Alors que les présidents de clubs se font la guerre et que la LNR va contracter un emprunt de 15 M€, le spectre d’une saison blanche aux répercussions économiques désastreuses inquiète le monde du rugby. Une planète ovale qui pourrait justement en profiter pour se remettre en question et solidifier son système.
Présidents de clubs ou de Ligue, tous s’inquiètent, en raison du report des matches de Top 14, l’économie des clubs français est en grand danger. Quelques matches en moins et c’est tout un système qui pourrait s’effondrer. Une situation qui interpelle sur la fragile structuration de ce sport et qui doit conduire à une profonde remise en question et d’indispensables réformes.
Un constat alarmant
Depuis le RC Toulon - Stade Français du 1er mars, aucune rencontre de l’élite n’a eu lieu dans l’hexagone, les 18ème, 19ème et 20ème journées du Top 14 ayant été annulées. Une situation qui, en raison du confinement va perdurer. Dans l’hypothèse où cette mesure sanitaire prendrait effectivement fin le 11 mai prochain, ce seront à minima six journées qui devront être reprogrammées. Dans l’absolu, ce n’est pas grand-chose et pourtant, c’est l’avenir du rugby professionnel en France qui est en jeu.
En effet, au contraire de leurs homologues du ballon rond, un tel report pourra très difficilement être comblé pour arriver au bout du championnat tant ce sport a des contraintes exigeantes. Sport excessivement traumatique, il interdit de facto la possibilité d’une accélération du rythme du championnat pour passer à un match tous les trois jours dès la levée du confinement. Une sortie de crise qui ne pourra d’ailleurs pas déclencher une reprise immédiate. Les entraîneurs sont unanimes, il faudra au moins quatre semaines de préparation pour que des joueurs privés d’entraînement soient en capacité d’encaisser une rencontre professionnelle.
Dès lors, il devient particulièrement difficile d’imaginer un Top 14 auquel il reste douze dates aller à son terme dans sa formule actuelle voire même être en mesure de désigner un champion. Au delà des conséquences sportives, ce sont les répercussions économiques qui inquiètent. Sans match, pas de diffusions et sans diffusions, pas de droits télé. Canal+ a d’ors et déjà annoncé qu’elle ne paierait pas la prochaine échéance de la Ligue 1 et laisse planer le doute sur les 15 M€ restant à payer pour le Top14. Sans match, pas non plus de recettes billetteries... Bref, ce sont tous les clubs qui vont se retrouver privés de leurs revenus avec des risques réels de dépôt de bilan.
Une harmonisation indispensable
Des difficultés que l’on retrouve dans tous les championnats ainsi que dans les fédérations, notamment de l’hémisphère sud qui sont dépendantes des rentrées d’argent générées par des tournées d’été grandement menacées. La Fédération Américaine vient d’ailleurs d’annoncer son dépôt de blan... Deux mois sans compétitions suffiraient donc à mettre le rugby mondial au bord de la banqueroute. Une situation ubuesque qui trouve sa source dans une organisation incohérente où chacun fait sa tambouille de son côté, les matches et les compétitions se superposant sans aucune harmonie.
À force de voir chaque fédération ne penser qu’individuellement, aucune n’a de marge pour absorber une crise ponctuelle comme celle qui nous frappe actuellement. Les situations de doublons étaient déjà iniques sportivement, elles en deviennent dangereuses structurellement. Cette pause doit être l’occasion pour tous les acteurs de ce jeu, tous les « stakeholders » (joueurs, clubs, ligues, f édérations...) français comme étrangers de prendre du recul et de se réunir d’urgence pour enfin se pencher sur la création d’un calendrier commun aux deux hémisphères, permettant d’harmoniser les temps forts des différentes compétitions.
Des solutions existent et ne peuvent plus être éludées pour des raisons uniquement pécuniaires. Cette crise est l’opportunité unique d’arrêter d’occulter les aberrations de gouvernance d’un sport qui fait globalement n’importe quoi depuis des décennies pour tout remettre à plat. Pourquoi ne pas penser, par exemple à une année sportive divisée en deux temps forts : les clubs pour commencer avec les compétitions nationales puis continentales, les équipes nationales ensuite pour couronner la saison avec une tournée puis un Six Nations et un Four nations concomitants. Cette hypothèse, une parmi d’autres, permettrait de rationaliser les compétitions tout en clarifiant la situation des joueurs vis-à-vis de leur club et de leur fédération.
Le rugby vit un tournant de son histoire, une occasion unique depuis sa professionnalisation encore récente de se repenser et de se réorganiser. Les instances doivent impérativement s’en rendre compte avant d’aller dans le mur.