Apple m’a tuer : Microsoft rachète Nokia

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Par Jean-Baptiste Giraud Modifié le 3 septembre 2013 à 9h57

Souvenez vous : c'était il y a 15 ans, autant dire, dans le secteur des nouvelles technologies, il y a un siècle. L'an 2000 approchait et avec lui, en avance sur les prévisions des plus optimistes, le téléphone mobile se banalisait à la vitesse grand V. Jacques Cartier, le mythique rédacteur en chef de Paris Match dans les années 60, célèbre pour sa formule « La Corrèze plutôt que le Zambèze » rappelait dans son livre « en attendant l'an 2000 » que la DGPT (Direction générale des Postes et Télécommunications) prévoyait 20 millions de lignes téléphoniques fixes -cela va sans dire- pour l'an 2000, à l'aube des années 70. En l'an 2000, la France comptait 20 millions de lignes, mais mobiles, auxquelles s'ajoutaient... 40 millions de lignes fixes.

La roche tarpéienne est proche du Capitole

Il y a 15 ans, le constructeur de référence, c'était Nokia. Que ce soit pour son 3310 « d'entrée de gamme » dont on pouvait changer les coques pour le personnaliser, et sur lequel les plus anciens on passé quelques dizaines d'heures à éviter que le serpent ne se morde la queue, ou son Navigator, le téléphone PDA haut de gamme – qui ne s'appelait pas encore smartphone -, Nokia donnait le la. C'était la référence, et le leader incontesté. Pensez ! Au sommet de son aventure, Nokia s'arrogeait plus du tiers du marché du téléphone mobile, et trustait les bénéfices, quand ses concurrents pédalaient loin derrière. Ericsson un temps dans la roue de Nokia, n'a pas rebondi après son mariage avec Sony, devenant Sony-Ericsson, et aujourd'hui plus rien. Motorola ? Racheté par Google. Cela fait un bail que je n'ai plus vu ni dans le train ni dans le métro ni en réunion quelqu'un avec un Ericsson ou un Motorola.

Apple a tué Motorola, Sony-Ericsson et maintenant Nokia

Le coupable, c'est Apple. En 2007, avant que Steve Jobs ne présente l'iPhone qui est le modèle de référence de 100 % des smartphones sortis à ce jour chez tous les constructeurs, les leaders regardaient de haut, goguenards, le petit trublion de l'informatique. Tel grand patron des télécoms d'expliquer que son entreprise avait mis des décennies à acquérir son savoir faire, et qu'Apple ne pouvait pas débarquer comme cela sur le marché sans essuyer des plâtres et devoir apprendre. Donc, se planter. Tel autre de vanter la qualité de ses produits en expliquant qu'il était impossible de faire mieux. Si.

En sept ans, les trois leaders incontestés des télécoms, dont les produits étaient désirés, symboles de pouvoir et de puissance pour ceux qui les possédaient, sont devenus has-been. Seul Nokia tentait encore de résister avec sa gamme Lumia, tournant d'abord sous Symbian, l'OS « maison » en fait racheté à Psion au début des années 2000 et qui fit tourner pendant quelques années les téléphones de... Nokia, mais aussi Motorola et Sony-Ericsson ! Tiens donc.. Faute d'avoir su faire suffisamment évoluer Symbian, les trois partenaires leaders se sont heurtés au mur de l'iPhone et de son nouvel OS, iOS, qui lors de la présentation de l'iPhone par Steve Jobs en 2007 s'appelait tout simplement OS X Mobile.

Google et Android ont leur part de responsabilité

Mais Apple n'est pas seul coupable de la mort ou du coma du trio infernal des télécoms. Si l'Iphone, d'entrée de jeu excellent, a donné des coups sévères à ses concurrents, Google a achevé Motorola (et l'a racheté) Sony-Ericsson et Nokia avec Android. En développant son OS « libre », et en l'offrant gratuitement à tous les constructeurs qui le souhaitaient, Google a déstabilisé le marché. Là ou le logiciel était au moins aussi important que le matériel pour construire de bons téléphones, en offrant l'OS, Google a permis l'émergence des Samnsung, LG, mais aussi Huawei et tant d'autres assembleurs asiatiques venus du monde du PC. Chez la plupart, la R&D a longtemps réduite à sa plus simple expression, les téléphones se contentant le plus souvent de correspondre au cahier des charges de... Google pour Android. En faisant du téléphone un consommable plantable jetable, Google et ses « alliés » asiatiques a fait baisser l'exigence de qualité des consommateurs, pour la rapprocher de celle des utilisateurs de PC. Et tué les leaders historiques.

Microsoft à la rescousse pour sauver Windows 8

Le rachat de Nokia par Microsoft n'est pas le fruit d'une vision stratégique, destinée à refaire de Nokia le leader d'antan. C'est un sauvetage, non de Nokia, mais de Windows 8, qui fait tourner les magnifiques smartphones Lumia. Microsoft, qui n'arrive pas à prendre pied sur le marché des smartphones et des tablettes, panique à l'idée d'en être exclu définitivement alors que le marché de l'ordinateur traditionnel est structurellement déclinant. Reste à savoir si Microsoft va trouver la formule pour rendre Nokia-Windows 8 attirants. Offrir les téléphones n'est pas la bonne formule, économiquement intenable sur la durée, et les positionner sur le haut de gamme non plus : le haut de gamme reste la chasse gardée d'Apple et Samsung.

Qui va bien vouloir de RIM Blackberry ?

Reste la dernière inconnue de ce marché des télécoms en reconfiguration complète. Qui va bien vouloir de Research In Motion et de Blackberry 10 ? L'OS et les téléphones qui l'utilisent sont superbes, mais qui voudra prendre le risque de devoir lutter contre les mastodontes iOS, Android ? Certes, la part de marché de Blackberry est encore supérieure à celle de Windows 8, mais RIM perd des utilisateurs tous les mois, sans réussi à endiguer cette hémorragie. Soit RIM trouve une solution d'ici à six mois, soit il risque d'avoir un nouveau mort en 2014 parmi les anciens leaders du marché de la téléphonie personnelle.

Photo Jean Baptiste Giraud

Jean-Baptiste Giraud est le fondateur et directeur de la rédaction d'Economie Matin.  Jean-Baptiste Giraud a commencé sa carrière comme journaliste reporter à Radio France, puis a passé neuf ans à BFM comme reporter, matinalier, chroniqueur et intervieweur. En parallèle, il était également journaliste pour TF1, où il réalisait des reportages et des programmes courts diffusés en prime-time.  En 2004, il fonde Economie Matin, qui devient le premier hebdomadaire économique français. Celui-ci atteint une diffusion de 600.000 exemplaires (OJD) en juin 2006. Un fonds economique espagnol prendra le contrôle de l'hebdomadaire en 2007. Après avoir créé dans la foulée plusieurs entreprises (Versailles Events, Versailles+, Les Editions Digitales), Jean-Baptiste Giraud a participé en 2010/2011 au lancement du pure player Atlantico, dont il est resté rédacteur en chef pendant un an. En 2012, soliicité par un investisseur pour créer un pure-player économique,  il décide de relancer EconomieMatin sur Internet  avec les investisseurs historiques du premier tour de Economie Matin, version papier.  Éditorialiste économique sur Sud Radio de 2016 à 2018, Il a également présenté le « Mag de l’Eco » sur RTL de 2016 à 2019, et « Questions au saut du lit » toujours sur RTL, jusqu’en septembre 2021.  Jean-Baptiste Giraud est également l'auteur de nombreux ouvrages, dont « Dernière crise avant l’Apocalypse », paru chez Ring en 2021, mais aussi de "Combien ça coute, combien ça rapporte" (Eyrolles), "Les grands esprits ont toujours tort", "Pourquoi les rayures ont-elles des zèbres", "Pourquoi les bois ont-ils des cerfs", "Histoires bêtes" (Editions du Moment) ou encore du " Guide des bécébranchés" (L'Archipel).

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