La réforme systémique des retraites voulue par Macron est-elle réaliste ?

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 18 avril 2018 à 15h22
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@shutter - © Economie Matin
62L'âge minimum pour prendre sa retraite est fixé à 62 ans depuis 2010 pour l'ensemble des régimes de retraite pour les personnes nées après 1955, sauf cas particuliers.

Lors de sa prestation du dimanche 15 avril, Emmanuel Macron s’est montré très affirmatif sur le contenu de sa réforme systémique des retraites : disparition des régimes spéciaux, égalité entre tous les cotisants. Est-ce bien réaliste ? Ce projet, enchanteur sur le papier, soulèvera des difficultés importantes dans l’opinion.

La réforme systémique des retraites voulue par Emmanuel Macron est une mesure ambitieuse qui réjouira tous les partisans d’une modernisation du pays. Elle consiste à transformer le glacis actuel de régimes plus ou moins complexes en un dispositif unique par points, par répartition, où chacun pourra facilement lire ses droits et comprendre comment la cotisation est un jour transformée en rente.

Ce vieux rêve d’un système universel, lisible, facile à comprendre, ne date pas d’aujourd’hui. En son temps, Pierre Laroque, inventeur de la sécurité sociale (dont il avait proposé le modèle au maréchal Pétain en septembre 1940 lorsqu’il servait sous Vichy), l’avait déjà élevé au pinacle: contre le système émietté qui s’était mis en place dans les années 30 sous l’effet des lois sur les assurances sociales, les promoteurs de la sécurité sociale (généralement issus du Conseil d’État) imaginaient qu’un monopole géré paritairement et obéissant à des lois simples responsabiliserait les assurés sociaux.

Les blocages historiques dressés sur la route de la protection universelle

Dès les années 45, les résistances se firent jour contre la mise en place de ce système, pour des raisons qu’Emmanuel Macron ne tardera pas à rencontrer sur sa route. Ceux qui bénéficiaient d’un « régime spécial », c’est-à-dire d’une couverture retraite antérieure à 1940, généralement du fait de leur branche professionnelle, n’ont jamais accepté d’intégrer le système universel proposé par la sécurité sociale, le fameux régime général.

D’où cette contradiction permanente, notamment au sein de la CGT (mais pas que…), entre un éloge sans limite en faveur de la sécurité sociale, supposée égalitaire, solidaire et parée de toutes les vertus de la bienveillance d’une part, et une résistance fougueuse de ses partisans contre toute dilution en son sein d’autre part. Il existe d’ailleurs une sorte de loi scientifique de notre époque: les principaux défenseurs du monopole de la sécurité sociale sont d’ordinaire ceux qui l’acceptent le moins pour eux-mêmes.

On ne compte plus ici les professions qui ont ainsi mené des batailles sanglantes contre leur absorption par une sécurité sociale sur laquelle ils n’ont par ailleurs jamais tari d’idéalisme puéril. Entre les cheminots, les traminots, les gaziers, les électriciens et bien sûr les fonctionnaires, ils sont légion ceux qui ne veulent surtout pas relever du régime général de la sécurité sociale, mais qui infligent à la terre entière des leçons perpétuelles d’égalité, d’intérêt général, et de protection sociale monopolistique, meilleur garde-fou contre l’argent-roi et le capitalisme triomphant.

La machine à résistance se prépare contre la réforme systémique des retraites

Alors que, ce jeudi 19 avril, doit se tenir un colloque de lancement, au Sénat, sur la réforme systémique que pilote Jean-Paul Delevoye, la machine de la résistance syndicale a déjà mis son moteur en route. On trouvera, un peu partout, les premiers traditionnels éléments de langage où des bureaucrates de syndicats subventionnés par le contribuable pratiquent leur habituel grand écart entre le catéchisme égalitaire, et la défense sentencieuse des privilèges acquis avant 1940 et jamais remis en cause depuis lors.

Au hasard, Luc Bérille de l’UNSA (très implantée chez les fonctionnaires) déclare:

« On n’est pas tout à fait d’accord sur le constat », objecte M. Bérille, déplorant « un bilan à charge » alors que le système actuel permet selon lui « d’assurer de la redistribution »

Autrement dit, c’est vrai que le système actuel n’est pas juste, mais il distribue quand même de l’argent. On ne pouvait pas mieux illustrer le fond de l’argumentation sur la protection sociale, qui oscille en permanence entre un discours quasi-utopique en faveur de l’égalité, et un discours quasi-instinctif de défense des intérêts catégoriels. Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais…

Dans ce registre, le responsable des retraites à FO, Philippe Pihet (donné partant dans la prochaine équipe) n’est pas en reste:

Une inquiétude partagée par FO, attentive à ce que « la réforme des retraites ne soit pas l’occasion de bazarder les statuts », qui prévoient des régimes spéciaux, affirme M. Pihet.

On sait donc déjà par quel bout le discours hostile à la réforme systémique devrait prendre consistance.

Macron a-t-il déjà fait des fausses promesses?

Dans la pratique, les raisons pour lesquelles la réforme systémique des retraites pose problème sont déjà parfaitement connues.

D’un côté, certains régimes spéciaux offrent des conditions de départ beaucoup plus favorables que le régime général. Ces dispositions plus favorables portent notamment sur l’âge de départ ou sur les taux de remplacement offerts au départ de l’assuré. Le système de la fonction publique où la rente mensuelle est calculée sur les six derniers mois de salaire, alors que la règle de calcul porte sur les 25 meilleures années pour le régime général est sur ce point tout à fait emblématique.

D’un autre côté, les régimes spéciaux peuvent aussi offrir un financement très favorable pour les salariés. C’est le cas à la SNCF ou à la RATP, où l’entreprise abonde fortement les comptes du régime pour l’équilibrer. C’est aussi le cas pour les fonctionnaires, qui bénéficient d’une participation de l’employeur (c’est-à-dire du contribuable) supérieure à celle des employeurs privés.

Sur ces deux points, la promesse d’égalité suppose donc que le futur système règle la question des avantages dont certains disposent. Pour y parvenir, il n’y pas trente-six solutions: soit on aligne tout le monde par le bas, soit on aligne tout le monde par le haut. Soit on ment, en faisant croire qu’on fait de l’égalité sans la faire.

L’arbitrage entre les trois solutions dépend du rapport de force circonstanciel. Il peut aussi être mixte: on peut aligner un peu vers le haut sur certains paramètres, un peu vers le bas sur d’autres, et maintenir des différences de traitement pour le reste, sans l’avouer clairement.

C’est ce qui s’appelle la solution du « en même temps », et que les persifleurs appelleront fausses promesses.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "