Un article de mon collègue Frédéric Charbonnier, Les inégalités de santé, face cachée des réformes des retraites, dans Les Echos du 19 décembre, attire utilement l’attention sur un point délicat : pour déterminer les droits à pension de chaque assuré social, ne serait-il pas normal, équitable, de tenir compte de l’espérance de vie, qui diffère assez fortement selon la catégorie socioprofessionnelle ?
Et l’inégalité d’espérance de vie entre hommes et femmes ?
J’irai d’ailleurs plus loin que F. Charbonnier, car s’il est vrai que les cadres vivent, en moyenne, plus longtemps que les ouvriers, les statistiques nous montrent aussi que les femmes vivent, toujours en moyenne, nettement plus longtemps que les hommes. Des données certaines, à savoir le nombre des décès par sexe et par âge en 2017, présentées sous la forme du graphique ci-dessous, émanant d’INSEE Focus n° 128 (octobre 2018) le montrent clairement :
Si l’on veut tenir compte de tous les facteurs influant sur la longévité, la complexité du système augmentera au lieu de diminuer
Si l’on veut se référer à des projections ou prévisions, l’INSEE nous propose les chiffres suivants pour l’espérance de vie par sexe et CSP en 2009-2013 en France :
A la lecture d’un tel tableau, il est clair que si l’on devait tenir compte de la CSP pour le calcul de la pension, il faudrait aussi tenir compte du sexe. Cela pourrait conduire à adopter une pluralité d’âges pivot, cet âge devenant fonction du sexe et de l’activité professionnelle puisque la longévité moyenne diffère à la fois selon le sexe et la CSP. La réforme, simplificatrice en remplaçant 42 régimes par un seul, entraînerait en contrepartie une complexité nouvelle, et une responsabilité accrue pour les actuaires, statisticiens et probabilistes chargés d’effectuer des prévisions d’espérance de vie par sexe et CSP, ou peut-être selon d’autres critères, qui pourraient être jugés meilleurs « prédicteurs » de la longévité, par exemple des données biologiques telles que la tension artérielle ou des données relatives au cursus de formation (un niveau élevé de diplôme est peut-être un prédicteur de plus grande longévité).
Il convient évidemment de réfléchir soigneusement à ce que l’on veut : un système facile à comprendre, mais dont l’équité laissera à désirer, ou un système très compliqué techniquement, procurant un niveau d’équité supérieure, sans pour autant être parfaitement équitable, car il est impossible de faire des prévisions parfaitement fiables. Ces questions n’ont pas été abordées, que je sache, par le Haut-commissariat à la réforme des retraites, et il est probable que si nos dirigeants veulent les étudier sérieusement, la réforme ne se fera pas d’ici la fin du quinquennat.
Concentrons-nous sur l’essentiel !
En tout état de cause, les inégalités découlant d’une insuffisante pris en compte des différences d’espérance de vie sont modestes en comparaison de l’injustice majeure que constitue l’attribution des droits à pension au prorata des cotisations vieillesse. L’urgence est de comprendre que « nous ne préparons pas nos pensions par nos cotisations, mais par nos enfants », selon la formule d’Alfred Sauvy, et d’en tirer la conséquence logique en attribuant enfin les droits à pension en fonction de la contribution de chacun à l’investissement dans la jeunesse.