Le tableau de commerce alléchant avec l'Iran, comporte aussi des risques et des obstacles qui pourraient provoquer des dégâts.
Au terme d’une longue négociation, le groupe Renault a finalisé le 7 août un contrat portant sur un joint-venture avec des constructeurs automobiles iraniens. Selon les termes du contrat, 60% des actions de la société ainsi créée seront détenues par Renault, la société iranienne étatique IDRO (Industrial Development and Renovation Organization of Iran) en détiendra 20 % et, 20 % reviendront à « Néguine-Khodro », une autre société en apparence privée. L’objectif déclaré est d’augmenter la production de modèles différents de véhicules Renault pour atteindre 150 000 unités par an.
Ce contrat s’ajoute à la longue liste des transactions des entreprises françaises avec l’Iran dans la période qui a suivi l’accord nucléaire (appelé Plan d'action global commun ou JCPOA) avec les six puissances mondiales, conclu en juillet 2015. À ce moment, Hassan Rohani, président de l’Exécutif iranien, suivi par Mohammad-Reza Ne’matzadeh, son ministre de l’Industrie, du Commerce et des Mines, s’étaient rendus à Paris.
Côté français, deux ministres des Affaires étrangères, Laurent Fabius puis Jean-Marc Ayrault, ainsi que les ministres de l’Économie, des Transports, du Commerce extérieur, de l’Agriculture et de l’Enseignement supérieur étaient allés à Téhéran.
Sur le plan des relations économiques, selon un rapport de Muriel Pénicaud, ancienne directrice de l’Agence française pour les investissements internationaux, depuis la signature de l’accord nucléaire, des responsables de plus de 300 entreprises françaises ont visité l’Iran et plus de 2000 sociétés ont exprimé leur souhait de travailler avec des partenaires iraniens.
Le contrat le plus important a été signé par le pétrolier Total : une participation de plus de 50 % dans un investissement d’environ 4,8 milliards de dollars pour le développement d’un gisement gazier au large des côtes sur le Golfe persique. D’autres contrats importants ont aussi été signés ou sont en cours de négociation :
- La vente de plus d’une centaine d’Airbus, des négociations en cours pour la vente d’une quarantaine d’avions moyen-courriers ATR, des contrats du groupe PSA (Peugeot-Citroën) avec les groupes iraniens « Iran-Khodro » et « Saipa », celui d’Alsthom avec les sociétés iraniennes IDRO et IRICO pour la construction de rames de trains… Ainsi que des contrats de joint-ventures dans divers domaines.
Ce qui a eu pour résultat, « une augmentation de 235 % des échanges commerciaux entre l’Iran et la France en 2016 », selon Michel Sapin, alors ministre de l’Economie et des Finances, dans un entretien avec le quotidien iranien « Donyay-e Eghtesad » dans son numéro du 4 mars 2017.
L’Iran avec ses 80 millions d’habitants et un marché avide de consommation se présente comme un pays aux conditions favorables pour les affaires, mais ce tableau alléchant comporte aussi des risques et des obstacles qui pourraient agir contre le processus en cours, voire finalement provoquer des dégâts et des pertes financières importantes.
Premier obstacle :
Sur le plan international, l’intransigeance du président américain Donald Trump vis-à-vis du pouvoir iranien en lui infligeant de nouvelles sanctions est un handicap majeur pour les investisseurs potentiels. En raison de cette nouvelle approche de la Maison Blanche, une remise en cause de l’accord nucléaire devient de plus en plus plausible. Même sans prendre en compte ces doutes, le vote, à la quasi-unanimité des deux chambres du Congrès américain de la loi de sanctions contre le Corps des gardiens de la révolution iranienne (CGRI / Pasdaran) en juillet 2017 est de nature à rendre toute transaction avec l’Iran un risque à forts préjudices.
Premièrement, parce que la loi en question empêche les grandes banques européennes de financer les transactions avec l’Iran, par crainte des mesures de rétorsion américaines.
La deuxième raison de risque est due au fait que la plupart des entreprises iraniennes sont liées, d’une manière ou d’une autre, aux pasdaran et/ou à leurs partenaires et se trouvent toutes sur la liste noire américaine.
Une étude sur l’évolution de l’économie politique en Iran que l’auteur de cet article a réalisée en 2015, montre comment sur une période de dix ans, de 2005 à 2015, les pasdaran et leurs affidés ont pris le monopole des plus grandes entreprises iraniennes en constituant un réseau de 14 grands pôles économiques.
De cette situation, il résulte que toute entreprise étrangère qui entre en relations commerciales avec l’Iran, se trouve, de manière visible ou invisible, impliquée dans des relations avec les Pasdaran. Quelques exemples parmi d’autres :
- Avec son investissement dans un gisement gazier en Iran (Pars Sud), le groupe pétrolier Total a créé un partenariat avec une société iranienne et une société chinoise. Petropars, la société iranienne, fait partie de Naftiran Intertrade Company, qui à son tour fait partie de la compagnie Nikou. Or, cette dernière a été impliquée à fond, au cours de ces dernières années, dans des opérations de blanchiment d’argent et de financement du programme de missiles des pasdaran. C’est pour cette raison que les Etats-Unis ont mis cette société sur leur liste de sanctions en 2010, 2012 et 2013.
- Le consortium Airbus a vendu une centaine de gros et moyen porteurs à l’Iran, alors que la totalité de la flotte iranienne, dont les avions de ligne de la compagnie Iran Air, est depuis plusieurs années fortement soupçonnée d’être utilisée pour le transfert de troupes des Pasdaran CGRI et d’armements et de munitions depuis l’Iran à destination de la Syrie.
Lors de la livraison du premier Airbus à Téhéran, le 13 janvier dernier, Abbas Akhondi, le ministre de Transports, avait déclaré que les passagers du premier vol seraient des membres de familles des Pasdaran en voyage pour un pèlerinage à la ville de Machad.
- Le groupe PSA (Peugeot-Citroën) a réalisé un investissement en partenariat avec la société iranienne « Saipa », alors que cette dernière fait partie du groupe « Bahman » appartenant aux Pasdaran.
- La K.B.C Trading Co. est le représentant unique du laboratoire pharmaceutique français Sanofi Pasteur en Iran. La K.B.C Trading Co. est l’une des filiales de la Société pharmaceutique Barakat (Barakat pharmed co.), une des sociétés des plus rentables d’un organe qui gère les bénéfices pour le compte du Guide suprême (un organe nommé « Le QG d’exécution des ordres de l’Imam Khomeiny », plus connu sous le nom de Setad ou QG en persan).
- L’un des partenaires du contrat signé avec le constructeur Renault le 7 août est la société « Néguine-Khodro » appartenant en apparence au secteur privé, mais qui est en réalité l’une des sociétés aux dirigeants extrêmement corrompus, liée aux Pasdaran. Au cours des trois dernières années, des manifestations de protestation, parfois avec des foules de plus de 4000 personnes ont été organisées devant les bureaux de cette société pour réclamer en vain leur argent « volé » par ses dirigeants
En fait, on peut difficilement imaginer de faire des transactions commerciales ou autres en Iran sans la présence des pasdaran d’un bout à l’autre de la chaîne.
Deuxième obstacle :
L’autre problème majeur concerne la situation politique d’Hassan Rohani à la tête du gouvernement. Actuellement, une lutte sans merci pour le pouvoir fait rage en Iran. D’un côté, le président aux pouvoirs bien restreints, de l’autre le Guide suprême qui détient tous les leviers dans tous les domaines politiques, sécuritaires, militaires, financiers et religieux. Même si l’expérience de 38 années passées a montré qu’aucune des factions du pouvoir théocratique n’est modérée, ni capable de le devenir, l’Union européenne (dont la France) semble toujours privilégier la faction dirigée par le président, le croyant modérée. C’est avec cette vision des choses que l’UE s’est investie dans des relations économiques avec l’Iran dans l’espoir de voir les développements internes et internationaux aller dans le sens du renforcement de la position d’Hassan Rohani.
Cependant, cette politique ne fait pas l’unanimité au sein même de l’UE. Des pays comme le Royaume-Uni, un des signataires de l’accord nucléaire - qui reste jusqu’à nouvel ordre membre de l’Union -, ou la Pologne, s’y opposent. Côté iranien, cette politique se heurte à l’intervention militaire de l’Iran et l’occupation de fait de la Syrie par les pasdaran, d’une part, et à la poursuite du programme balistiques iranien, de l’autre. Tout ceci va à l’encontre de la politique de la France au Proche-Orient.
Troisième obstacle :
Une logique politique, et non uniquement commerciale, est à l’origine des contrats signés par des entreprises françaises avec des sociétés iraniennes. Une analyse de près et au cas par cas de ces transactions montre clairement que c’est la partie française qui en bénéficie le plus et non la partie iranienne. C’est que pour des raisons politiques, le gouvernement iranien insiste sur la multiplication de ce genre de contrats pour inciter l’UE, et plus particulièrement la France, à rester de son côté face aux Etats-Unis.
Ainsi, si la situation du pouvoir iranien à l’intérieur et sur la scène internationale s’améliore, ces contrats seront sans doute remis en cause. A l’inverse, si la situation de la théocratie iranienne continue à se dégrader et sa confrontation avec les Etats-Unis à s’exacerber, les transactions françaises tomberont également sous le coup des sanctions américaines.
A la lumière de ces faits, les entreprises françaises ont fait preuve de beaucoup de courage en faisant des affaires avec l’Iran. Mais cela reste un pari extrêmement risqué.