EXCLUSIF : le plan du gouvernement pour éviter les coupures d’électricité cet hiver

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Par Jean-Baptiste Giraud Modifié le 13 décembre 2022 à 20h37
energie enedis eau chaude
30 %Peu de gens le savent, mais Linky tolère jusqu'à 30% de dépassement de consommation électrique ! Soit près de 9 kVA pour un contrat 6 kVA...

EXCLUSIF

C'est désormais un fait avéré : la France risque de subir des coupures d'électricité cet hiver, car la somme des moyens de production d'électricité français est inférieure de 10 GW aux pics habituels des années précédentes... Pourtant, pour éviter les délestages, le gouvernement dispose d'un plan B quasi messianique, qui devrait être annoncé prochainement.

Et si cette crise était l'occasion d'accélérer le passage au "smart grid", alias "réseau électrique intelligent" ? Un "smart grid" est un réseau de distribution d'électricité communiquant, permettant de réguler au plus juste la production d'électricité en fonction de la demande. Mais avec la crise de l'énergie dans laquelle nous plongeons tête baissée, avec la fin des "temps de l'abondance et de l'insouciance", c'est tout l'inverse qui pourrait être demandé aux réseaux intelligents demain. A savoir, d'ajuster la consommation d'électricité, aux capacités de production !

Ne pensez pas que la différence est purement sémantique. C'est surtout une approche totalement différente. Jusqu'ici en effet, les capacités de production d'électricité progressaient plus vite que la consommation, ou tout au moins, proportionnellement. En fixant pour point haut, à cette capacité de production, les pics de consommation.

Mais aujourd'hui, avec la moitié des réacteurs à l'arrêt, des retenues d'eau mal remplies, et un gaz hors de prix, le "point haut" devient tout simplement impossible à atteindre, et pas seulement en France. Et les capacités d'ajustement, en achetant de l'électricité à nos voisins, frisent l'utopie, avec un MWh vendu 1000 euros, contre 85 euros l'an dernier. Sachant que si les centrales au gaz allemandes n'ont plus de gaz à brûler, même à 10 000 euros le MWh, elles ne pourront plus produire un seul électron.

Linky, le dernier rempart anti délestage ?

Conscient de cette situation, le gouvernement annonce donc que des délestages sont possibles cet hiver, tout en assurant que tout serait fait pour les éviter. C'est pour cela que les articles 33, 34 et 42 de la loi du 16 août 20202 portant mesures d'urgences pour la protection du pouvoir d'achat, prévoient des mesures d'effacement de consommation, mais aussi, la mise à disposition forcée des groupes électrogènes de secours des grosses industries, pour venir au secours d'un réseau électrique à genoux.

Parmi les autres mesures possibles connues, qui précèdent le délestage, prévues en dernier recours, Enedis peut réduire la tension de 5% sur le réseau électrique national. Une solution technique sans impact sur les appareils électriques et leurs utilisateurs (les œufs au plat mettront plus de temps à cuire, et les téléphones à charger), mais qui permet d'économiser l'équivalent de deux ou trois tranches de réacteurs nucléaires.

En revanche, une mesure n'a pas été évoquée jusqu'ici, alors même que les conditions pour y avoir recours sont réunies pour la première fois : C'est Linky ! Le déploiement du compteur intelligent et communicant Linky, entamé en 2015 -avec sa cohorte de polémiques sur les rayonnements dont il se rendrait coupable, ou encore, sur les atteintes à la vie privée- est en effet quasiment achevé. Au 31 décembre 2021, plus de 9 foyers sur 10 étaient désormais équipés d'un compteur Linky. Et dans le lot des foyers "récalcitrants", une part non négligeable de petits consommateurs, notamment dans des résidences secondaires inaccessibles aux prestataires techniques. lors des campagnes d'installation. Des abonnés pour lesquels le rapport coûts / bénéfices de l'installation d'un compteur Linky, en déplaçant spécialement un technicien pour cela, est faible.

Linky permet d'ajuster la puissance de consommation électrique à distance

Or, l'un des atouts du compteur Linky, outre de faire remonter en temps réel la consommation électrique de l'abonné qu'il dessert, c'est qu'il peut être "joint" par l'opérateur de réseau, en l'occurence, Enedis. Un opérateur qui peut, à la demande de l'énergéticien, moduler à distance la puissance maximale délivrée par le compteur ! Auparavant, il fallait déplacer un technicien, qui devait ouvrir le compteur, et déplacer un domino pour changer la puissance du compteur. Aujourd'hui, c'est une simple ligne de commande informatique, sur le contrat de l'abonné, qui module la puissance maximale délivrée par Linky !

Vous l'avez compris : Plutôt que de délester à tour de rôle pendant quelques minutes ou dizaines de minutes des centaines de milliers d'abonnés, il serait plus "simple", en tout cas, beaucoup plus acceptable socialement, de réduire la puissance appelable par tous les abonnés équipés d'un compteur Linky. Si la puissance appelable est garantie par contrat, il ne fait aucun doute qu'en situation d'urgence, celle-ci peut-être réduite unilatéralement par l'énergéticien, ou l'opérateur de transport. Un décret ou une loi devra sans doute l'autoriser expressément dans les semaines à venir, même si les contrats actuels prévoient déjà les situations d'urgence, et exonèrent de responsabilité énérgéticiens et transporteur, quand ils sont dans l'impossibilité de répondre à leurs obligations contractuelles (incendies, inondations, dégats sur les lignes à la suite d'une tempête, etc).

La tolérance de 30% des compteurs Linky supprimée ?

La seule part d'inconnue actuelle, c'est la possibilité de réduire plus "finement" les puissances appelables par les abonnés. Actuellement les abonnements proposés sont standardisés : 3, 6, 9, 12, 15 kVA, et plus, pour les grosses installations en triphasé. Des seuils héritiers du temps où la limitation de puissance était physique, et donc, déterminée par un circuit et un composant dédié. Aujourd'hui, c'est un logiciel qui mesure la puissance appelée à un instant T. D'ailleurs, peu de gens le savent, mais un compteur Linky paramétré en 6 kVA peut en réalité délivrer pendant plusieurs heures sans problème jusqu'à 8950 kVA sans disjoncter !

Pour éviter les délestages, Enedis pourrait donc déjà réduire, voire supprimer totalement la tolérance des compteurs Linky, sans déroger aucunement à ses obligations contractuelles. A l'inverse, réduire la puissance appelable des abonnés, en s'en tenant aux seuils 3, 6, 9, 12 kVA, etc, paraît plus compliqué : 7 abonnés français sur 10 ont en effet souscrit à un contrat 6 kVA ! Basculer sur un contrat 3 kVA serait vraiment contraignant, et sous-dimensionné, pour la plupart des usages. 3 kVA, sans tolérance de Linky, c'est en effet la garantie de faire sauter le compteur en allumant deux feux d'une plaque à induction, ou encore en lançant le sèche-linge et le lave-vaisselle en même temps. On ne parle même pas ici de convecteurs électriques...

Autre solution pour Enedis et les fournisseurs d'électricité : écrêter la consommation des gros clients. Ceux des contrats 9, 12, 15 kVA et plus. Des clients auxquels il pourrait être imposé de réduire la puissance maximale appelable de 30% par exemple, sans que cela ne nuise (trop) à leur usage de la fée électricité. Un abonné titulaire d'un contrat 12 kVA, un classique pour quiconque se chauffe à l'électricité, serait alors contraint de se contenter de 9 kVA maximum. Il pourrait pourtant continuer à chauffer les pièces principales de son logement, et faire la cuisine à l'électricité en même temps. A charge pour lui de reporter ses consommations décalables (lave-linge, lave-vaisselle, sèche-linge) la nuit, sachant que le plus souvent, la production d'eau chaude sanitaire se fait déjà pendant les heures creuses pour ces clients gros consommateurs d'électricité.

On le voit, l'hypothèse "Linky" permettrait de gérer la crise énergétique qui est devant nous avec beaucoup plus de finesse, voire même de poser les bases d'un vrai futur réseau électrique intelligent. Car dans un vrai réseau électrique intelligent, les appareils gros consommateurs d'énergie se mettent en marche tout seuls, en fonction de la puissance disponible sur le réseau. Mais pour cela, c'est tout notre électroménager qu'il faudra remplacer (ou adapter), afin de le rendre compatible avec les "ordres" envoyés sur le réseau électrique... En 2022, les Français n'y sont sans doute pas prêts. Mais qui sait, l'an prochain ?

Photo Jean Baptiste Giraud

Jean-Baptiste Giraud est le fondateur et directeur de la rédaction d'Economie Matin.  Jean-Baptiste Giraud a commencé sa carrière comme journaliste reporter à Radio France, puis a passé neuf ans à BFM comme reporter, matinalier, chroniqueur et intervieweur. En parallèle, il était également journaliste pour TF1, où il réalisait des reportages et des programmes courts diffusés en prime-time.  En 2004, il fonde Economie Matin, qui devient le premier hebdomadaire économique français. Celui-ci atteint une diffusion de 600.000 exemplaires (OJD) en juin 2006. Un fonds economique espagnol prendra le contrôle de l'hebdomadaire en 2007. Après avoir créé dans la foulée plusieurs entreprises (Versailles Events, Versailles+, Les Editions Digitales), Jean-Baptiste Giraud a participé en 2010/2011 au lancement du pure player Atlantico, dont il est resté rédacteur en chef pendant un an. En 2012, soliicité par un investisseur pour créer un pure-player économique,  il décide de relancer EconomieMatin sur Internet  avec les investisseurs historiques du premier tour de Economie Matin, version papier.  Éditorialiste économique sur Sud Radio de 2016 à 2018, Il a également présenté le « Mag de l’Eco » sur RTL de 2016 à 2019, et « Questions au saut du lit » toujours sur RTL, jusqu’en septembre 2021.  Jean-Baptiste Giraud est également l'auteur de nombreux ouvrages, dont « Dernière crise avant l’Apocalypse », paru chez Ring en 2021, mais aussi de "Combien ça coute, combien ça rapporte" (Eyrolles), "Les grands esprits ont toujours tort", "Pourquoi les rayures ont-elles des zèbres", "Pourquoi les bois ont-ils des cerfs", "Histoires bêtes" (Editions du Moment) ou encore du " Guide des bécébranchés" (L'Archipel).

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