Réformer les retraites : pourquoi et dans quelles conditions ?

Thierry Legrand Browaëys
Par Thierry Legrand-Browaëys Modifié le 24 mars 2023 à 13h30
Emploi Cadres Difficulte Recrutement 2
@shutter - © Economie Matin
65%Un an avant la retraite, 65% des seniors n'exercent plus d'activité.

A différentes reprises, le Président de la République a signifié son intention de faire procéder à une réforme des retraites. Dans la déclaration de politique générale qu’elle a faite devant les députés le 6 juillet dernier, Elisabeth Borne n’a pas manqué d’y faire allusion en affirmant que « nous devrons travailler progressivement plus longtemps ». Au-delà de ces annonces, quels sont les enjeux d’une telle réforme et comment s’y prendre pour qu’elle aboutisse ?

Des défis budgétaires et démographiques

Depuis maintenant de nombreuses années, la Cour des comptes dénonce l’aggravation de l’endettement publique qui résulte, en particulier, des déficits accumulés par l’État et par les organismes chargés de la protection sociale. Dans une de ses notes, la Cour a indiqué qu’en 2020, les pensions versées à nos dix-sept millions de retraités avaient représenté un total de 338 milliards d’euros et un déficit de 13 milliards.

En outre, la situation budgétaire n’est pas vouée à s’améliorer. L’augmentation de l’espérance de vie et la stabilisation de la fécondité à un bas niveau font que la France vieillit. Dans l’INSEE Première de novembre 2021, les expertes Élisabeth Algava et Nathalie Blanpain ont expliqué que, selon le scénario statistique le plus probable, la population française devrait continuer à vieillir au moins jusqu’en 2070 « parce que le nombre de personnes âgées augmenterait, mais aussi parce que le nombre d’enfants et d’adultes de moins de 60 ans diminuerait ».

En juillet 2022, une note d’analyse de France Stratégie a même annoncé un « choc du vieillissement » en précisant que notre pays comptait « trois personnes de 20 ans pour une personne de plus de 60 ans en 1980 » mais que la ratio était « tombé à 2,6 en 2000 puis à 1,9 en 2020 et devrait être inférieur à 1,5 en 2040 ».

La nécessité de corriger des inégalités

En 2019, le pouvoir exécutif a lancé le projet d’une réforme systémique, qui devait aboutir à la fusion de l’ensemble des régimes de retraite en un seul : le régime universel par points. La crise sanitaire a contraint à interrompre le processus législatif puis à abandonner le projet. En conséquence, la France compte toujours actuellement une quarantaine de régimes différents.

Depuis la promulgation d’une loi du 22 juillet 1993, la durée de cotisation permettant de prétendre à une retraite à taux plein a commencé à augmenter pour les salariés du secteur privé. Dix ans plus tard, une autre loi a imposé une augmentation de la durée de cotisation aux fonctionnaires. Il a toutefois fallu attendre les années 2007 et 2008 pour que plusieurs décrets exigent enfin une révision des conditions de départ dans les régimes spéciaux.

L’application de ces décrets n’a toutefois pas fait disparaître des inégalités aberrantes. Si, dans le secteur privé, l’âge moyen de départ est maintenant de 63,3 ans, il n’est que de 60,8 ans à la Banque de France, de 58,8 ans dans les industries électriques et gazières, d’à peine 56 ans à la RATP. Il est évident que, pour être acceptée par la majorité des actifs, la prochaine réforme des retraites doit prévoir une harmonisation.

L’enjeu de l’emploi des seniors

En 1963, le gouvernement de Georges Pompidou a légalisé la possibilité de négocier des conventions de pré-retraite. Cela permettait aux employeurs de se séparer à moindre coût des salariés les plus âgés. Une loi du 5 juillet 1972 a ensuite créé la garantie de ressources, qui a institué une indemnisation spécifique pour les salariés sexagénaires licenciés par les entreprises. Le 13 juin 1977, un accord national interprofessionnel a étendu l’application de cette indemnisation aux salariés démissionnaires.

Toutes ces initiatives étaient pleines de bonnes intentions. Les responsables politiques et les partenaires sociaux espéraient, à l’époque, que le fait d’écourter les carrières allait permettre de libérer des postes pour les jeunes. En réalité, les entreprises en ont profité pour réduire leurs effectifs et simplifier leurs organisations.

Si elles n’ont pas empêché une augmentation du chômage, les conventions de pré-retraite et la garantie de ressources ont surtout entraîné une marginalisation des salariés âgés. Cela a eu des conséquences dramatiques jusqu’à aujourd’hui puisque près d’un salarié sur deux termine maintenant sa carrière en n’étant plus en poste. Le directeur général de l’Association pour l’emploi des cadres a dû récemment rappeler que 100 000 cadres de plus de cinquante-cinq ans étaient en recherche d’emploi et représentaient donc une importante réserve de compétences inutilisées.

Dans ce contexte, des économistes invitent, avec raison, à augmenter le taux d’emploi des seniors avant de se préoccuper de décaler l’âge légal de départ à la retraite. Professeur à l’emlyon business school, Pierre-Yves Gomez appelle même à combattre « une culture du jeunisme dans les entreprises, considérant qu’au-delà d’un certain âge, un collaborateur est à la fois trop coûteux et trop peu adaptable ».

La proposition de repousser l’âge légal de départ ne deviendra donc acceptable que si les employeurs modifient radicalement la gestion des fins de carrière. Il est évident que l’on ne peut pas demander aux Français de travailler plus longtemps si les ressources humaines que représentent les seniors continuent à être mal gérées.

Une réaction ? Laissez un commentaire

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre Newsletter gratuite pour des articles captivants, du contenu exclusif et les dernières actualités.

Thierry Legrand Browaëys

Diplômé de l’emlyon business school et de Sciences Po, Thierry Legrand-Browaëys a exercé des fonctions de gestion des ressources humaines dans plusieurs entreprises multinationales. Il travaille actuellement pour un grand groupe de l’industrie du câble. Il est, par ailleurs, conseiller prud’homme et auteur des livres Formation professionnelle : comment en sommes-nous arrivés là ? (Edilivre, 2019) et Réformer les retraites, une crispation française (L’Harmattan, 2022).   Réseaux sociaux LinkedIn : https://www.linkedin.com/in/thierry-legrand-19855047 Xing : https://www.xing.com/profile/Thierry_Legrand/cv Twitter : https://twitter.com/Thie_Legrand