Peu connu, ce statut juridique en vigueur depuis 2004 facilite les investissements transnationaux, qui financent la croissance de nos entreprises. Mais il peut être amélioré.
La convergence fiscale et sociale est l'un des défis majeurs de la construction européenne aujourd'hui. Elle est longue à finaliser et ardue. Nous pourrions contourner ces difficultés en encourageant la création d'entreprises de droit européen. Ces entités ne seraient dès lors plus des champions français ni allemands ni italiens, mais des champions européens. Cette nouvelle identité et l'uniformisation des règles fiscales et sociales qui l'accompagne faciliteraient les investissements étrangers et apaiseraient les craintes de l'opinion publique vis-à-vis des capitaux étrangers. D'ici à 2030, le montant des capitaux investis hors de leurs frontières devrait quadrupler par rapport à son niveau de 2015, offrant ainsi des opportunités de financement pour le développement de nos entreprises et la création d'emplois sur notre territoire.
Le statut existant n'est pas satisfaisant
Un statut juridique de la société européenne existe mais reste peu connu. Après 30 ans de négociations, il a été formalisé en 2001 et est entré en vigueur en 2004. Dix ans après sa transposition dans le droit français par la loi Breton de 2005, seule une vingtaine de groupes français l'avait adopté, dont Airbus Group, Allianz, Dassault Systèmes, LVMH, Schneider Electric ou encore Capgemini. Ainsi, seul 1% des sociétés européennes alors existantes étaient immatriculées en France, les entreprises allemandes et tchèques étant celles qui l'utilisent le plus. Ce statut offre un choix de gouvernance, par conseil d'administration seul ou par directoire et conseil de surveillance (cette forme dualiste existe en France mais pas en Allemagne), mais aussi la possibilité de transférer son siège social librement. Il implique la mise en place pour tous les salariés des différents pays d'un organe consultatif unifié. En revanche, les barèmes fiscaux applicables restent ceux de chaque pays d'activité.
Des aides européennes et des appels d'offres qui leur sont réservés visent à encourager le choix de ce statut, accessibles uniquement aux grandes entreprises (un capital de 120000 euros doit être apporté pour la constitution d'une société européenne). Le projet de créer un statut de PME européenne est en effet évoqué depuis des années, en vain.
Créer un nouveau statut et une fiscalité unifiée
Pour stimuler la création d'entreprises européennes, les conditions offertes par ce statut doivent être améliorées. Une expérimentation pourrait être menée au sein des premiers signataires du Traité de Rome en 1957 : l'Allemagne, la Belgique, la France, l'Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas : les entreprises européennes qui y seraient créées pourraient être soumises à un régime dérogatoire qui les affranchirait des barèmes nationaux en matière de prélèvements sociaux et fiscaux. Elles bénéficieraient de charges moindres, et penseraient une stratégie commune aux six pays à l’initiative de cette innovation de droit. La politique industrielle elle-même serait reconfigureée à cette échelle.
L'enjeu : renforcer nos fleurons européens face à la concurrence internationale
Le statut d’entreprise européenne ferait de fait voler en éclat les pudibonderies contre-productives des autorités européennes de la concurrence et il revendiquerait une promesse claire : permettre aux géants européens de renforcer leurs positions sur la scène internationale, face à des groupes américains historiquement puissants et à des empires industriels chinois qui font beaucoup parler d’eux, et qui ont à peine débuter leur essor. La croissance des entreprises est génératrice d’emplois. Mais qu’apporte l’actuelle politique européenne de la concurrence ? Un abonnement téléphonique à prix plancher et un gaz et une électricié à tarif compétitif, certes. Mais ne vaut-il pas mieux payer plus cher chaque mois pour se connecter à Internet de chez soi, mais en contrepartie vivre dans un pays où les entreprises trouvent un terreau fertile qui leur permet de pousser plus vite que n’importe où ailleurs, et où le taux de chômage s’établit à moins de 5% de la population active ?
Ces innovations politiques en Europe, tant dans les statuts de l’entreprise que dans une fiscalité unifiée, nous donneront également les moyens de tordre enfin le bras à tous les champions de l’optimisation fiscale sans vergogne, à commencer par les fantômes de l’économie collaborative. Ces structures sans immobilisations matérielles que je ne me lasse pas de mettre à l’index – comme Airbnb, Uber, Foodora et consors – cèderont aux exigences de versement de l’impôt sur les revenus de leur activite dans cet espace europeéen «premium», puisque tous les pays membres parleront d’une même voix, sans dumping fiscal ni social. À la clé, ce sont plusieurs milliards d’euros de recettes nouvelles qui seront à partager.