Quelques (non) réflexions sur la (non) réforme des retraites…

Cropped Favicon Economi Matin.jpg
Par Anne Lavigne Publié le 2 septembre 2013 à 4h12

Mutatis mutandis, vaguement une réforme, résolument velléitaire... Si le rapport Moreau se gardait de suggérer une grande réforme systémique, il contenait un certain nombre de propositions, dont certaines novatrices. L'annonce par Jean-Marc Ayrault de la prochaine réforme des retraites permet de mesurer combien la prudence du candidat Hollande sur les questions de retraite se traduit dans une série de propositions, assez éloignée de l'ambition d'une grande réforme et probablement tributaire de subtiles tractations politico-syndicales.

Une réforme paramétrique a minima

Tout d'abord, et ce n'est guère une surprise, pas de changement paradigmatique : le Gouvernement ne s'attache qu'à une réforme du système par répartition, sans référence à la capitalisation (et le MEDEF n'y trouve évidemment pas son compte...). Il conserve la structure actuelle d'un régime général en annuités, complété par des régimes complémentaires en points, avec une constellation de régimes spéciaux : exit une lointaine proposition évoquée en 2012 lors de la campagne de Ségolène Royal, et également, de manière plus ambigüe par la CFDT, l'introduction de comptes notionnels. Au bout du compte, la seule composante « structurelle » de la prochaine réforme est la création d'un compte pénibilité. Les autres dispositions sont, au mieux, des modifications de paramètres structurels, au pire des ajustements fiscaux qui ne sont pas propres au système de retraite.

Une mesure phare, la création d'un compte pénibilité

Du rapport Moreau, la seule proposition véritablement originale est la création d'un compte pénibilité. A la différence du dispositif de la loi de 2010, qui assimilait pénibilité à invalidité, la réforme annoncée retient dix facteurs de pénibilité définis par les partenaires sociaux en 2008, facteurs qui relèvent de « conditions de travail extrêmes » (température, bruit, exposition à des agents chimiques, horaires décalés, postures de travail). Chaque salarié exposé à un ou plusieurs facteurs de pénibilité accumulera des points (dans une limite de 100 points) sur un compte pénibilité en fonction du nombre de trimestres d'exposition (1 trimestre = 1 point pour un facteur de risque, doublé en cas de multi-exposition). Les points accumulés pourront être utilisés pour suivre des formations permettant de se réorienter vers un travail moins pénible, ou pour valider des trimestres de cotisions retraite supplémentaires (et pouvoir anticiper son départ en retraite). Les points accumulés sont convertibles au taux de 10 points en compte = 1 trimestre validé, mais les 20 premiers points sont uniquement convertibles en formation (10 points = 1 trimestre de formation). Le dispositif sera financé par une cotisation des employeurs.

Comme je l'ai écrit dans un billet précédent, l'intuition « à travail pénible, retraite précoce » mérite d'être relativisée. En effet, pourquoi un travail pénible justifie-t-il une retraite précoce ? Parce qu'il « use » le travailleur, qui n'est plus capable de fournir le travail demandé ? Dans ce cas, c'est à l'entreprise d'aménager le poste de travail ou la fin de carrière du salarié. Le cas du travail en horaire décalé, avec repos récupérateur en est une illustration. Ce qu'on peut avoir en tête lorsqu'on pense qu'un travail pénible justifie une retraite précoce, ce sont les travaux qui par nature, ou par condition d'exercice, réduisent l'espérance de vie.

Parmi les dix facteurs de risque évoqués dans le projet de réforme figure la notion de « travail répétitif » : je peux concevoir que certains travaux répétitifs soient pénibles, au sens de fastidieux, peu gratifiants, ou physiquement exigeants, autant tous les travaux répétitifs ne conduisent pas à une réduction de l'espérance de vie susceptible d'ouvrir droit à une retraite précoce. Par exemple, en étant de parfaite mauvaise foi, je pourrais arguer que faire le même cours chaque année pendant 10 ans est un travail répétitif... J'ai surtout peine à croire que les employeurs accepteront de financer sans contrepartie ces comptes pénibilité...

Des ajustements paramétriques

Parmi les ajustements paramétriques, figurent deux mesures principales. La première prolonge le dispositif prévu dans la loi de 2003, visant à ajuster la durée de cotisation aux gains d'espérance de vie. La réforme propose un ajustement lent, et anticipé en amont, ce qui est une bonne chose : les générations concernées pourront adapter leur comportement suffisamment tôt pour ne pas être prises en défaut au moment de partir en retraite (défaut de trimestres cotisés, ou défaut d'épargne complémentaire si elles ne souhaitent pas cotiser plus longtemps et compenser la décote par un surcroît d'épargne personnelle). Par rapport au rapport Moreau, le Gouvernement reste donc très en retrait, et n'a pas souhaité s'engager dans un couplage durée de cotisation – départ en retraite.

Le deuxième ajustement paramétrique concerne la hausse du taux de cotisation, faible, progressive et partagée entre employeurs et employés, même si, on ne le répètera jamais assez, ce partage est un leurre. Le Gouvernement a donc privilégié de conserver l'esprit contributif de notre système par répartition, en privilégiant le financement des retraites par des cotisations, plutôt que des impôts (recours à la CSG).

En revanche, le troisième paramètre d'un régime par répartition, à savoir le mode de calcul des droits à pension, ne fait l'objet d'aucun ajustement substantiel. Tout au plus les pensions seront revalorisées au 1er octobre, ce qui ne changera rien en régime permanent pour les retraités (une fois passé le premier ajustement), mais améliore techniquement la gestion de trésorerie des régimes.

Les autres mesures de financement relèvent de la fiscalité : malgré son caractère de justice sociale intergénérationnelle, le Gouvernement a renoncé à aligner la CSG des retraités (soumis à l'impôt) sur celle des actifs, et à supprimer l'abattement de 10%, comme le suggérait le rapport Moreau. Il s'agit d'une concession à l'électorat âgé ; en contrepartie, les majorations de pension de 10% pour les retraités ayant élevé 3 enfants seront soumises à l'impôt sur le revenu (ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent).

Des dispositifs de nature à renforcer la justice sociale

Quelques dispositifs plus spécifiques, d'ajustement à la marge de paramètres périphériques au noyau dur du système de retraite, visent à renforcer la justice sociale. Il s'agit de prendre en compte un certain nombre de périodes de temps, de travail à temps partiel, de maternité, ou d'études, pour les valider au titre de la durée de cotisation. Notamment, ces dispositifs sont favorables aux femmes qui interrompent naturellement leur temps de travail pour la maternité, mais qui sont aussi celles qui interrompent le plus souvent leur activité pour élever les enfants et qui travaillent à temps très partiel.

En ce sens, l'abaissement du seuil d'acquisition d'un trimestre de cotisation avec 150 heures de SMIC plutôt que 200 heures (avec un plafond pour limiter les effets d'aubaine) est une bonne chose . Ils sont favorables aux jeunes, et c'est une contrepartie de la hausse de la durée de cotisation pour les plus jeunes générations, via un mécanisme de rachat à tarif préférentiel des années d'études supérieures.

Une lueur d'espoir ?

Enfin, et c'est peut être une lueur d'espoir vers la refonte d'un régime unifié par répartition, le dernier volet des annonces de Jean-Marc Ayrault concerne une série de mesures pour rendre le système plus simple et plus lisible. Si à brève échéance, il est possible d'avoir un compte retraite unique pour chaque français, même si on a cotisé dans plusieurs régimes, il n'y a plus d'obstacle technique à la création d'un régime unique... et pourquoi pas fonctionnant en comptes notionnels ?

Plus d'articles sur Mutadis mutandis

Laissez un commentaire
Cropped Favicon Economi Matin.jpg

Anne Lavigne est professeur de Sciences Economiques à l'Université d'Orléans, et membre élue au Conseil National des Universités.