C’est le principal problème des drogues dures : plus on en prend, plus on en veut et plus on oublie que les effets qu’elles produisent sont anormaux et surtout dangereux, voire dévastateurs. Ainsi, depuis 2015 et le début de la « planche à billets » de la Banque Centrale Européenne, les marchés financiers, et notamment obligataires, sont tombés dans une accoutumance de plus en plus risquée qui a conduit à une chute continue des taux d’intérêt. Une tendance qui devrait néanmoins s’inverser : l’endettement insoutenable des Etats à l’aune de la crise sanitaire, milite en faveur d’une remontée mécanique des taux !
En effet, grâce aux liquidités, puis à la morphine distribuées à profusion par la BCE, les taux d’intérêt des obligations d’Etat n’ont cessé de baisser, y compris dans des pays où la dette publique continuait d’augmenter, comme par exemple en Grèce, en Italie et en France. Au plus fort de cette folie collective, les taux d’intérêt des obligations à 10 ans des Etats de ces trois pays sont même tombés à respectivement 0,9 %, 0,8 % et - 0,4 % Et ce avec des ratios dette publique / PIB de 180 %, 140 % et 100 %.
En dépit de toute rationalité économique, les investisseurs ont donc consacré une nouvelle crise des « subprimes ». Mais, en pire ! Car avec les dettes « subprimes » titrisées, les risques étaient élevés mais les rendements aussi. Depuis 2015, avec les dettes publiques, les risques sont forts, mais les rendements faibles. Autrement dit, nous n'avons ni le beurre, ni l'argent du beurre et en plus il faut payer. Encore plus grave, lorsque les taux longs remonteront, les moins-values obligataires grèveront les résultats des banques, compagnies d'assurance et autres caisses de retraite, qui auront alors bien du mal à assainir leurs comptes.
Face à cette anomalie évidente, il faut craindre une bulle exubérante et pernicieuse, dans la mesure où plus les taux d’intérêt baissaient, plus les Etats étaient incités à augmenter leur dette ou, au mieux, à ne pas la réduire. A l’inverse, le consensus bien-pensant a continué de soutenir que grâce à l’action de la BCE, rien ne pouvait arriver aux taux d’intérêt obligataires, qui resteraient ainsi éternellement bas.
Des niveaux d’endettement public insoutenables
Dans ce cadre, la pandémie de Coronavirus pourrait bien constituer la bouteille d’eau qui fera déborder le vase. En effet, devant l’ampleur historique de la dépression économique mondiale qu’elle suscite, les Etats ont continué ou recommencé à augmenter massivement leurs dépenses et par là même leur dette. Déjà stratosphérique, cette dernière est donc en train d’atteindre des niveaux insoutenables, en particulier dans les trois pays évoqués plus haut. D’ici 2021, la dette publique devrait donc avoisiner les 125 % du PIB en France, les 170 % en Italie et dépasser les 205 % en Grèce.
Face à cette triste perspective, les investisseurs ont d’abord commencé à comprendre leurs erreurs passées, si bien que les taux d’intérêt des obligations d’Etat sont repartis progressivement à la hausse au cours du printemps dernier. Ainsi, en dépit de la débauche de moyens déployés par la BCE et au plus fort de la prise de conscience des marchés (en l’occurrence vers le 18 mars 2020), ceux-ci ont augmenté à 3,8 % en Grèce, 2,4 % en Italie et 0,4 % en France. Pour autant, par la suite, l’augmentation massive de la « planche à billets » de la BCE a suscité une nouvelle baisse de ces taux d’intérêt. Mais ne rêvons pas : tôt ou tard, la réalité reprendra le dessus. Au regard de l’accélération de l’endettement des Etats dans le contexte sanitaire, la hausse des taux d’intérêt des obligations d’Etat est fondamentalement inévitable.
Par Marc Touati, expert des marchés financiers s'exprimant au nom de Spectrum Markets