Le projet de réforme des retraites évoqué à diverses reprises au cours du premier quinquennat Macron pourrait être précisé et mis en œuvre assez rapidement : le Gouvernement et les Assemblées législatives trouveraient dans cette action une occasion de travailler sur un sujet déjà largement discuté, et dont l’utilité fait consensus.
Pourtant, une question subsiste, qui est loin d’être anodine : nos élus et dirigeants ont-ils les compétences nécessaires ? Savent-ils seulement pourquoi il serait bon de doter notre pays d’un système de retraites par répartition différent de ceux (« de base » et « complémentaires ») qui sont actuellement en vigueur ?
L’absurdité économique du système actuel
Le système français de retraites dites « par répartition » est compliqué, divisé entre des régimes relevant des pouvoirs publics (régime général, régime des fonctionnaires), et d’autres dessinés et pilotés par les partenaires sociaux (régimes complémentaires). Cette complication entraîne des frais de gestion inutiles : pour nous limiter au cas le plus fréquent, celui d’un salarié du secteur privé, le travail est effectué deux fois, une fois pour la pension « de base » gérée par le régime général (administration), et une seconde, voire une troisième fois, pour la ou les pensions « complémentaires », gérées par les partenaires sociaux. Le gaspillage annuel est de l’ordre du milliard d’euros.
Mais il y a pire que ce gaspillage : le législateur et les partenaires sociaux exigent des travailleurs qu’ils adhérent à un système totalement déconnecté de la réalité économique. En effet, les lois de la République ainsi que les conventions établies par les représentants des travailleurs et des employeurs prétendent qu’en payant des cotisations vieillesse, chacun prépare sa propre retraite. Or, comme le disait le démographe Alfred Sauvy au sortir de la seconde guerre mondiale, « nous ne préparons pas nos retraites par nos cotisations vieillesse, mais par nos enfants ».
Plus précisément, les cotisations versées par les travailleurs servent à payer les pensions des « anciens » : il n’en reste rien pour préparer les retraites auxquelles les cotisants auront le droit de prétendre quelques décennies ou années plus tard. Dix secondes de réflexion suffiraient pour comprendre que la préparation des pensions futures n’est nullement réalisée par le paiement de cotisations utilisées entièrement, ou presque, pour payer les pensions de l’année en cours.
« On ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre », dit la sagesse populaire. Mais les politiciens devenus législateurs prétendent avec leur suffisance et leur ignorance coutumières que « tout va très bien, madame la Marquise », c’est-à-dire qu’il y aura toujours assez de naissances pour que, des décennies plus tard, les cotisations suffisent à payer de confortables pensions. En fait, si les retraités sont bien traités malgré l’insuffisance du nombre des cotisants, c’est parce que les taux de cotisations imposés aux actifs sont prohibitifs et font l’objet de majorations dès qu’il se pose un problème. En cas de besoin, des gouvernants et législateurs démagogues n’hésitent pas à endetter les caisses de retraite : tout est fait pour que le « bon peuple » ne se rende pas compte de la gabegie.
Comment changer la législation absurde de nos retraites dites « par répartition » ?
La réponse à cette question est simplissime : en étant intelligents et courageux. Les retraites fonctionnent toutes, en réalité, par capitalisation : les pensions sont préparées par les personnes qui procréent, qui entretiennent et éduquent les enfants et les jeunes, c’est-à-dire qui investissent dans ce que l’on appelle dans le jargon économique le capital humain. En bonne logique, pour préparer l’avenir, il faut investir dans les différents facteurs de production, à commencer par le plus important : l’homme capable par son travail de produire de quoi vivre, surmonter les difficultés et préparer les nouvelles générations à exercer les fonctions productrices.
Mettre des enfants au monde, leur fournir tout ce dont ils ont besoin pour devenir des hommes et des femmes hautement productifs, tel est le cœur même des retraites dites « par répartition », et en réalité par capitalisation humaine. Une partie de cet investissement est réalisé par les parents en entretenant et en éduquant leurs propres enfants. Une autre partie provient de prélèvements sur les revenus des actifs aux fins de former les nouvelles générations, notamment par le financement public de l’instruction. Ces deux composantes devraient être clairement identifiées, de façon à rendre possible l’attribution de droits à pension équitables. Cela requiert une bonne quantité de calculs et de décisions, mais le principe est simplissime : pour obtenir des droits sur les générations montantes, il faut participer à leur formation, que ce soit directement, en tant que parent, ou indirectement, en tant que cotisant fournissant de quoi entretenir les enfants et les faire profiter de la meilleure formation possible.
Une révolution conceptuelle est indispensable
En France comme dans de nombreux autres pays, les législations des retraites dites par répartition sont d’une absurdité navrante ; les législateurs n’ont rien compris à ce qui se passe dans la réalité : investir dans le capital humain que sont les nouvelles générations, et obtenir en échange de cet apport des droits à pension, droits qui permettent tout simplement de ponctionner les actifs au profit des retraités. Ils ont assimilé les cotisations retraite versées par les actifs à des investissements ouvrant des droits à pension, commettant ainsi une erreur de raisonnement gravissime.
En fait, les cotisations prélevées sur les actifs devraient être réparties en deux catégories : les cotisations destinées à financer la mise au monde et l’éducation des nouvelles générations, et celles utilisées pour verser des pensions aux retraités. Les premières ont évidemment vocation à ouvrir des droits à pension, puisqu’elles financent l’investissement dans le capital humain. Les secondes, en revanche, ont la nature d’un remboursement : après avoir reçu durant sa jeunesse, le citoyen doit cotiser au profit de ceux qui l’ont ainsi « mis en selle », leur permettant de bénéficier de longues vacances du troisième âge.
Le droit des âges de la vie, point faible de notre législation
Le législateur, ignorant semble-t-il le fonctionnement réel de l’économie et de la succession des générations, a mis en place des systèmes juridiques psychédéliques. C’est ce à quoi nous devons trouver un remède. Les réformes à effectuer sont simples et logiques dans leur principe : Un premier quart de notre vie est consacré à forger du capital humain, à l’aide d’apports effectués par la génération précédente ; ensuite la moitié médiane de la vie, « l’âge adulte », est consacrée à renvoyer l’ascenseur à ces femmes et ces hommes qui nous ont tant apporté, tout en investissant à notre tour dans le capital humain ; et enfin, le dernier quart de notre existence est caractérisés par une situation de rentiers exigeant des pensions et des soins fournis par ceux qui leur doivent la vie.
Tout cela est au fond assez simple, mais nos hommes politiques ne semblent pas être bien nombreux à comprendre le fonctionnement du cycle de vie. Le droit positif s’est englué dans des litanies législatives dont le premier bachelier ou licencié venu, si notre système scolaire et universitaire était à la hauteur, comprendrait la nullité prétentieuse. Nous avons le plus grand besoin de sortir de la situation ridicule dans laquelle nous ont plongé des générations d’hommes politiques ignorant le B.A.BA de l’économie du cycle de vie. La France pourrait jouer un rôle très positif dans cette évolution, à condition que ses élites politiques se mettent au courant de ce dont elles traitent actuellement sans discernement.