En matière de politique monétaire et fiscale, la réponse américaine est nettement meilleure que celle de l’Union européenne.
L’incapacité des banques centrales à remédier aux dysfonctionnements émanant de l’offre devrait être un fait considéré comme dorénavant bien établi. L’excès d’inflation se traduira par des taux directeurs bien supérieurs au taux neutre, le marché tablant sur un taux final de l’ordre de 3,75% au 1er trimestre 2023. Dans le contexte du durcissement des conditions monétaires qui sera opéré par la Fed durant l’année à venir, le rendement de 3,4% des bons du Trésor à 2 ans représente une protection technique décente pour les obligations. A ce propos, la chute des anticipations d’inflation qui sont passées d’un niveau proche de 5% le 25 mars à 2,75% le 26 août dernier est extrêmement parlante. Et malgré le fait que la presse financière prône le « désancrage », les prévisions d’inflation à court, moyen et long terme aux Etats-Unis n’ont rien d’alarmant.
Au vu de la crédibilité de la politique de la Fed, les marchés obligataires semblent s’accommoder d’une courbe relativement plate ou légèrement inversée du côté des échéances les plus courtes. Par ailleurs, le message net et précis de Jerome Powell lors de son allocution du 26 août dernier à Jackson Hole pourrait avoir pour effet de réduire la volatilité des taux américains, à la hausse comme à la baisse, jusqu’à la fin de l’année. La Fed, qui concentre tous ses efforts sur la lutte contre la hausse des prix, table sur un retour accéléré vers sa cible initiale.
Au vu du durcissement des conditions de crédit pour les ménages et, dans une moindre mesure, pour les entreprises, le ralentissement de la demande devient le scénario central. Par ailleurs, le marché de l’emploi devrait se détendre plus rapidement que prévu. Eviter une nouvelle poussée de l’inflation par les salaires implique soit une diminution des offres d’emploi soit une réduction des effectifs dans les entreprises. Dans le premier cas, le taux de chômage, hors inadéquation entre offre et demande de postes, pourrait fluctuer autour de 4% (contre 3,6% actuellement), ce qui reste un niveau peu élevé. Si cette hypothèse se concrétise, le taux terminal resterait stable plus longtemps.
Quant à l’alternative suivant laquelle les entreprises procéderaient à des licenciements, elle semble moins probable. Les entreprises craignent en effet que le coût de nouvelles embauches s’avère plus élevé du fait de l’allongement des délais de recrutement en phase de reprise du cycle économique. Néanmoins, dans un tel scénario le taux de chômage passerait à 5-6% et impliquerait une baisse des taux directeurs.
Durant les deux dernières années du mandat présidentiel de Joe Biden, la politique budgétaire américaine devait rester généreuse. En août, l'exécutif américain a en effet adopté deux textes législatifs d’importance stratégique. Il s’agit d’une part de la signature du décret d'application du « CHIPS and Science Act 2022 », qui prévoit une enveloppe de 50 milliards de dollars pour soutenir le secteur des semi-conducteurs, et d’autre part de la loi sur la réduction de l'inflation (Inflation Reduction Act, IRA), qui cherche à juguler l'inflation tout en réduisant le déficit. Cette loi est très novatrice dans la mesure où elle s'attaque aux inégalités (elle n’aura pas d'impact fiscal pour les revenus des classes moyennes et inférieures) tout en favorisant la transition énergétique. Bref, s’il fallait attribuer une note à la politique monétaire et fiscale américaine, ce serait très clairement un « A ».
Durant le 1er semestre de 2022, les bourses américaines ont nettoyé les excès accumulés en 2021 et le second semestre permettra de séparer le bon grain de l'ivraie. Dans le secteur de la technologie, les leaders traditionnels, rentables et aux résultats prévisibles, devraient faire preuve de résilience. En revanche, les entreprises qui proposent des technologies nouvelles, mais qui jouissent d’une notoriété moindre et ne sont pas ou peu rentables, devraient voir leurs valorisations soumises à un nouveau test.
La situation est par contre beaucoup moins claire dans une Europe confrontée à des défis monétaires et fiscaux dont le dénouement est difficile à anticiper. La complexité à laquelle la BCE doit faire face semble augmenter d’un trimestre à l’autre et la différence avec la situation de la Fed est frappante. La création d’un nouvel instrument d’achat de titres, le TPI (Transmission Protection Instrument), le 21 juillet dernier, instrument par lequel la BCE tente d’améliorer le mécanisme de transmission de sa politique monétaire, pourrait être interprétée de la manière suivante : si la BCE commet une erreur de tempo dans le cadre de sa politique de resserrement des conditions de financement , et ce, afin d’honorer son principal mandat qui est de ramener l’inflation à 2%, alors il existe un risque réel d’implosion de l’UEM. Ce risque se matérialise en effet lorsque les mécanismes de transmission se grippent.
Si l’on examine les perspectives d’inflation à deux ans, la fragmentation est patente puisque ces anticipations se situent à 7,07% pour l’Allemagne, 4,92% pour la France et 4,41% pour l’Italie. Les attentes à 5 et 10 ans pour les principales économies de l’UEM sont de respectivement 2,50 et 3,00% environ, ce qui est plus proche des objectifs de la BCE. Il existe donc une petite lueur d’espoir.
La BCE devrait opter pour un resserrement prudent. La hausse du taux directeur de 50 points de base annoncée pour le 8 septembre prochain constitue le scénario de base et de nouveaux ajustements devraient intervenir pour amener ce taux directeur à 1,25% au 1er trimestre 2023. C’est du moins ce qui est anticipé par les marchés et qui se manifeste implicitement au travers de la fragmentation actuelle. Il y a dix jours, l’écart de rendement entre le Bund 10 ans et le BTP italien s’établissait à 2,30%. Cependant, le manque de précisions concernant les facteurs susceptibles de déclencher l’activation du programme TPI devrait décourager la spéculation contre l’emprunt italien et inciter les investisseurs institutionnels à rester neutres au niveau de leur exposition aux emprunts d’Etat italiens.
Tous les projecteurs restent donc braqués sur la crise énergétique en Europe (les Etats-Unis étant autosuffisants en énergie, ils sont bien « isolés » sur ce plan). Sur le vieux continent, la saison de chauffage démarrera le 1er octobre et, pour passer l’hiver, l’UE devra donc remplir ses installations de stockage de gaz à plus de 90% de leur capacité. Dans l’immédiat, il s’agit donc de limiter la consommation de gaz et de stocker le gaz ainsi économisé. Pour sa part, l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) a appelé à une harmonisation de différentes initiatives dont le but est de réduire la demande, de renforcer la coopération entre les opérateurs et d’harmoniser les plans d’urgence.
En ce qui concerne le plan de la Commission européenne « REPowerEU » qui vise à rendre l’Europe indépendante des combustibles fossiles russes bien avant 2030 (1), il est orienté sur le long terme et sera sans grand impact sur les entreprises et les ménages qui se trouveront confrontés à des difficultés d’approvisionnement ces six prochains mois. Il serait donc souhaitable que la Commission propose des mesures applicables immédiatement dans les pays membres de la zone euro.
Entretemps, la nouvelle flambée du prix gaz a fait la une des médias et elle attise l’incertitude. Cependant, cette hausse ne concerne pas seulement le prix spot, mais elle se répercute sur toute la courbe des échéances des contrats à terme pour 2023 et au-delà. Une solution consisterait à accélérer le remplacement du gaz russe par d’autres sources d’énergie, une mesure de substitution qui est clairement susceptible de fonctionner. En effet, si l’on extrapole le prix du contrat à un mois du TTF néerlandais, référence du marché européen du gaz naturel, qui se situait à 307 euros le MWh, sur celui du Brent à l’échéance la plus proche, on arrive à un prix d’environ 392 euros. Or, à la clôture du vendredi 26 août, le Brent s’échangeait à 101 dollars !
Au vu des données actuelles, l’impact de la crise énergétique sera nettement plus marqué dans l’UE qu’aux Etats-Unis. On peut donc en inférer que les premières manifestations de la reprise du cycle économique qui succédera à la phase de durcissement de la politique monétaire apparaîtront d’abord outre-Atlantique. Sur le plan des politiques fiscales et monétaires, les divergences entre les Etats-Unis et l’UE s’accentueront au cours des 6 à 12 mois à venir et la tendance baissière de la paire EUR/USD n’est donc pas prête de s’inverser.