L’ensemble du secteur de la restauration a été impacté, sans exception, soit par la désaffection des lieux de prise de repas, suite à la mise en place du chômage partiel et du télétravail, ou tout simplement par les fermetures administratives décidées par le gouvernement, comme ce fut le cas pour la restauration commerciale. De manière générale, le volume d’activité est encore inférieur à ce qu’il était avant le Covid.
Si on a vu rouvrir progressivement les restaurants gastronomiques, certaines habitudes ont perduré comme le télétravail ou la présence alternative des équipes sur les lieux de vie professionnelle, engendrant une reprise lente et incomplète de la restauration en entreprise (RIE). La vente à emporter, le click and collect, et autres formules mobiles qui ont fleuri durant le Covid ont en parallèle trouvé leur place dans le nouveau paysage économique.
Sur le marché des cuisines professionnelles, il ne s’est rien passé de visible. Le paysage des acteurs est resté sensiblement le même qu’avant le Covid, en dehors du rachat de Sopreco par Quiétalis, mais c’est un événement isolé sur notre marché sur cette période.
Va-t-on vers un retour à la normale ou assistons-nous au contraire à la mise en place de nouveaux équilibres ?
Il y a des choses qui n’ont pas bougé, par nature : les collèges, les prisons, les hôpitaux… bien qu’avec de nouvelles normes sanitaires le plus souvent. Certaines pratiques ont cependant évolué durablement : les dark kitchen continuent de se déployer, les restaurants d’entreprise se réinventent, les livraisons à domicile ou sur les lieux de travail s’organisent… Le monde de la prestation de repas hors foyer et sur place poursuit sa mutation, principalement en raison de la poursuite du télétravail.
Il faut bien comprendre que la restauration repose sur quatre fondamentaux : le culinaire, le serviciel, le spatial et le temporel. Les aspects culinaires ont peu évolué, même si on s’oriente vers une cuisine à base de produits plus frais et d’origine locale. Le serviciel a lui nettement évolué avec désormais une multiplicité de services pour un repas au bureau ou pour un repas d’entreprise : aujourd’hui on peut être servi à table, au bureau, debout, assis, seul ou en groupe… Ce développement de l’aspect service a eu des conséquences sur l’aspect spatial avec des restaurants plus intimes, des restaurants éphémères, des boulangeries-restaurants… Mais l’aspect temporel est peut-être celui qui a le plus évolué, avec des repas pris sur des plages horaires nettement plus étendues qu’avant : avec des horaires décalés ou aménagés, en télétravail de chez eux ou au bureau, les salariés ont pris l’habitude de commander à n’importe quelle heure ou presque. Cela signifie très concrètement que toute l’organisation de la chaîne de restauration est durablement transformée.
Était-ce le moment de décider du rachat de Sopreco compte tenu des incertitudes qui pesaient alors sur l’activité ?
Indépendamment des circonstances, la raison première de notre recherche de partenaires, c’est notre volonté de mailler le territoire, pour être le plus proche possible de mes clients finaux. Plus nous sommes proches de ses clients, meilleur est notre service, avec plus de réactivité. Mon objectif a toujours été de mettre mes clients français à moins d’une heure d’intervention.
Ensuite, nous nous intéressons aux entreprises qui répondent à trois critères : une bonne rentabilité, un bon savoir-faire, et donc une bonne notoriété, et des entreprises « plugables » culturellement, c’est-à-dire des entreprises dont les valeurs et les cultures ne sont pas trop éloignées des nôtres. Je veux parler de la culture du service client, les valeurs managériales, environnementales, sociales et sociétales… Lorsqu’une rencontre vous projette dans le futur avec l’intuition que le résultat sera positif pour chacune des parties, il ne faut pas hésiter, quel qu’en soit le contexte. C’est ce qui s’est passé pour Sopreco.
Comment la baisse d’activité de la restauration collective a-t-elle affecté votre activité ?
Les projets en cours ont été retardés voire stoppés le temps de l’épidémie et des confinements. Avant le Covid, nous faisions plus de 60% de notre chiffre d’affaires en conception, installation et mise en service, et moins de 40% en maintenance. Or l’installation repose sur l’acquisition de nouveaux clients et le développement de nouveaux projets. C’est donc une activité de croissance alors que la maintenance sert la profitabilité. C’est le bon équilibre entre les deux qui permet une croissance durable.
Le temps de l’épidémie, nous avons donc tordu notre modèle au maximum pour compenser par la maintenance, préventive et curative, le manque à gagner des projets d’installation qui tardaient à se concrétiser. Résultat : moins de chiffre d’affaires mais une rentabilité relativement préservée. Nous sommes revenus post-covid à cette répartition 60/40 à peu près entre installation et maintenance, ce qui reste notre équilibre de croisière. Globalement, Quiétalis sort renforcée de la crise liée au Covid.
Rencontrez-vous les mêmes difficultés que la restauration en termes de recrutement et avez-vous trouver les moyens d’y remédier le cas échéant ?
Au sein du groupe Quiétalis, nous dénombrons une vingtaine de métiers différents et certains d’entre eux souffrent effectivement de pénurie de main d’œuvre. C’est le cas de nos techniciens frigoristes, cuisinistes, soudeurs, électromécaniciens, mais aussi d’autres métiers de back-office dans les secteurs comme l’informatique, les études et le management. Pour y remédier, il nous faut aller vers les nouvelles générations, présenter nos métiers peu connus pour certains et faire preuve d’attractivité, à deux niveaux : l’attractivité du métier et l’attractivité de l’entreprise.
L’attractivité du métier ne dépend pas que de nous. Elle dépend aussi de l’Éducation Nationale et de la préparation des futures générations qui vont arriver sur le marché du travail. Là, il y a une vraie pénurie de centres de formations, d’écoles, de formateurs et de professeurs. Tout ce qui tourne autour de la restauration est concerné, du fait d’une réputation de métiers difficiles et peu rémunérateurs. Or, en réalité, aujourd’hui, la rémunération des techniciens de cuisine est assez élevée, et demain la rémunération des cuisiniers sera aussi très correcte.
L’attractivité de l’entreprise est un sujet de marque employeur. Aujourd’hui, ce sont les collaborateurs qui arrivent sur le marché qui choisissent leur entreprise, sur des critères qui ne sont pas forcément liés au seul exercice de leur métier ou à la seule rémunération. Ils sont attentifs au partage de valeurs, au positionnement de l’entreprise sur sa politique RSE, à l’ambiance et au confort au travail, à la souplesse... Il faut donc créer une vraie marque employeur différenciante pour attirer et fidéliser. C’est pourquoi nous travaillons beaucoup sur la qualité des métiers que nous déployons, mais également sur la façon dont nous délivrons nos prestations et sur le sens que nous donnons à notre mission d’installateur-mainteneur, notamment en utilisant les nouvelles technologies et en prenant en compte systématiquement la donnée environnementale.