Un impôt unique et un revenu universel #BEST OF

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Par Gaspard Koenig Publié le 22 juillet 2014 à 2h29

Qui peut être satisfait du "modèle social français", ce maquis d'impôts et d'allocations empilés au fil des décennies, symptôme d'un paternalisme bureaucratique et méprisant ? Les pauvres ? Nombre d'entre eux, par fierté ou découragement devant la complexité des procédures, ne réclament même pas le revenu de solidarité active (RSA) auquel ils auraient droit. Les salariés ? Bien malin qui pourrait déchiffrer les trente lignes d'une feuille de paie, mélange de fausses cotisations et de vrais impôts. Les "smicards" ? Leur progression salariale est découragée par les effets de seuil. Les jeunes? Ils paient pour les retraités et les familles nombreuses. La complexité insondable et l'inefficacité patente du système sociofiscal représentent une insulte faite à chaque citoyen.

C'est pourquoi nous proposons, dans un rapport publié par le think tank Génération libre, de le refonder entièrement. Partons de considérations simples. Quelle est la première fonction de l'Etat régalien dans le domaine social ? Assurer la survie des membres du groupe. Et donc garantir à chacun un revenu minimum. Non pour vivre dans l'oisiveté, mais pour être en mesure d'effectuer ses propres choix.

Cette sécurité est le pendant de la responsabilité, puisqu'elle doit libérer les individus de la peur du lendemain, et l'administration de la tâche de multiplier sans fin les allocations, au gré des calculs électoraux. Nous baptiserons donc ce revenu minimum "Liber".

Calculé pour permettre de subvenir aux besoins fondamentaux, il prendra la forme non pas d'une somme versée à tous, mais d'un crédit d'impôt – système imaginé par le très libéral Milton Friedman (1912-2006) dans les années 1960 et étudié depuis par grand nombre d'intellectuels, de Lionel Stoléru à Michel Foucault (1926-1984) ou de dirigeants, de Richard Nixon (1913-1994) à Lionel Jospin !

IL ENCOURAGE LE TRAVAIL

Ce "Liber" sera financé par un impôt sur tous les revenus et au premier euro : la "Libertaxe". Pour chacun d'entre nous, la simple soustraction du montant du Liber (fixe et universel) à celui de la Libertaxe (proportionnelle aux revenus) aboutira automatiquement soit, pour les plus faibles revenus, à un "impôt négatif", somme versée en cash par la collectivité, soit, pour les plus hauts revenus, à un "impôt positif", contribution nette à la collectivité.

Le Liber permet donc de lutter contre la pauvreté, les sommes étant perçues sur le seul critère des revenus et se substituant aux allocations spécifiques. Il évite tout paternalisme en rendant les citoyens responsables de leurs propres choix (chacun est libre de dépenser comme il l'entend son impôt négatif).

Il encourage le travail, puisque les sommes touchées sous forme d'impôt négatif décroissent de manière parfaitement linéaire avec l'augmentation des revenus. Enfin, il permet aux mécanismes économiques de fonctionner sans entraves (avec un smic plus flexible, par exemple), tout en fournissant à tous un filet de sécurité adapté aux aléas des carrières et des vies, en particulier dans un monde de chômage structurel.

A quoi ressemblerait le Liber dans la France de 2014 ? Il remplacerait de nombreuses allocations, dont le RSA, la prime pour l'emploi ou les allocations familiales. De son côté, la Libertaxe, prélevée à la source et sur une base individuelle, se substituerait à l'impôt sur le revenu, à la contribution sociale généralisée, à l'impôt sur les sociétés et à tous les autres prélèvements qui encombrent la feuille de paie.

COMBIEN IL "DONNE", COMBIEN IL "REÇOIT"

A titre d'exemple, et toutes choses égales par ailleurs en termes de niveaux de fiscalité et de dépenses publiques, un Liber de 450 euros par adulte et de 225 euros par enfant impliquerait une Libertaxe de 23 % sur l'ensemble des revenus. Dans cette hypothèse, un quart de la population serait contributrice nette (payant l'impôt positif), et une bonne moitié récipiendaire nette (recevant l'impôt négatif).

Les grandes masses de redistribution ne seraient pas fondamentalement modifiées, sinon que les jeunes et les actifs se verraient traités plus équitablement, et que chacun comprendrait aisément combien il "donne" à la société et combien il en "reçoit". Par ailleurs, en supprimant des montagnes de formulaires intrusifs, le Liber permettrait d'intégrer les plus fragiles.

Le Liber représenterait une innovation dont la France pourrait être fière, et une rupture majeure dans l'histoire sociale. C'est ce que Michel Foucault percevait bien dans sa leçon du 7 mars 1979 au Collège de France, consacrée à l'idée de l'impôt négatif : "La seule chose importante, disait-il, c'est que l'individu soit tombé au-dessous d'un certain niveau et le problème est, à ce moment-là, sans regarder plus loin, et par conséquent sans avoir à faire toutes ces investigations bureaucratiques, policières, inquisitoires, de lui accorder une subvention telle que le mécanisme par lequel on la lui accorde l'incite encore à repasser au niveau du seuil. (…) C'est très important par rapport à tout ce qui avait été, depuis des siècles, élaboré par la politique sociale en Occident."

Une société où tous pourraient vivre dignement, sans assistanat ni paternalisme, est à portée de main.

Publié sur LeMonde.fr et repris avec l'aimable autorisation de l'auteur. Cet article a été initialement publié le 14 mai 2014.

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Ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, agrégé de philosophie, Gaspard Koenig est Président du think-tank GenerationLibre. Il est également l'ancienne plume de Christine Lagarde.

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