Depuis quelques années, la rémunération perçue par les dirigeants des grands groupes fait l’objet d’une publicité, ce qui alimente de nombreux commentaires, généralement négatifs. Le public a ainsi découvert que les grands patrons étaient de véritables stars dont les salaires se chiffraient en millions d’euros, considérant ces rémunérations disproportionnées par rapport à celles que perçoivent leurs salariés.
Cette transparence, louable en soi a eu l’effet inverse de celui attendu puisque la connaissance de cette information a permis à certains de justifier un alignement vers le haut. « Comment, vous ne voudriez pas que je touche moins qu’intel, alors que je performe mieux que lui ! » justifiaient les dirigeants les moins bien payés auprès de leur comité des rémunérations « indépendant » qui ne pouvait que s’exécuter, généralement sous la menace d’un départ dans un groupe concurrent mieux disposé à payer ses dirigeants. C’est ainsi que la publication des rémunérations des dirigeants a commencé par avoir un effet, positif pour les dirigeants, mais négatif pour la compétitivité. Le contre-feu s’est allumé avec la crise et aujourd’hui, c’est l’opinion publique qui se rebelle !
Les règles de bonne gouvernance, avec les administrateurs indépendants et les comités des rémunérations n’ont pas su limiter l’inflation galopante des rémunérations versées aux dirigeants des grands groupes cotés.
Les commentateurs s’attachent plus aux évolutions d’une année sur l’autre ce qui n’est pas l’objet du courroux des salariés ; ceux-ci faisant simplement une comparaison avec leur « net à payer » figurant sur leur propre bulletin de salaire. Ainsi l’augmentation de 4 % en 2011 peut paraitre raisonnable, surtout si l’on tient compte des éléments exceptionnels, mais, si l’on se souvient que l’augmentation avait été de 34 % en 2010, cela n’a plus beaucoup de justification, sinon la simple application des conventions contractuelles !
Mais que peut-on faire pour réconcilier les grands patrons et l’opinion publique ? Le gouvernement a commencé par taxer à 75 % les rémunérations supérieures à 1 million d’euros. Malgré des cris d’orfraie des hommes politiques de droite en pleine campagne électorale, une large majorité des français a considéré que cette taxation était un moyen de corriger une injustice.
En fiscalité nous connaissons la notion d’abus de droit qui permet à l’administration fiscale de sanctionner les contribuables qui ont fait un usage abusif de la réglementation. Ne pourrait-il en être de même en matière de rémunération des dirigeants, lorsque, bien que le formalisme juridique et les conventions contractuelles de calcul des rémunérations aient été respectés, la situation économique de l’entreprise ou sa performance s’est dégradée ? Comment expliquer aux salariés licenciés pour cause de restructuration industrielle que leurs dirigeants voient leur rémunération augmenter ? Ils ne comprennent déjà pas pourquoi les cours de bourse augmentent quand l’entreprise licencie !
Rappelons qu’en matière fiscale les rémunérations des dirigeants de société passibles de l’impôt sur les sociétés sont déductibles des résultats imposables à condition de ne pas être exagérées. Si les rémunérations excèdent la rétribution normale du travail effectivement fourni, les rémunérations sont rapportées au bénéfice imposable et sont taxées comme des revenus mobiliers, pour un montant majoré de 25 %.
Pour apprécier le caractère normal des rémunérations directes et indirectes, l’administration compare ces rémunérations avec celles de personnes occupant un poste analogue dans des entreprises similaires. Elle compare également le niveau des rémunérations avec l’importance des résultats ou des salaires des autres membres du personnel. Ce dernier critère pourrait être plus souvent pris en compte.
Pour les dirigeants, le gouvernement a tranché en taxant à 75 % les revenus au-delà de 1 million d’euros. Mais pour les sociétés, la non-déductibilité des rémunérations excessives pénalise leurs actionnaires qui sont alors fondés à demander des comptes aux dirigeants. Mais les actionnaires ont-ils encore un réel pouvoir dans les assemblées ?
Au plan pénal, seuls les magistrats ont le pouvoir d’apprécier si des rémunérations que l’on peut considérer comme excessives constituent un délit d’abus de biens sociaux ; encore faut-il pouvoir démontrer un agissement de mauvaise foi ! Enfin, il serait instructif que l’on compare les plus hauts revenus toutes activités confondus, qu’ils concernent des patrons, des traders, des sportifs, des artistes, etc…, et qu’on les apprécie par rapport à l’impact économique qu’ils engendrent ; cela relativiserait le jugement que l’on peut porter sur ces rémunérations.
Mais, pour retrouver une échelle des rémunérations acceptable par les citoyens, faudra-t-il qu’ils descendent dans la rue ou qu’ils fassent la révolution contre les « nouveaux privilèges » ?