C’est un débat qui revient couramment en France mais aussi dans le monde et surtout lors d’élections présidentielles. La contestation s’est fortement amplifiée après la pandémie, depuis l’annonce par les médias de la progression exceptionnelle du patrimoine des fortunes françaises comme celles mondiales. C’est d’autant plus inégal aux yeux du monde que les états voyaient leurs finances plongées dans le rouge, pendant que les super fortunés s’enrichissaient.
En France, les 500 plus fortunés pèsent 1002 milliards d’euros, c’est trois fois plus qu’en 2017 et sept fois plus en 20 ans. Un montant en hausse de 5% ce qui peut sembler faible après les 30% de l’année 2020. C’est surtout leur nombre qui a augmenté passant en 30 ans de 22 à 122.
Beaucoup de politiques, y compris des économistes veulent les faire payer davantage. C’est aussi une revendication constante des partis de gauche depuis des décennies. Un pourfendeur de cette injustice, prix Nobel de controverse, spécialiste des inégalités économiques avec ses travaux théoriques et normatifs depuis 1990, Thomas Piketty, n’a toujours pas réussi à faire bouger les gouvernements malgré de nombreuses interviews, conférences internationales et des livres dont le best-seller mondial « Le Capital au XXIème siècle ».
Au contraire, depuis plusieurs années on a assisté au phénomène inverse. En Europe, il ne reste plus que trois pays qui ont conservé l’ISF complète ! La Suisse, l’Espagne, la Norvège. Il est possible de rajouter la France puisque lors de son premier mandat, Emmanuel Macron a modifié cette taxation en ne gardant plus que la part liée à la fortune, comme d’ailleurs l’Italie. Tous les autres l’ont abolie : Le Danemark et l’Autriche en 1994, l’Allemagne et l’Irlande en 1995, puis ce fut au tour du Luxembourg, de la Finlande, des Pays-Bas, la Suède dans les années 2000.
En France, depuis la réforme Macron, le patrimoine immobilier est imposé à 0,7% à partir de 1,3 million et 1,5% au-delà de 10 millions d’euros.
Et pourtant beaucoup de personnalités mondiales ont essayé d’influer les gouvernements pour créer cette taxation, jusque-là sans succès. C’est par exemple le cas de Kristalina Georgieva, directrice du FMI (Fond Monétaire International), qui a préconisé d’augmenter le taux maximum d’impôts sur le revenu, puis suite à l’enrichissement pendant la pandémie, elle a exhorté les pays à créer un impôt sur la fortune. L’ONU et la Banque mondiale ont fait de même pour l’instant sans succès.
D’autres tel que la petite fille de Walt Disney membre des Patriotic Millionaires, un groupe de 200 fortunes américaines et britanniques milite avec Moms Pearlancien dirigeant de BlackRock, Robert Kaplan star du barreau et Steve Silbertstein mogul de la Tech, pour dénoncer cette grande inégalité. Elle vient de publier : « Taxer les riches » critiquant les pratiques des puissants qui trustent l’économie en manipulant le code des impôts.
Un autre français Gabriel Zucman de 35 ans, prenant le relais de Piketty, est devenu l’un des économistes star aux Etats-Unis. Il a conseillé Bernie Sanders et les démocrates de créer un impôt sur la fortune sans aucune niche réservée aux fortunes de plus de 30 millions de dollars. En parallèle, il a co-écrit avec Emmanuel SAEZ « Le triomphe de l’injustice » Seuil.
En France il faut toutefois nuancer en analysant plus en profondeur, il est possible de s’apercevoir que ce ne sont pas toujours les plus fortunés qui ont augmenté leur patrimoine, ce sont plus les nouveaux venant de secteurs plus porteurs actuellement.
Des exemples :
Bernard Arnault (LVMH), première fortune de France et deuxième du monde a vu sa fortune régresser de 9 milliards d’euros.
Françoise Bettancourt Meyers (L’Oréal) a perdu 9 milliards d’euros par rapport à 2021.
Pierre Omidyar (Paypal-Ebay) moins 11,5 milliards d’euros.
Evan Spiegel (Snap) moins 7 milliards.
Famille (Hermès) moins 2,8 milliards.
Patrick Drahi (Altice) moins 2 milliards.
Benoit Dageville et Thierry Cruanes moins 2 milliards.
En revanche d’autres beaucoup moins connus ont vu leur patrimoine bondir avec des hausses exceptionnelles à deux chiffres.
Alex Bouaziz (Deel) plus 900%
Rodolphe Saadé (CMA CGM) plus 500%
Jean-Luc et Charles Raymond (Circuit Charles Raymond) plus 196%
Yves Journel (Sagesse retraite santé) plus 193%
Jérôme Duval et Aubert et Duval (Eramet) plus 161%
Charles Ruggieri (Batipart Invest) plus 150%
Alexandre Prot et STEVE Anavi plus 150%
Autre constat très intéressant, 34 Licornes et actionnaires se situent dans les 500 fortunes françaises avec 22 milliards cumulés et une moyenne d’âge de 34 ans.
Au vu de cette analyse il est aisé de constater qu’après ces deux années marquées par la pandémie, l’économie française témoigne d’une incroyable vitalité, même les secteurs très touchés par la crise Covid ont rebondi. En cause, les investisseurs ont bénéficié d’un afflux de trésorerie et d’un environnement de crédit favorable.
Dommage que cette guerre en Ukraine aie stoppé en partie cet élan, avec une baisse initiale de 25% des transactions. A cela s’ajoute une inflation exponentielle et une remontée des taux qui rendent l’argent plus cher et des investisseurs plus frileux.
Il est à noter qu’une prise de conscience plus prégnante des « fortunés » ont de plus en plus aidés financièrement le secteur social, en créant entre autres des fondations et en participant à des investissements immobiliers culturels…Beaucoup de femmes ont changé les codes de la philanthropie avec moins d’avantages fiscaux, de galas mais plus de causes sociales et de mise en valeur d’associations, en réinventant les règles de la bienfaisance, au prix de la dilapidation de leur fortune. D’autres se sont tournés vers le climat. Neuf philanthropes ont proposé un don record de 5 milliards de dollars pour financer la protection de 30% des essences terrestres et maritimes de la planète d’ici 2030. Même Jeff Bezos a promis de verser 10 milliards à son fond Earth Fund. Certains rachètent d’immenses domaines rendus à la vie sauvage, d’autres grands propriétaires terriens réintroduisent des loups, condors, bisons ou tentent de sauver à coup de milliards la forêt amazonienne. En France un des fils d’Yves Rocher, Jacques, a fait planter 100 millions d’arbres à travers le monde avec son programme Plant for Life. Elon Musk a lancé le X-Prize, une bourse de 100 millions de dollars pour ceux qui inventeront un système de captage d’un maximum de carbone dans l’air ambiant. Bill Gates dépense des milliards dans des labos et start-up greentech futuristes ainsi que des aides colossales aux pays d’Afrique. Lors de son divorce avec Bezos, MacKenzie Scott, la femme la plus puissante du monde, a décidé de consacrer 35 milliards de dollars à des milliers de causes : 12 milliards ont déjà été distribués. Pricilla Chan, épouse de Mark Zuckerberg, aussi puissante, a décidé de s’investir dans le social en dirigeant la fondation Chan Zuckerberg Initiative, centrée sur la santé et l’éducation. Elle créé The Primary School, école qui allie soins et éducation pour les enfants défavorisés.
La liste n’est pas exhaustive, elle s’allonge de jour en jour depuis qu’une prise de conscience internationale des milieux favorisés s’est imposée comme une évidence tant pour le social que pour le sauvetage de la planète.
En France, Bernard Arnault après 25 ans d’engagement dans l’art, la culture et le patrimoine, a créé en 2006 la Fondation Louis Vuitton. Animée d’une mission d’intérêt général, elle s’engage à rendre l’art et la culture accessibles à tous sur le plan national et international. Le summum est la construction à Paris en 2014 du bâtiment Franck Gehry dédié aux expositions, manifestations, collections et son Open-Space avec auditorium dédié aux jeunes artistes nationaux et internationaux.
Son compère François Pinault n’a pas été en reste puisqu’il a créé des fondations et collections dans le monde dont la dernière en 2020 à Paris à l’ancienne Bourse du commerce entièrement rénovée.
Un autre mécène du groupe Auchan, Franck Mulliez fondateur de Kiloutou a rénové un chef d’oeuvre d’architecture classique, le Château de Dampierre au cœur de la vallée de Chevreuse en piteux état. Il y a laissé moitié de sa fortune. Beaucoup d’autres mécènes pourraient être encore cités…
Les gouvernements voient ce virage avec intéressement, y compris pour leur gestion, n’osant plus taxer aussi fortement les plus riches. Cela pourrait leur permettre à terme de diminuer leurs investissements dans le social qui a atteint pour beaucoup de pays des niveaux de moins en moins supportables financièrement.
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