Et si nous mettions à la retraite… nos dirigeants qui ne savent pas réformer ?

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Par Jacques Bichot Modifié le 24 mars 2023 à 13h30
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cc/pexels - © Economie Matin
5,7 millionsSelon un scénario de l'INSEE, en 2070, par rapport à aujourd?hui, la population française augmenterait de 5,7 millions de personnes d'âge supérieur ou égal à 75 ans.

Notre système national de retraites doit affronter deux défis : le vieillissement de la population française, qui entraîne une augmentation du nombre de retraités en proportion de celui des cotisants ; et l’ignorance de notre législateur quant au mode de fonctionnement réel des retraites dites « par répartition ».

1. La démographie

Au début de cette année 2022, notre pays comptait 67,8 millions d’habitants. Ce nombre était bien inférieur il y a trois décennies : 58 millions, quasiment dix de moins. Cet accroissement en 30 ans résulte surtout de l’augmentation de la longévité, qui va vraisemblablement se poursuivre durant les prochaines années : selon INSEE Première de novembre 2021, « en 2040, il y aurait 51 personnes de 65 ans ou plus pour 100 personnes de 20 à 64 ans, contre 37 en 2021 ». La proportion des « personnes âgées » dans la population totale subirait donc une forte augmentation (38%), ce qui rendrait singulièrement difficile le maintien du niveau de générosité actuel pour les pensions futures.

L’INSEE effectue également des projections à très long terme. Les résultats de ces exercices, qui ne sont pas des prévisions, mais des scénarios envisageables, ne sont pas très rassurants : par exemple, selon un de ces scénarios, en 2070, par rapport à aujourd’hui, la population française aurait augmenté de 5,7 millions de personnes d’âge supérieur ou égal à 75 ans, et aurait perdu 5 millions de personnes n’ayant pas atteint ou dépassé 60 ans. Ce qui signifie, grosso modo, davantage de retraités et moins de cotisants. Situation inconfortable pour les régimes de retraites !

On parle souvent du « grand remplacement » des Français de souche par des immigrés ; mais il ne faut pas oublier un autre « grand remplacement », celui des personnes en âge de travailler par des seniors désireux de prendre leur retraite. Si la natalité française est faible, cela produit une sorte « d’appel d’air », ou plus exactement un besoin de jeunes d’origine étrangère capables d’occuper les postes pour lesquels les jeunes français ne sont pas assez nombreux. Quelles dispositions prendre pour éviter que nos retraites par répartition soient affrontées à de graves difficultés, et nos retraités à de douloureuses baisses de leur niveau de vie ?

2. La nécessaire réforme des retraites

Il serait certes possible de miser à fond sur l’immigration de travailleurs en provenance de pays plus féconds que ceux de la vieille Europe. Mais est-ce la meilleure solution ? N’existerait-il aucune politique susceptible d’éviter à la France un « grand remplacement » de sa population ? Ne pourrait-on étudier puis mettre en œuvre des mesures propres à booster le comportement procréatif de nos concitoyens ?

Actuellement, mettre au monde des enfants et les élever de son mieux n’est pas un comportement adapté à la recherche d’un bon niveau de vie : être père et mère de famille nombreuse revient à travailler dur au profit de personnes qui auront de bonnes retraites sans avoir fait grand-chose pour cela. Quand le plaisir de mettre au monde des enfants et de les élever se traduit par une forte diminution du niveau de vie, beaucoup préfèrent avoir un seul enfant, une minorité conséquente monte jusqu’à deux, et il n’y a pas une proportion suffisante de familles dites « nombreuses » (3 enfants ou plus) pour assurer à 100% le renouvellement des générations). Dès lors, seul un recours massif à l’immigration (concrètement, en provenance des pays pauvres) permet d’obtenir des cotisations suffisantes. Et le « grand remplacement » se met en place.

Pour éviter cela, différentes mesures complémentaires sont requises, mais la plus importante, celle aussi à laquelle nos dirigeants pensent le moins, est le changement des règles d’attribution des droits à pension. Actuellement, ces droits sont attribués au prorata des versements de cotisations vieillesse. Or ces sommes sont utilisées pour payer immédiatement les pensions des personnes âgées. De tels versements (ou prélèvements) ne servent nullement, du point de vue économique, c’est-à-dire réellement, à préparer les pensions futures, puisqu’ils sont effectués au bénéfice des actuels retraités. Le législateur s’est mis le doigt dans l’œil en 1941, quand le gouvernement de Vichy est passé de la capitalisation à la répartition en commettant une monstruosité économique et juridique : faire des cotisations dont le produit est affecté aux retraités la source juridique des droits à pension. Comme si les parents des sexagénaires et septuagénaires allaient sortir de leur tombe pour prendre en charge ces personnes âgées ! Et dire que la plupart des pays ont commis la même sottise législative …

3. Comment sortir du mensonge législatif actuel

En réalité, les cotisations que les actifs versent pour l’entretien des personnes âgées ne servent en rien à préparer les pensions de ceux qui les versent. La loi a instauré une fumisterie, le mot n’est pas trop fort, grâce à laquelle les personnes qui s’acquittent de leur dette envers la génération qui les a mis au monde puis élevés sont traitées comme des investisseurs. Nous sommes en plein délire législatif ! La réalité, à savoir que nous préparons nos retraites en mettent des enfants au monde et en assurant leur formation et leur entretien jusqu’à ce qu’ils aient un métier – cette réalité est occultée par le délire législatif qui proclame : « vous préparez votre propre retraite en payant celle de vos aînés ».

C’est ce mensonge législatif qu’il faut remplacer par des dispositions correspondant à la vérité. Nos législateurs devraient instaurer un droit des pensions de retraite qui corresponde à la réalité économique, à savoir que les futures retraites se préparent en investissant dans la jeunesse. Cessons d’attribuer des droits à pension au prorata des cotisations vieillesse, qui constituent le simple remboursement d’une dette. Attribuons enfin ces droits pour une raison économiquement sérieuse : parce qu’élever des enfants et des jeunes, financer leur formation, c’est cela qui prépare réellement les pensions futures.

Les législateurs ont commis, à peu près partout dans le monde, une erreur magistrale, une de ces erreurs qui vaudrait normalement un zéro pointé dans une copie d’économie : ils ont confondu le remboursement d’une dette avec un investissement. Pour un actif, cotiser pour les retraités, c’est s’acquitter d’une dette, il n’y a aucune raison pour que cela ouvre des droits à pension. Ce qui doit logiquement ouvrir de tels droits, c’est d’une part de mettre au monde et d’élever des enfants, et d’autre part de financer la formation des jeunes. Les sommes versées pour la formation initiale, à commencer par celles qui constituent le budget de l’Education nationale, ne doivent surtout pas provenir de l’impôt, mais de cotisations productrices de droits à pension.

4. Un peu de bon sens copernicien y suffirait !

La réforme à effectuer est certes gigantesque : du fait que des générations d’hommes politiques ont construit une superstructure financière, fiscale et sociale sur des idées rocambolesques, il nous appartient de réaliser à la fois la déconstruction de l’existant et son remplacement par un système de retraites équitable et rationnel. Néanmoins, la tâche n’est pas impossible : nous disposons d’hommes et de femmes intelligents, qui se trouvent actuellement enfermés dans une situation pré-copernicienne, dans des idées désuètes comme l’était la conviction que le soleil tourne autour de la terre. La croyance quasi-religieuse selon laquelle chacun prépare sa retraite en payant pour celle de ses aînés n’est pas plus difficile à déconstruire, au profit d’une conception réaliste, que les croyances auxquelles ont été confrontés Galilée, Copernic et quelques autres grands esprits des siècles passés.

Aujourd’hui les législateurs en matière de retraites sont semblables à nos ancêtres qui croyaient religieusement que le soleil tournait autour de la terre. Il existe une sorte de religion primitive des retraites : il nous faut passer de ce stade superstitieux à une attitude scientifique, mettre au rebus des croyances illusoires, et construire une législation des âges et des retraites qui tienne économiquement la route !

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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