Tabac : qui veut récupérer 5 milliards d’euros ?

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Par François-Michel Lambert Publié le 15 décembre 2020 à 6h17
Cigarette Paquet
@shutter - © Economie Matin
18 MILLIARDS €Le marché parallèle des cigarettes pèse 18 milliards d'euros.

Du fait de la crise sanitaire et du deuxième confinement en France, la 5ème édition de #MoisSansTabac, organisée par Santé publique France en novembre, a touché à sa fin en passant un peu inaperçue, le Covid ayant éclipsé la lutte anti-tabac. Pire, le commerce parallèle des cigarettes continue à sévir, notamment dans certaines régions de France, sans que personne ne s'en alarme.

Une brigade de lutte contre le trafic de cigarettes contrefaites et de contrebande a été créée au printemps 2019 à Marseille. Selon « La Provence », sur la première année d’activité, les 6 enquêteurs avaient saisi 13 000 cartouches, soit un préjudice pour l’Etat de 1,3 millions d’euros, une goutte d’eau dans l’océan du marché noir de la clope. 18 milliards de cigarettes issues du marché parallèle, qu’il soit celui de la vente aux frontières ou celui de la contrebande, inondent le marché français chaque année. La saisie marseillaise, aussi dûr soit le travail de la brigade, dans un milieu qui se criminalise de plus en plus, est infinitésimale…

En avril dernier, en pleine pandémie mondiale -et angoisse sur les traitements de la maladie, Phillip Morris International et British American Tobacco ont fait savoir qu’ils allaient travailler sur un vaccin, lorsqu’une thèse, contestable, du professeur Jean-Pierre Changeux tendait à démontrer que le tabac protégeait du virus. On attend toujours les résultats de ces recherches, mais cette information dangereuse a un temps offert une tribune aux majors, réhabilité dans l’esprit de trop de personnes que la consommation de tabac pouvait être bénéfique et encouragé sa diffusion.

Or, une très large majorité d’études s’accordent à confirmer que le tabac est la première des drogues dures ! La consommation, qui connaissait une baisse constante, est repartie à la hausse, suivant en cela le chemin d’autres conduites addictives.

Ce premier confinement et la fermeture des frontières ont permis de tarir temporairement et en partie les sources d’approvisionnements parallèles qui représentent une cigarette sur quatre fumées en France. Cette rupture d’accès a généré 1,3 milliards de recettes fiscales supplémentaires. On peut en déduire qu’en période « normale », l’Etat perd, sur une année, entre 3 et 4 milliards d’euros. A l’heure où la France s’endette considérablement pour faire face à la crise sanitaire, il serait sans doute pertinent de considérer avec moins de mansuétude les manœuvres de l’industrie du tabac pour échapper au paiement de l’impôt.

Ce secteur, qui génère plusieurs milliards d’euros de profit, ne produit en France ni richesses ni emplois, ou quasiment, si l’on excepte le réseau des buralistes et quelques producteurs de tabac et agents commerciaux. Son coût social, estimé en 2015 par l’économiste Pierre Kopp à 130 milliards d’euros annuels est extraordinairement plus important que ce qu’il rapporte (à comparer aux 15 milliards de recettes fiscales). Ce sont donc essentiellement les 75% de contribuables et assurés sociaux non-fumeurs qui financent ce coût.

En janvier prochain, Eric Woerth, président de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale, installera une « une mission d’information relative à l’évolution de la consommation du tabac, du rendement de la fiscalité applicable aux produits du tabac pendant le confinement et aux enseignements qui pourront en être tirés ». Elle devra permettre de mettre, enfin, en lumière les contournements de grande envergure qui sont organisés par l’industrie du tabac et la responsabilité historique des majors dans le commerce parallèle.

Il est important de rappeler combien les représentants des intérêts des majors du Tabac peuvent influencer les décisions des gouvernements. Malgré un protocole OMS volontariste proposant un système inviolable pour assurer une traçabilité des flux de cigarettes, depuis les usines jusqu’aux ventes, c’est un autre système recommandé par les majors qui a été mis en place dans de nombreux pays d’Europe et en France. Les majors ont ainsi réussi à se repositionner en tant que « juge et partie » du commerce parallèle, étant les seuls en capacité de contrôler la totalité de la chaine logistique. Ils pourront ensuite dénoncer avec cynisme une contrebande dont on soupçonne qu’ils sont à l’origine ou d’une certaine manière complice passif.

Le commerce illégal continue ainsi de disposer de volumes colossaux de cigarettes à bas coûts vendues à des populations, souvent jeunes, souvent en difficulté sociale, qui n'ont pas les moyens de s'approvisionner au sein du marché officiel. La contrebande et la vente aux frontières portent des coups sévères à nos politiques de santé publique fondées sur le prix de la cigarette. Combien de fumeurs à bas prix s’alimentant aujourd’hui de cette façon viendront grossir demain nos statistiques de cancers ou de maladies cardiovasculaires ? Combien d’entre eux auraient évité ces drames s’ils n’avaient pas pu se fournir sur le marché parallèle? Qui va payer ?

Le protocole de l’OMS, ratifié par l’ensemble des parties en 2018 prévoit la fin de ce commerce illicite en 2023. Mais alors que se préparent les négociations sur la nouvelle Directive européenne tabac qui commenceront en 2021, on est très loin des objectifs vertueux qui avaient été annoncés.

Le lobby du tabac, sans doute le plus influent à Bruxelles, a encore de beaux jours devant lui, contrant les politiques de santé publique fondées sur un prix élevé du tabac, affaiblissant les capacités financières de nos Etats. Le marché parallèle représente chaque année, en recettes fiscales, une perte équivalente au plan de relance des hôpitaux. On peut dire que les cigarettiers nous font perdre chaque année de quoi sauver l’hôpital.

Plus que jamais les politiques doivent agir avec courage et fermeté.

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François-Michel Lambert est député EELV des Bouches-du-Rhône, Vice-président de la Commission Développemet Durable et Aménagement du Territoire de l'Assemblée Nationale. Il est aussi président de l'Institut de l'économie circulaire.