Ça traîne ! ça lambine ! ça tergiverse ! La nomination du haut-commissaire à la réforme des retraites a été prise par décret en date du 11 septembre 2017. Emmanuel Macron ayant été élu le 7 mai, cela faisait déjà 4 mois pour décider qui conduirait la réforme la plus importante et la plus délicate du quinquennat, alors que 5 années constituent un délai très court pour réaliser une telle opération. Et depuis lors, tout avance à la vitesse de l’escargot.
A commencer par la prise de conscience des députés du parti présidentiel : leur tête de file n’a rien trouvé de mieux que demander, il y a quelques jours, une indexation des pensions modestes (et d’elles seules) sur l’indice des prix à la consommation, comme si une telle opération était facile à réaliser ! Dans un système à 40 régimes, où chaque retraité perçoit en moyenne près de 3 pensions, et où les décisions sont prises par de multiples instances, c’est un véritable casse-tête, comme l’ont expliqué Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’épargne, votre serviteur, et quelques autres économistes au courant du fonctionnement de notre système de retraites. Les parlementaires feraient mieux d’apprendre comment fonctionnent nos retraites, et ce qu’il faut faire pour passer au régime unique, que de lancer des idées irréalistes.
La réforme des régimes spéciaux
Or, précisément, arrive sur le tapis – tardivement, certes, mais mieux vaut maintenant que dans un an – la question des régimes spéciaux (fonctionnaires, SNCF, RATP et quelques mini-régimes), et celle des régimes des professions libérales. Et le Haut-commissaire, enclin à ménager la chèvre et le chou, dit à la fois qu’il faut un système universel, mais pas un régime unique, certains régimes pouvant selon lui, faire l’objet de dérogations. Les Chrétiens ont un seul Dieu en trois personnes ; le Haut-commissariat a semble-t-il en tête un seul système en N régimes – le nombre N restant à préciser. Le temps et le nombre de conciles qui ont été nécessaires pour arriver au dogme trinitaire augurent mal de celui qu’il faudra à notre Pape des retraites et à ses successeurs pour déboucher sur un concept opérationnel acceptable par les remuants dignitaires que nos conciles républicains cherchent à mettre d’accord.
Mieux vaudrait adopter un style à la Maurice Clavel, qui titrait en 1977 : Dieu est Dieu, non de Dieu ! Soyons réalistes : un régime unique est un régime unique, nom d’une pension ! Ce qu’il nous faut construire, ce n’est pas une nouvelle mosaïque de régimes à laquelle on aura donné le nom de système unique, mais vraiment un seul ensemble de règles applicables sans exception à tous les assurés sociaux.
Quid alors des spécificités professionnelles, de la dangerosité de certains métiers, de la fatigue particulière engendrée par certains autres ? Eh bien ! la solution est là, sous notre nez, elle nous crève les yeux : c’est la capitalisation ! La retraite par répartition est par nature une institution nationale faite pour attribuer à chaque assuré social des droits acquis selon des règles identiques. En revanche, la capitalisation permet de tenir compte de tous les cas particuliers, et notamment de la dangerosité et de la pénibilité du travail.
Les fonds de pension peuvent fournir des solutions sur mesure
Un militaire sert sur un théâtre d’opération ; il y risque sa vie : l’armée doit rémunérer ce « risque du métier », et il serait normal que sa rémunération comporte la prise en charge par le Trésor public de 3 formules complémentaires : une assurance-vie (pensons au conjoint survivant et aux enfants) ; un fond de pension (qui lui procurera une rémunération différée) ; et des primes (un supplément par rapport à la solde ordinaire).
Un ouvrier ou technicien travaille sur des chantiers où l’on ne s’arrête ni s’il pleut, ni s’il vente, si s’il fait une chaleur d’enfer : il a évidemment droit à recevoir davantage, à qualification égale, qu’un autre dont l’activité se déroule dans un cadre nettement plus cool. Il serait bon que le supplément de rémunération auquel il a droit prenne, pour une part importante, la forme d’un abondement à un fonds de pension assez souple pour, par exemple, lui rendre possible de prendre une retraite précoce en recevant pendant quelques années une rente qui lui permettra de bien vivre en attendant sa pension du régime unique par répartition.
De telles solutions ne sont pas seulement très adaptables aux cas particuliers, capables de fournir du « sur mesure » ; elles ont aussi le gros avantage de faire payer tout de suite l’employeur. Cela serait extrêmement sain pour nos finances publiques, qui fonctionnent pour une part notable en contradiction avec le principe constitutionnel plein de bon sens selon lequel toute dépense doit être inscrite au budget de l’année durant laquelle la dette correspondante prend naissance.
Pour le comprendre, reprenons le cas de notre militaire qui crapahute au Mali ou en Syrie. Lui donner chaque année deux annuités de retraite par répartition revient à différer jusqu’à son départ à la retraite le paiement par le Trésor d’une partie notable du coût de l’opération militaire. Le budget OPEX (opérations extérieures) sous-estime ainsi systématiquement le coût des dites opérations. C’est à la fois malsain et contraire à la Constitution. Si le Trésor cotisait à un fonds de pension, au lieu que soit attribuée une année d’ancienneté fictive pour le calcul de la pension, nous aurions enfin des comptes de l’Etat moins mensongers !
Pour les agents d’EDF ou de la SNCF soumis à des conditions de travail particulièrement difficiles, ce qui n’est pas le cas de tous, la capitalisation est capable de fournir des solutions sur mesures, comme pour les militaires dont nous venons de parler.
Seul un recours aux fonds de pension permettra de mener à bien rapidement l’unification des retraites par répartition
Si le Haut-commissariat se met à chercher comment adapter le « système unique » à plusieurs dizaines de régimes possédant chacun des spécificités, il nous fera évidemment, selon la formule consacrée, « du nouveau, mais du nouveau strictement semblable à l’ancien ». Et ce sera un quinquennat perdu pour une réforme indispensable, une réforme capable d’apporter un avantage compétitif notable à l’entreprise France, et une amélioration importante au bien-être des Français. Il est donc vital de ne pas se laisser berner par la formule « système unique », destinée à faire passer une réformette sans grand intérêt, et de tenir fermement le cap du régime unique.
C’est vital, et, fort heureusement, c’est possible. Car la souplesse de la retraite par répartition peut être formidablement augmentée, surtout si Jean-Paul Delevoye a l’intelligence et le courage de tirer toutes les conséquences d’un constat qu’il a fait lors d’une de ses rencontres avec des assurés sociaux : à savoir que les cotisations, en répartition, ne préparent nullement les futures pensions, puisqu’elles sont immédiatement reversées aux retraités.
Dès lors que l’on comprend le fonctionnement économique de la répartition, par rapport auquel son fonctionnement juridique est en porte-à-faux, beaucoup de choses deviennent possibles. Pour être bref, disons que la répartition est une forme particulière de capitalisation, celle qui mise sur le capital humain – la capacité productive de la personne humaine. Je ne répéterai pas dans ce bref article ce que j’ai écrit dans beaucoup d’autres, et dans La retraite en Liberté (Le Cherche-midi, 2017) : disons seulement que l’investissement dans la jeunesse (et subsidiairement dans la formation continue) devrait être la source des droits à pension dans le régime unique. Dès lors, il serait possible d’autoriser chaque assuré social à contribuer, pour une part, volontairement, et donc de se préparer ainsi une meilleure retraite, ou un départ plus précoce. De même pourrait-on résoudre élégamment le délicat problème des pensions de réversion, en les remplaçant par des techniques de rentes sur deux ou plusieurs têtes, techniques bien connues des actuaires, et tout-à-fait au point.
Boileau écrivait : « ce qui l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dirent arrivent aisément ». Si l’on conçoit bien le fonctionnement réel des retraites par répartition, l’énoncé des problèmes à résoudre pour construire un régime unique en fusionnant les quelque 40 régimes actuels est assez simple, et les principes à mettre en œuvre ne sont pas compliqués. Tout le problème est de raisonner juste, et il n’est hélas pas évident que ce soit le cas des acteurs qui sont partie prenante à cette réforme majeure.