Le site de la Social Security américaine – la retraite par répartition à laquelle sont affiliés 95 % des américains – comporte une section destinée à la défendre contre les économistes qui l'accusent de fonctionner comme un "Ponzi Scheme" (une pyramide de Ponzi, dit-on en France). De quoi s'agit-il ?
Charles Ponzi développa ses escroqueries au Canada et aux États-Unis au début du XXe siècle. Comme Bernard Madoff le fit plus tard sur une plus grande échelle, il empruntait en promettant des intérêts pharamineux, qu'il payait à l'aide de nouveaux emprunts. Tant que les gogos affluèrent, les anciens prêteurs obtinrent sans difficulté intérêt et capital. Mais la combine finit par être éventée, les souscripteurs se raréfièrent, et Ponzi ne put plus payer.
Les organismes qui promettent des pensions aux personnes ayant versé des cotisations vieillesse destinées à payer les pensions de leurs aînés ont effectivement copié Ponzi et Madoff. Si les actifs arrêtaient de cotiser, les retraités n'auraient plus qu'à faire la manche. Seule l'obligation légale d'adhérer au système garantit sa pérennité. Toutefois, l'adhésion obligatoire ne peut concerner que des personnes existantes ; pour que la pyramide de Ponzi ne se dégrade pas, il faudrait que l'État soit capable d'assurer le renouvellement des générations, ce qui n'est pas le cas : les gens sont libres de ne pas avoir d'enfant, ou d'en avoir un seul.
Les retraites par répartition constituent bel et bien un système de Ponzi
C'en est une dès lors que le législateur promet des pensions au prorata des cotisations vieillesse. Alfred Sauvy avait prévenu il y a un demi-siècle : "nous ne préparons pas nos retraites en cotisant pour nos aînés, mais en élevant des enfants". Les pouvoirs publics ont ignoré cet avertissement. S'ils avaient calibré les promesses de pension en fonction des investissements réalisés dans la jeunesse (nombre d'enfants et qualité de la formation initiale) tout irait bien. Mais le calibrage sur les cotisations vieillesse débouche inévitablement, en cas de faible natalité, d'abord sur une exploitation croissante des travailleurs au profit des retraités, puis sur des réactions visant à raccourcir la durée des retraites ou/et à réduire le niveau de vie des retraités. Les baby-boomers ayant été bien moins féconds que leurs parents, nous sommes entrés à la fin des années 1970 dans le triangle infernal exploitation, raccourcissement, réduction.
La réforme des retraites particulièrement irresponsable réalisée en 1982 a provoqué une accélération de l'exploitation des actifs par les retraités. De timides tentatives ont été faites en 1993, 2003 et 2010 pour freiner un peu l'allongement de la durée des retraites auquel on assiste depuis les années 1950, sans toucher au niveau de vie des retraités. En 2012-2013 le choix a été fait, à l'AGIRC/ARRCO d'abord, puis maintenant pour les régimes de base, de pressurer encore plus les actifs. La modération des pensions, dans les deux cas, porte en grande partie sur les personnes qui assurent le plus l'avenir du système, les parents de famille nombreuse : plus absurde, tu meurs!
Sortir de cette nasse n'est pas impossible : il faudrait simplement que les États cessent de considérer les cotisations vieillesse comme devant procurer des droits à pension, et attribuent ceux-ci au prorata des investissements réalisés dans les futurs travailleurs.
Telle est la véritable réforme systémique dont nous avons besoin – réforme dont Arnaud Robinet et moi-même avons exposé la nécessité et la faisabilité dans un ouvrage à paraître aux Belles-Lettres le 3 octobre : La mort de l'État providence ; vive les assurances sociales! Nous ne sauverons pas notre protection sociale sans passer de la pyramide de Ponzi à des retraites par répartition économiquement viables.