« Dérégulation » ou « dérèglement » de la finance ?

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Par Bernard Cherlonneix Publié le 24 avril 2014 à 2h08

Passons sur le fait que le mot de « régulation » est une mauvais traduction de ce faux ami de la langue anglaise qu’est le terme de regulation, qui signifie tout bonnement réglementation, et qu’en France seule l’on a troublé les esprits en créant un néologisme plus "tendance". Et gardons nous donc de chercher la différence spécifique entre la vieille réglementation et la nouvelle régulation, qui a peu à peu envahi manuels et media et désormais même le journal officiel : les anglo-saxons que nous singeons en délaissant un terme français dénué d’ambiguïté n’ont quant à eux ni changé de terme ni de concept.

Mais venons-en à l’antonyme "dérégulation", substitué à la "déréglementation"qui semble exercer une véritable fascination sur ceux qui l’emploient. Il paraît aujourd’hui entendu que si la finance est devenue folle (ce que nous ne contestons pas, en partie du moins car "il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain") c’est parce qu’elle serait dérégulée, les marchés financiers en particulier.

Nous tenons que la dérégulation est un fantasme sans objet correspondant, une sorte de "bulle" langagière, suspendue dans un vide conceptuel au-dessus d’un plein réglementaire. La réglementation financière n’a en effet jamais désarmé. Celui qui soupèsera les volumes de réglementation financière, du CCLRF, du code monétaire et financier (depuis sa parution en 2005) et du code d’assurance d’avant-hier, d’hier et d’aujourd’hui, sera bien obligé d’en rabattre sur la supposée dérégulation. Le critère volumétrique que nous proposons est certes rudimentaire, mais réaliste : difficile de parler de "dérégulation" d’un domaine dont la "régulation" est en constante augmentation et mutation. Il en va de même sous d’autres cieux : la loi américaine dite "Dodd Frank" de 2010 comporte deux mille pages, lesquelles ne surgissent nullement sur fond de vide réglementaire, mais plutôt d’un flux permanent d’innovations réglementaires, qui a en fait rythmé celui des innovations financières.

C’est au contraire le trop de réglementation et la mal-réglementation, qui sont la source du dérèglement financier contemporain. Si la finance est devenue en partie folle, c’est à cause d’une mauvaise réglementation monétaire d’abord, financière et bancaire ensuite, partout mise en place par des Etats avides de dépenser plus que leurs facultés budgétaires ne le leur permettraient s’ils respectaient les principes d’orthodoxie financière. Principes que la révolution keynésienne et sa domination académique ont depuis longtemps permis d’envoyer promener par dessus les orties. Or, la bienveillance d’un système financier à l’égard d’une sphère publique dépensière a un prix : une réglementation complaisante, qui a favorisé une activité et une profitabilité anormales du secteur financier.

Le meilleur exemple de ce deal général entre les Etats et les banques (par la médiation du club des banques centrales qu’est la BRI) à la base du dérèglement contemporain, est le ratio bâlois de solvabilité bancaire. Sa magie décrète qu’un prêt à un Etat est un prêt sans risque. Il n’appelle donc aucun besoin de fonds propres susceptible de couvrir un risque de défaut. Cette règle arbitraire, discriminatoire à l’égard du secteur privé qu’une économie réputée capitaliste devrait privilégier, a non seulement permis l’incroyable bulle obligataire publique qui est devant nous, et non derrière, mais elle a aussi artificiellement gonflé la rentabilité financière des banques, leur cotation en bourse fondée sur cette rentabilité, et leur capacité à drainer les capitaux. Cette mauvaise règle a donc favorisé simultanément, c’était le but des "régulateurs", le financement du secteur public, et une activité bancaire particulièrement facile car sans coût de prospection et d’analyse du risque, c’était le but des banques.

On voit bien par cet exemple, mais il en va de même pour chacun des dérèglements observables, que la finance n’est devenue folle que sur autorisation publique. Arrêtons donc de loucher et de mener une chasse aux sorcières injustifiée à l’égard des banques et des marchés, toutes et tous dirigés en France par d’anciens hauts fonctionnaires issus du même corps d’Etat.

Non, le dérèglement financier que nous déplorons sous le nom de "financiarisation", qui pénalise aujourd’hui par ricochet les entreprises fragiles et plus généralement les plus faibles d’entre nous (surfacturés sans gêne), n’est pas "inhérent" au "capitalisme financier". Il est le produit "contingent", donc réformable, d’une collusion malsaine entre le secteur public et le secteur financier, pour le moins paradoxale en "économie de marché". La fable idéologiquement régressive et exagérément simpliste de la "dérégulation" qui se propage dans les meilleurs cercles doit être profondément révisée.

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Bernard Cherlonneix est Président de l’Institut pour le Renouveau Démocratique.

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