Marronnier des élections régionales, le sujet de la gratuité des transports en commun franciliens devrait de nouveau s’inviter dans la prochaine campagne. Mesure ambitieuse mais réaliste pour certains, simple effet de manche électoraliste pour d’autres, cette promesse, pour séduisante qu’elle soit, masque les enjeux actuels auxquels le secteur des transports en commun est confronté. Celui, en premier lieu, de la dématérialisation des supports de billettique, petite révolution qui refaçonnera en profondeur notre façon d’utiliser les transports en commun dans les années à venir.
La gratuité, à quel prix ?
Alors que plusieurs agglomérations mettent en oeuvre la gratuité des transports (Niort, Aubagne, Compiègne, Dunkerque, Montpellier), d’autres villes seraient prêtes à se lancer dans l’aventure. En Île-de-France, Audrey Pulvard, probable candidate de la gauche aux régionales de 2021, a récemment annoncé sa volonté d’une gratuité totale. Coût estimé : « 2,5 milliards d'euros par an, moins les 250 millions d'euros qui seront économisés sur la billetterie, l'entretien des portiques », précise l’adjointe de la maire de Paris, qui oublie cependant le financement du futur métro du Grand Paris (1 milliard) et des prochaines lignes de métro et tramways en cours de réalisation (800 millions d’euros) dans ses calculs.
Pour financer un tel projet, Audrey Pulvard réfléchirait « à un financement par une contribution sur l'e-commerce et sur les entreprises les plus polluantes ». Annonces purement électoralistes et démagogiques pour Valéry Pécresse, l’actuelle présidente de région, qui les balaie d’un revers de la main : « Les transports gratuits ça n'existe pas. Ça coûte chaque année 10,8 milliards d'euros à la Région, dont 4 milliards viennent des usagers. Si on instaure la gratuité, il va falloir les trouver ces 4 milliards. Et ce sont les contribuables qui vont payer ».
S’il est probable que le sujet devrait de nouveau faire couler l’encre à l’approche des régionales, Île-de-France Mobilités (IdFM), l’autorité organisatrice des transports franciliens, présidée par Valérie Pécresse, est affairée à d’autres chantiers, bien plus concrets. Au premier rang desquels celui de l’intégration des nouvelles technologies dans la billettique digitale. Elle compte déjà quelques belles réussites à son actif, comme le Pass Navigo Liberté +, un passe de transport qui permet de voyager librement sur tout le réseau, la facture étant envoyée postérieurement, ou le Navigo Easy sans contact, rechargeable et utilisable sur l’ensemble du réseau francilien pour une période de 10 ans.
Course à l’innovation
D’autres innovations sont attendues, dont le MaaS (Mobility as a Service), qui intègrera sur un même support tous les opérateurs de mobilité (du métro aux vélos), ou encore le paiement par carte bancaire (pour les aéroports dans un premier temps) ou via smartphone. Et surtout, à terme, l’arrêt du billet magnétique et de fait la dématérialisation totale des supports.
Pour assurer le développement de ces innovations, Île-de-France Mobilités s’est engagée, depuis 2017, à mettre en place un ambitieux programme de modernisation de tout son système informatique et de ses équipements, en coordination avec la RATP, la SNCF et la Société du Grand Paris (SGP). Avec, pour l’autorité organisatrice, une forte volonté d’assurer la maîtrise totale du futur système d’information et de faciliter l’arrivée de nouveaux acteurs du transport au moment de l’ouverture à la concurrence, annonçant la fin du monopole de la RATP. On l’aura compris, outre la libéralisation des transports franciliens, c’est bel et bien une petite révolution qui se prépare dans le domaine de la billettique.
Enjeu économique de taille pour nos entreprises
Ces chantiers représentent, on s’en doute, un fort enjeu économique pour les entreprises de service numérique (ESN) et équipementiers (appareils de vente de billets, valideurs, portillons), se chiffrant en centaines de millions d’euros. Si la gratuité comporte un risque financier bien identifié, le volet technique de cette transformation du système billettique n’est pas non plus sans risques pour les différents acteurs, ni pour les autorités publiques en charge de les sélectionner. Qu’on se souvienne par exemple de l’énorme flop lors du changement d’opérateurs de Vélib’. Crucial, le choix de fournisseurs et opérateurs de billettique compétents passe par des critères draconiens, alliant souci de fiabilité, de qualité et d’innovation.
Actuellement, l’entreprise américaine Conduent est en embuscade sur tous les fronts. Après avoir remporté, en s’associant à Wordline, le système central billettique d’IdFM, soit la pierre angulaire du chantier de modernisation de la billettique francilienne, cette entreprise se positionne systématiquement sur tous les projets : billettique de la Société du Grand Paris, équipements de la RATP, de la SNCF mais aussi des réseaux de surface Optile, notamment en Grande Couronne. Au risque de s’épuiser, comme l’attestent déjà ses difficultés de plus en plus marquées à livrer dans les délais.
D’autres acteurs sont aussi sur les rangs : l’allemand Scheidt & Bachmann, l’italien AEP, mais également les entreprises françaises IER, Flowbird et Thalès. Pour ces dernières, l’impact économique est colossal. Surtout dans l’actuel contexte de crise sanitaire qui devrait entrainer son lot de plans sociaux, malheureusement prévisibles. Certes, le Code des marchés publics ouvre la concurrence à l’international. Mais, dans ce contexte de crise économique et considérant ses conséquences sur l’emploi, l’État et la Région – qui contrôlent, directement ou indirectement, les opérateurs de transport c’est à dire la Ratp et la SNCF, la Société du Grand Paris et l’Autorité Organisatrice des Mobilités IdFM – resteront-ils insensibles aux intérêts de nos entreprises ? On le voit, au-delà du serpent de mer de la gratuité, les enjeux économiques sont de taille, à la mesure de la modernisation de la billettique que devraient connaitre les usagers dans les prochaines années.