Ce titre emprunté à Serge Gainsbourg et à Jane Birkin illustre bien l’ambiguïté de nos relations avec les réseaux sociaux. Il met en évidence l’intérêt que les internautes manifestent, en étant de plus en plus nombreux à créer leur compte. En même temps, il traduit la crainte qu’ils éprouvent à leur égard : la trop faible protection des données à caractère personnel (les fuites régulières en témoignent) et la diffusion de contenus, dont le caractère est illicite à plus d’un titre (terrorisme, haine, diffamation, etc.), alimentent leur doute. Le titre souligne aussi le comportement dual des acteurs publics (Union européenne, Etats, G7, etc.) qui oscillent entre une volonté de dialogue et de coopération (groupes de contact, codes de bonne conduite, etc.) et une approche plus régalienne, plus contraignante ; la loi allemande, la récente loi française sur la manipulation de l’information et le projet de règlement européen sur les contenus terroristes en sont l’expression.
La propagande de Daech et les manipulations de l’information notamment liées aux élections ont amplifié les inquiétudes. Dans une interview au Guardian, le 12 mars 2017, Sir Tim Berners Lee s’est inquièté de l’évolution du web qu’il faut, selon lui, sauver, notamment parce qu’il est utilisé pour des actions de désinformation qui peuvent avoir des fins politiques ou financières.
Le cyberespace a été longtemps considéré au travers des systèmes de traitement automatisé de données. Les couches matérielles et logicielles font encore l’objet de toutes les attentions, principalement au regard des malwares et de leurs effets. Mais on découvre aujourd’hui l’importance croissante de la couche sémantique : celle des données. Ces données sont la matière vive de la transformation numérique pour leur valeur marchande, pour ce qu’elles permettent de faire, mais aussi et surtout pour le message qu’elles portent, que ces données soient structurées ou non.
Avec plus de quatre milliards d’internautes en 2020, un développement fulgurant de la mobilité et des systèmes connectés, avec des services de communication en ligne et des réseaux sociaux qui se développent et permettent une transmission d’informations d’une viralité redoutable, nous voyons émerger la dimension cognitive de l’espace numérique.
Avec elle se démultiplie la puissance du verbe, du discours. En 1970, Michel Foucault disait dans sa leçon introductive au Collège de France : « je suppose que dans toute société la production du discours est à la fois contrôlée, sélectionnée, organisée et redistribuée par un certain nombre de procédures qui ont pour rôle d’en conjurer les pouvoirs et les dangers, d’en maîtriser l’événement aléatoire, d’en esquiver la lourde, la redoutable matérialité ».
Depuis, le web, les réseaux sociaux ont profondément modifié nos modes d’expression. La pensée foucaldienne peut-elle encore expliquer le discours, tant la production, la sélection, la redistribution du discours échappent aujourd’hui aux procédures traditionnelles ? La désignation du « juge des contenus » fait débat. Les réseaux sociaux doivent-ils voir leur responsabilité accrue, au risque d’être les régulateurs de la pensée ? Le juge judiciaire ou administratif doit-il aller au-delà du « jugement de l’évidence » que l’on attend du juge des référés ? Il est sans doute nécessaire de les associer davantage à l’émergence d’un ordre public de la toile. Mais les principaux régulateurs sont d’abord les citoyens. Qu’ils n’abandonnent pas leur responsabilité à d’autres ! Plus que jamais, il faut enseigner le discernement, l’esprit critique et, surtout, la bienveillance.