Candidate putative d'une gauche enfin rassemblée, Anne Hidalgo pourrait avoir à répondre des liens opaques entre la Mairie de Paris et le promoteur Unibail qui, sous les mandats de la socialiste, n'a cessé de bénéficier de largesses et passe-droits vivement dénoncés par la Chambre régionale des comptes.
« Je vois bien que le regard sur moi a changé » : dans un long entretien accordé mi-septembre au Point, Anne Hidalgo fait un pas de plus vers la présidentielle. La maire de Paris, triomphalement réélue dans son fauteuil en juin dernier, entend désormais prendre « toute sa part » dans la « bataille » pour une « démocratie vivante ». Abstraction faite de la novlangue socialiste, le message est limpide : l'éternelle dauphine de Bertrand Delanoë, désormais figure incontournable de la gauche et seule personnalité issue d'un PS en ruine à même de damer le pion à Emmanuel Macron - ce « président de droite », qui « mène une politique de droite », dixit l'édile parisienne -, se prend à rêver d'un destin élyséen et place ses pions.
Si la route est encore longue jusqu'au « château », une éventuelle candidature d'Anne Hidalgo à la présidentielle aurait pour elle de faire preuve, et ce serait un tour de force à gauche de l'échiquier politique français, d'une certaine clarté. Incarner le rassemblement de la gauche et des écologistes, tel pourrait être le mantra de la candidate en puissance. La première intéressée ne dit pas autre chose, elle qui se présente aux lecteurs du Point comme « une sociale-démocrate qui a enrichi des idées (…) grâce à l'écologie ». Problème : pour légitime qu'elle soit, l'ambition d'Anne Hidalgo se heurte à la « double impasse politique » , et non des moindres, que lui pose le maintien, quasi-assuré, des candidatures issues des rangs des écologistes et de la France insoumise. En d'autres termes, la maire de Paris n'a aucune chance d'inscrire son chemin dans les pas de Jacques Chirac si elle doit faire face à Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon.
Forum des Halles, tour Triangle, parc des expositions... : les petits arrangements avec Unibail posent question
Portés par des dynamiques différentes - « vague verte » pour l'un, culte de la personnalité pour l'autre -, ces derniers n'auront, en effet, rien à gagner à retenir leurs coups contre l'héroïne des « bobos parisiens », cet objet politique non-identifié, aussi fantasmatique que redoutable. Or une candidature d'Anne Hidalgo leur offrirait un angle d'attaque béant, qu'aucune équipe de campagne digne de ce nom ne refuserait d'exploiter : les relations entre la mairie de Paris et la société Unibail-Rodamco. Nulle révélation fracassante à craindre de ce point de vue : ces liens, qui remontent au moins jusqu'au premier mandat de Delanoë, sont connus de tous et largement documentés par quantité de rapports officiels et enquêtes journalistiques établissant le favoritisme dont est l'objet, dans la capitale tricolore, l'un des plus puissants promoteurs immobiliers au monde.
La gestion du forum des Halles, temple commercial et principal nœud ferroviaire parisien, est emblématique des passe-droits dont semble bénéficier Unibail dans les couloirs de l'Hotel de Ville. Ceux-ci ont, notamment, été mis en lumière par un rapport de la Chambre régionale des comptes, publié en 2018. Selon ses auteurs, le promoteur, qui n'était que locataire du centre commercial jusqu'en 2011, ne s'est acquitté que de 142 millions d'euros pour en devenir propriétaire. Soit un tarif, rapporté aux quelque 100 000 mètres carrés du complexe, de 1 420 euros/m2 ; imbattable, dans une métropole où le prix du m2 dépasse parfois allègrement les 10 000 euros. Sous l'ère Delanoë - dont Anne Hidalgo était la première adjointe en charge de l'urbanisme - et contre l'avis de ses directions des Finances et de l'Urbanisme, la Mairie de Paris a tenu à boucler le projet sans tarder, concédant par ailleurs au promoteur les parkings du forum et les murs de l'immense salle de cinéma UGC, la plus fréquentée au monde. Un copinage en coulisse avec l'un des géants de la consommation à outrance, qui tranche avec le discours très « décroissant » tenu parfois par la maire sur certains dossiers comme lorsqu'elle s'oppose à la rénovation de la gare du Nord, sous prétexte du trop grand nombre de boutiques prévues.
« Pourquoi de tels arrangements ? » s'interrogeait déjà en 2018 la maire du 5e arrondissement, Florence Berthout. « Ce qui me choque, plus que le coût, certes exorbitant (du forum des Halles), c'est que le rapport qualité-prix n'est pas au rendez-vous » , déplore de son côté l'architecte Françoise Fromonot, selon qui « la municipalité a vendu au privé à un prix jamais vu, un espace commercial situé au cœur de Paris. Un bien foncier pourtant stratégique ». Et que penser alors du projet de « tour Triangle », un autre chantier pharaonique situé dans le sud-ouest de la capitale, lui aussi attribué à Unibail dans des conditions plus que suspectes ? Contre l'avis de ses services - une nouvelle fois -, Anne Hidalgo a décidé de résilier la concession accordée à Unibail sur le parc des expositions de la Porte de Versailles, consentant à verser une indemnité de 263 millions d'euros à la multinationale tout en maintenant sa mainmise sur les lieux pendant presque 50 ans... « La Ville de Paris a accepté d'indemniser son concessionnaire pour un préjudice non démontré » , taclera à nouveau la Chambre régionale des comptes.
Les liens avec Unibail, futur boulet de la campagne d'Hidalgo
Par un heureux hasard, en parallèle, le droit d'entrée prévu par la Mairie de Paris pour bâtir la future tour Triangle s'élevait à... 263 millions d'euros - la faveur accordée par la municipalité à Unibail rendant, de fait, tout appel d'offre inutile. Le promoteur a, enfin, obtenu un rabais de plusieurs millions d'euros sur le loyer du gratte-ciel, ainsi que la prise en charge par la ville - donc par le contribuable - du réaménagement de la parcelle sur laquelle la tour doit être construite. C'est tellement grossier qu'on en vient à chercher la caméra cachée.
Unibail, qui fait partie des groupes les plus riches de France, avait-il véritablement besoin de ces largesses répétées ? Quelle est la nature des liens, aussi opaques qu'étroits, entre Anne Hidalgo et le promoteur immobilier ? Autant de questions qui ne manqueront pas, dans le brouhaha de la campagne présidentielle, de parasiter une future candidature Hidalgo qui aura bien du mal à se défaire d'un tel stigmate.