Longtemps absente, parfois espérée dans un environnement de taux très bas, voire négatifs, l’inflation ressurgit avec force dans l’économie mondiale depuis 2021. La guerre en Ukraine est venue accélérer cette tendance, poussant notamment à la hausse les prix de l’énergie. Eclairage avec Ombretta Signori, stratégiste senior chez Aviva Investors France.
Zone euro, les causes d’une inflation forte
A fin mai, la zone euro enregistre une inflation de 8,1 % sur un an, un record depuis sa création. La France est relativement épargnée, avec un taux d’inflation annuel de 5,2 %, mais il s’agit tout de même d’un niveau jamais atteint depuis septembre 1985. « La composante énergétique – la flambée des prix du gaz et du pétrole – est l’une des principales responsables de cette inflation élevée, » souligne Ombretta Signori. « La France connait un niveau d’inflation toutefois moins important que ses voisins allemands et espagnols, respectivement à 7,9 % et 8,7 % en mai. Le nucléaire apporte en effet à l’Hexagone une certaine autonomie sur le plan énergétique. En Estonie, pays balte dépendant fortement de la Russie sur ce plan, l’inflation grimpe à 20 % ».
Le conflit armé russo-ukrainien a créé un choc brutal sur les prix de l’énergie, en particulier pour l’Union européenne, très dépendante en hydrocarbures russes. « Pour autant, la guerre n’est pas la seule cause de cette inflation croissante. Elle ne fait qu’accélérer une tendance déjà à l’œuvre depuis l’année dernière, » tempère la stratégiste senior, pour qui la pandémie mondiale est le premier élément déclencheur de cette forte inflation. « La pandémie de Covid-19 a été une crise sanitaire inédite qui a conduit les gouvernements à réagir de manières tout aussi inédites. L’arrêt brutal de l’économie en 2020, avec les confinements successifs prononcés dans bon nombre de pays du globe, est un premier choc : la demande en biens et marchandises s’est asséchée, les chaînes d’approvisionnements se sont grippées.
Dans le même temps, les Etats et les banques centrales ont adopté des mesures de soutien massif aux différents agents économiques (ménages et entreprises), particulièrement aux Etats-Unis. Lorsque l’économie a réouvert, l’épargne des ménages accumulée pendant cette période s’est brutalement déversée dans l’économie, ce qui a créé une demande inédite que l’offre n’a tout simplement pas pu suivre » précise Ombretta Signori. Dans une économie mondiale fortement interconnectée, la conjonction de ces éléments entraîne également une hausse du prix des matières premières agricoles et, par voie de conséquence, des biens alimentaires – ce qui vient accentuer cette poussée inflationniste.
Le risque d’un emballement non maîtrisé de l’inflation
Les banques centrales visent, autant que possible, un objectif modéré d’inflation : généralement entre 1 et 3 %. Pour la Banque centrale européenne (BCE) la cible d’inflation est de 2%. « En général, dans une économie qui fonctionne à plein régime, une inflation modérée contribue à l’équilibre entre offre et demande. Cet objectif d’inflation modérée a fait ses preuves dans l’histoire économique, » affirme Ombretta Signori. « Dans le cas de la BCE, 2 % est un chiffre d’inflation suffisamment élevé pour constituer une marge de sécurité permettant de lutter contre une éventuelle déflation – laquelle était la crainte majeure dans les années 2013 à 2015.
Une inflation modérée est par ailleurs un gage de visibilité pour les agents économique : ils peuvent ainsi compter sur une certaine stabilité des prix ou des coûts de production, et programmer leurs dépenses et leurs investissements » complète-t-elle.
Si l’inflation modérée est vertueuse pour l’économie, son augmentation rapide est porteuse d’instabilité et d’incertitudes pour ces mêmes agents économiques. « Pour les entreprises par exemple, réaliser des investissements devient plus périlleux car les coûts de production sont amenés à augmenter, rognant ainsi leur marge. » Les ménages, de leur côté, voient leur épargne et leurs revenus grignotés par l’inflation. Aussi sont-ils tentés de négocier des hausses salariales, pour compenser la perte en pouvoir d’achat induite par la hausse généralisée des prix. « L’anticipation d’une inflation élevée va se répercuter sur les salaires. Les banques centrales redoutent alors la spirale d’une inflation dite de ‘’second tour’’, où l’augmentation des prix et l’augmentation consécutive des salaires accélèrent le phénomène, » explique la stratégiste.
La hausse des taux d’intérêt directeurs pour lutter contre l’inflation forte
Les banques centrales peuvent néanmoins tenter d’endiguer l’inflation en augmentant les taux d’intérêts directeurs, afin d’agir sur la monnaie en circulation. La Réserve fédérale américaine (Fed) a opté pour cette solution cette année, avec une augmentation de 25 points de base (0,25%) en mars, 50 points de base en mai, puis une augmentation plus franche encore, de 75 points de base, à la mi-juin. « Selon la théorie, plus les taux directeurs sont relevés, plus les conditions de financement vont se resserrer, mécaniquement. En conséquence, la demande aura tendance à s’ajuster et se restreindre, et l’inflation à baisser, » décrit Ombretta Signori. « Aux Etats-Unis, l’efficacité de cette stratégie devrait se vérifier puisque l’énergie ne représenterait qu’environ un quart de la hausse des prix constatée. L’inflation américaine est une inflation domestique poussée par la forte demande interne. C’est moins le cas en zone euro, où la flambée des prix de l’énergie nourrit environ 50 % de cette augmentation de l’inflation et où il y a plus d’inflation importée. » La BCE a d’ailleurs décidé de relever ses taux pour le mois de juillet, plus tardivement que son homologue américain, et anticipe une inflation supérieure à l’objectif des 2 % jusqu’en 2024. La crainte étant qu’elle se généralise davantage et s’installe durablement dans l’économie mettant en danger la stabilité des prix et la confiance des particuliers et des entreprises.
Les actifs à privilégier dans un contexte d’inflation forte
L’inflation, lorsqu’elle est forte, grignote l’épargne des ménages et la rentabilité réelle de certains placements. Néanmoins, pour Ombretta Signori, les investisseurs ne sont pas démunis face à ce phénomène : « En principe, les obligations indexées sur l'inflation (OII) constituent un actif offrant une forme de protection contre l’inflation, pour les investisseurs qui les détiennent jusqu’à maturité, puisque les coupons et le remboursement final du capital sont indexés sur l’inflation observée. Même si ces obligations s’adressent à tous types d’investisseurs, les principaux détenteurs sont les fonds de pension et les compagnies d’assurance. En plus, le régime de taux d’intérêts faibles rend plus difficile une sélection d’obligations qui puissent apporter aux investisseurs qui les détiennent jusqu’à maturité des taux réels suffisamment élevés pour atteindre leur cible de rendement. Les investisseurs qui visent des rendements (réels) plus élevés, doivent accepter de s’exposer à d’autres classes d’actifs en contrepartie de risques plus élevés. Par exemple sur les actions, certains secteurs peuvent tirer leur épingle du jeu – notamment ceux qui sont situés en amont de la filière productive, comme le secteur de l’énergie. D’autres secteurs ayant un bon « pricing power », c’est-à-dire une bonne capacité à imposer leurs prix, sont moins susceptibles de pâtir de l’inflation. »
Autre classe d’actifs évoquée par la stratégiste senior, la prise de position sur des devises corrélées au prix des matières premières. D’autres catégories d’actifs sont traditionnellement considérées comme de bonnes protections contre l’inflation tels que l’immobilier et les métaux précieux (en particulier l’or). Certes, leurs prix dépendent de beaucoup d’autres facteurs que l’inflation et il s’agit de placements plus risqués. « Il n’existe pas de solution universelle pour se prémunir d’une inflation élevée. Tout l’enjeu pour l’investisseur est de diversifier ses placements, et de prendre des décisions adaptées à l’horizon d’investissement et au niveau d’appétence au risque qui lui correspondent, » conclut Ombretta Signori.