L’actualité vue par Louis XVI : Syrie : livrer les kraks des chevaliers aux Mahométans?

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 2 septembre 2013 à 8h16

Lorsque tu avais déclaré la guerre au royaume du Tombouct, contre des bandes mahométanes, j'avais admiré l'audace avec laquelle tu déclarais des guerres barbaresques. Mais en lisant tes propos et ceux de tes courtisans sur une action belliqueuse contre la Syrie et son despote, mon esprit est pris d'un trouble.

D'abord, dois-je te rappeler que Bachar el-Assad, que tu veux punir, est l'héritier - lointain, je te le concède! - du penseur chrétien Michel Aflak, qui fonda, en 1947, le parti BAAS? Celui-ci prit le pouvoir en 1963, et sa faction anti-communiste dirigée par le père de Bachar, le fameux Hafez le-Assad, renoua rapidement avec la tradition ancienne des rois de Syrie. Mais il s'agit bel et bien d'un régime d'essence laïque, étranger à la religion mahométane que tu as combattue en Tombouct.

Tu me répondras que Bachar a noué de nombreuses alliances avec des forces mahométanes hostiles: les ayatollahs iraniens d'abord, le Hezbollah libanais. Je te concède tout cela... Mais tu sais aussi que les prétendues forces révolutionnaires qui mènent une prétendue guerre civile en Syrie sont toutes des faux nez pour des bandes de spadassins inféodés à la religion mahométane, telle qu'elle est pratiquée par les Qataris et les Saoudiens.

Tu sais aussi que ces Qataris et ces Saoudiens sont adeptes de la Suna, ce qui les rend irréconciliables avec Bachar el-Assad, avec les Iraniens, et avec toutes sortes de forces mahométanes. Surtout, ce sont les Saoudiens et les Qataris qui ourdissent, partout dans le monde, des complots contre les intérêts des nations européennes, en recourant volontiers à ce que tu appelles le terrorisme.

Penses-tu raisonnable de livrer la Syrie à ces forces sunnites?

En 1982, le père de Bachar, Hafez, avait massacré à Hama peut-être 10.000, peut-être 15.000 Mahométans qui s'étaient révoltés contre son régime, sous le commandement des Frères Musulmans. A cette époque, pas un gouvernement européen n'avait jugé utile d'entreprendre la moindre frappe aérienne contre son régime. Bien au contraire, les services américains, comme les services européens, s'étaient félicité de la stabilité de ce régime despotique.

Par quel revirement, l'armée française entreprendrait-elle d'attaquer un régime qui l'a toujours servie loyalement? Pour des motifs de basse politique, sans doute, mais certainement pas pour des raisons louables.

Mon cher François, tu sembles avoir décidé cette attaque sans même attendre la consultation des Etats du royaume. Les perfides Anglais se montrent bien plus sages que toi, puisqu'ils refusent de s'associer à cette folie. Permets-moi de te laisser mesurer à quels égarements tu exposes la France par ta hâte.

D'abord, tu soutiens ne pas vouloir destituer Bachar, mais seulement le punir ponctuellement pour sa méchanceté. Je doute fortement de la pertinence de ce raisonnement.

Tu dois connaître à l'avance le butin que tu souhaites prendre

Attaquer par morale n'est pas un principe de la politique entre les nations.

Si ton idée n'est pas de poser la première pierre d'une route qui nous mènera à la guerre et au renversement de ce régime, abstiens-toi d'agir, car le jeu n'en vaut pas la chandelle. Tu perdras beaucoup de crédit à donner le sentiment d'être le suiveur de tes maîtres américains, et tu ne gagneras rien en contrepartie.

Si ton objectif est simplement d'assurer la promotion des avions français par un coup de force où notre aviation brillera, là aussi, abstiens-toi. Car je ne vois guère qui achètera des Rafale sous prétexte qu'ils ont bombardé des villes syriennes. En revanche, je suis convaincu que tu te couperas de tes clients hostiles à la domination américaine. Et, pour les affaires intérieures au Royaume, tu donneras le sentiment d'être le jouet du lobby militaro-industriel auquel tu as déjà concédé cet été une loi de programmation militaire très avantageuse.

Maintenant, si ton idée est bel et bien de poser le premier jalon vers une guerre où nos troupes devraient intervenir, mesure froidement les graves désordres auxquels tu exposes le royaume. Ceux que les gazettes appellent les rebelles syriens, ou armée de libération nationale, sont des militants mahométans. Ils ne tarderont pas à occuper le pouvoir à Damas dès que tu auras renversé le régime baasiste. Très vite, la situation échappera à ton contrôle.

Ce changement aura une conséquence immédiate: cette terre, que les Européens ont de tous temps conservé dans leur zone d'influence, basculera dans l'espace mahométan des sunnites.

Rappelle-toi les ruines de Palmyre qui manifestent l'appartenance de la Syrie à l'empire romain. Rappelle-toi les kraks des chevaliers qui prouvent l'attachement du royaume chrétien de Jérusalem à cette terre. Rappelle-toi le mandat français obtenu en 1919 sur la Syrie elle-même. De longue date, la Syrie est un territoire qui nous est familier...

Tu seras le premier, dans l'histoire, à favoriser par une action militaire directe l'amputation de nos espace naturel au profit de puissances étrangères.

Conséquemment, la France s'exposera aux représailles des mahométans chiites. Quelle détestable situation! Alors que les Etats-Unis d'Amérique seront protégés par leur isolement océanique, les frontières de la France deviendront un filet à grosses mailles entre lesquelles s'infiltreront mille terreurs.

Mais au juste, quel bénéfice en retirerons-nous?

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "