Nous pronostiquons un remaniement gouvernemental d’ici au 15 mars. Voici le dernier état des lieux sur les mouvements probables qui, selon nous, interviendront avant même la synthèse du Grand Débat.
La crise des Gilets Jaunes (qui rebondira à la fin du printemps, selon nous) a durement éprouvé l’autorité et la crédibilité du Président de la République. Elle a surtout mis en question le tournant réformateur que le gouvernement devait prendre après des mesures de hausses fiscales destinées à financer les premiers budgets. Alors qu’Emmanuel Macron avait promis une baisse des dépenses publiques de l’ordre de 3 points de PIB, le ras-le-bol fiscal exprimé violemment à l’automne l’oblige paradoxalement à tenir cette promesse dans un rapport de force très défavorable. C’est à résoudre cette question épineuse (tenir les engagements budgétaires de la France sans mettre les Français pourtant excédés par la pression fiscale dans la rue et sans perdre son socle électoral de base) qu’il doit s’atteler désormais, et nous parions ici, comme depuis plusieurs semaines, sur une orientation sociale-démocrate pour les années à venir.
Voici pourquoi nous croyons à une fin de mandat pour Macron (si elle a lieu) placée sous le signe de la dépense sociale-démocrate.
Wauquiez a liquidé la droite libérale et orléaniste
La très grande chance d’Emmanuel Macron tient à l’inconsistance idéologique de Laurent Wauquiez, par ailleurs politiquement inaudible à force d’avoir remplacé la pensée par la communication. Depuis son arrivée à la tête des Républicains, il a soigneusement fait fuir l’aile libérale orléaniste qui se retrouvait en Alain Juppé et partiellement en François Fillon. Alors que ce dernier avait remporté haut-la-main la primaire des Républicains en 2016 avec un programme libéral assumé, Laurent Wauquiez pend le contre-pied de ces idées et n’articule pas le moindre discours audible ni sur l’entreprise ni sur la libre concurrence.
Ce vide idéologique permet de rassurer Macron sur sa droite : il n’a pas à craindre une opposition sur ce créneau.
L’arrivée des orléanistes à LaREM ?
Le désaveu de Laurent Wauquiez est tel qu’on a même parlé d’une candidature du poulain d’Alain Juppé Maël de Calan sur la liste des européennes de LaREM. De nombreux indices porte en tout cas à croire que des juppéistes pourraient plier bagages pour faire alliance avec le Président. On lira dans les colonnes du Journal du Dimanche un point utile sur l’état de la coalition qui devrait se regrouper autour du Président.
Ces éléments confirment l’attachement de la droite orléaniste au socle électoral macronien. Dès lors, le Président n’a guère de gage à donner à cet électorat, satisfait d’un prélèvement forfaitaire unique à 30% et d’une suppression de l’ISF. Cette consolidation serait donc à réviser en cas de modification sur ces acquis fiscaux.
Un déficit de visibilité à gauche
Depuis son élection, et surtout depuis la suppression de l'ISF, Macron se traîne comme un boulet l’étiquette de « président des riches ». Il a mis plusieurs mois à le comprendre, mais les expressions de haine publique qu’il a essuyées ces dernières semaines ont accéléré sa prise de conscience. Assez logiquement, il devrait donc chercher à inverser la tendance pour préparer sa réélection en 2022.
C’est pourquoi nous parions globalement sur un virage majeur du président vers la gauche, qui le ramènera au fond idéologique social-démocrate de François Hollande. Politiquement, c’est à sa gauche que son déficit politique est à la fois le plus criant et le plus toxique. Les revendications sur le pouvoir d’achat le prouvent.
Édouard Philippe dans le viseur
Dans ce tournant vers la gauche, dont nous pensons que la recomposition à l’Élysée orchestrée par Philippe Grangeon est une préfiguration, la première victime sera probablement Édouard Philippe. L’intéressé, qui ne dédaigne pas de cultiver son socle de droite, a indiqué qu’il quitterait au moins momentanément la politique après Matignon. Mais il a le profil pour reprendre la tête du courant juppéiste, que ce soit à LaREM ou ailleurs.
Dans l’hypothèse d’un virage à gauche, ses déclarations sur la contrepartie nécessaire aux aides sociales sont une ligne rouge franchie qui l’éliminent d’office.
Notre pari sur François Bayrou
Nous considérons qu’assez naturellement Emmanuel Macron, usé sur la scène intérieure, fera appel à François Bayrou pour ramener à lui l’électorat social-démocrate à l’horizon de 2022. Ce choix s’impose assez naturellement, dans la mesure où Bayrou, à qui Macron doit beaucoup malgré la détestation qu’il lui portait, aura l’amplitude suffisante pour débarrasser le Président de ses soucis domestiques et lui permettre de se consacrer pleinement aux dossiers internationaux.
Pour remplir sa mission, François Bayrou devra toutefois composer une équipe beaucoup plus marquée à gauche qu’aujourd’hui, au moins sur les grandes réformes à venir. En particulier, la réforme de la santé et les dossiers relevant aujourd’hui de Muriel Pénicaud feront l’objet, selon nous, d’une reprise en main politique.
Donner des gages à droite
Dans le même temps, et c’est ce qui rendra l’exercice délicat, le prochain Premier Ministre devra donner de sérieux gages à droite, au moins sur les questions régaliennes et sociétales. C’est pourquoi nous pensons que l’imprévisible Marlène Schiappa quittera le gouvernement, et que, au-delà d’une personnalité rassurante comme celle de François Bayrou, un ou deux postes seront confiés à des cadors de la droite orléaniste.
Quel calendrier ?
Toute la difficulté pour Emmanuel Macron consistera à bien choisir son calendrier. Nous considérons que le referendum n’interviendra pas, pour des raisons techniques notamment (en particulier de délai de préparation des textes de loi à soumettre au vote), avant l’automne. Il y aurait par ailleurs une incongruité à demander à une équipe usée de participer à la remise à plat du quinquennat. Le bon sens consiste à demande rapidement aux nouveaux de préparer les textes qu’ils défendront à l’automne.
L’annonce du remaniement avec un virage à gauche tiendra lieu de réponse politique à la crise des Gilets Jaunes. Compte tenu de la tension dans le pays, et de l’usure de l’opinion, nous pensons que ce remaniement interviendra sans attendre, c’est-à-dire aux alentours du 15 mars. C’est la meilleure façon d’éviter le sentiment d’attentisme et d’indécision que le Président donne régulièrement, notamment sur l’affaire Benalla.
Ce calendrier sera d’autant plus rigoureux que la pression de la rue sera forte.
Article écrit par Eric Verhaeghe sur son blog