Ministères : plus de conseillers, maintenant !

Photo Jean Baptiste Giraud
Par Jean-Baptiste Giraud Modifié le 15 septembre 2012 à 16h58

A vouloir faire des économies partout afin de pouvoir dire que tout le monde doit faire un effort, on en arrive à des situations aberrantes. Lisant pour la énième fois un article décrivant l'enfer que vivent les conseillers en cabinet ministériel, l'évidence saute pourtant aux yeux. Comment espérer tirer le meilleur d'une équipe ultra réduite de dix conseillers pour un ministre délégué, quinze, pour un ministre plein, alors que la masse de travail à abbatre en occuperait facilement le double ou le triple ?

Michel Revol, dans le Point (article réservé aux abonnés du Point), raconte, comme tant d'autres articles le font depuis des années (la mesure de réduction des équipes en cabinet ministériel date de 2010 comme le rappelle l'Express (ici), sous la présidence Sarkozy) que les conseillers et directeurs de cabinet "travaillent 6 jours sur 7 de 7 heures du matin à minuit".

Il faut être aveugle pour ne pas voir l'incongruité de la mesure. Sous prétexte de vouloir montrer l'exemple, on paralyse l'appareil d'Etat. Que peuvent faire un ministre, un dir cab et dix conseillers, quand leur ministère doit pouvoir intervenir sur l'ensemble du territoire national, soit 1000 kilomètres de long sur 1000 kilomètres de large ou 675 417 km2 ? Corse et DOM-TOM exclus ? Comment tout connaître des dossiers de Dunkerque à Perpignan, de Brest à Strasbourg, de Calais à Nice, en ajoutant Bastia, Saint Denis de la Réunion, Basse-Terre, Tahiti..... Comment connaître.. Les hommes ? Nous savons tous qu'un dossier, une décision, est d'autant mieux appliquée, et vite que les hommes qui la prennent se connaissent et s'apprécient. Il suffit pour cela de lire la presse : quand quelque chose va mal, ou va bien aussi d'ailleurs, on découvre que les protagonistes de l'affaire ont fait une grande école ensemble, vivaient dans la même ville plus jeunes, ont des liens de parenté, et tutti quanti.

J'entends d'ici la critique : A vouloir bâtir une armée mexicaine, avec un général et des dizaines de colonels à ses côtés, plus rien n'avancera. Rien n'est plus faux : l'opération Overlord, un extraordinaire succès militaire qui n'a pas empêché 10 000 soldats alliés de périr dès le premier jour du Débarquement, était soigneusement découpée en tâches et sous-tâches confiées à des officiers généraux, supérieurs, subalternes autonomes ou complémentaires selon la mission à accomplir.

Or nous sommes en guerre. Guerre économique bien sûr, en pleine "drôle de guerre" même, celle qui précéda le déferlement des troupes allemandes sur la France, brisant les codes stratégiques classiques, se moquant de la neutralité de la Belgique, bousculant les armées anglaises et françaises en quelques semaines. Aujourd'hui, notre industrie est décimée, nos exportations s'effondrent, le chômage explose. Si nous ne bougeons pas, le pire est devant nous. On prend l'Allemagne comme modèle à tout bout de champ ? Le commandement de ses armées pendant la Seconde guerre mondiale était un modèle du genre, et a fait ses tristes preuves. Laissons-là cependant ces références militaires, le point Godwin ne sera sinon pas loin.

Bien sûr qu'un ministre doit pouvoir avoir des moyens humains quasi illimités pour agîr, alors que nous sommes en pleine tempête, et que l'ouragan est devant nous. Si l'on veut éviter que les nièces, fils du copain d'enfance, militants loyaux et autres obligés se voient affublés du titre et de la fonction de conseiller spécial sans en avoir les compétences, que l'on désigne un super DRH du Gouvernement. Il y en a bien un en Nouvelle-Calédonie, pourquoi pas en France ?

Et d'ailleurs, quand bien même : si un ministre veut absolument s'attacher les services d'un brave militant socialiste qu'il pratique depuis des années et dont il connaît la loyauté et l'efficacité, je n'y vois strictement aucun inconvénient. "Chaque soldat détient dans sa besace son bâton de maréchal" ; Les références à Napoléon sont autorisées en 2012 que je sache ? Ses qualités de grand stratège et de politicien accompli n'ont jamais été mises en doute. Napoléon fit de simples soldats de grands maréchaux. Leurs noms cernent la capitale.

Oui, il faut que chaque ministre puisse compter sur une garde rapprochée, prête à tous les sacrifices certes, capable de travailler sept jours sur sept de jour comme de nuit. Mais par quarts ! Un chef épaulé, entouré, peut décider et commander sereinement, s'il sait que les tâches confiées seront accomplies vite et bien, avec un compte-rendu régulier de l'avancement du dossier. Son esprit reste vif et clair, les idées fusent. Les lignes bougent, vite.

Invité à dîner un soir à l'Elysée par un ami conseiller voici quelques années, j'étais estomaqué de découvrir qu'un homme seul était d'astreinte dans un appartement avec femme et enfants pour pouvoir... répondre au téléphone en cas de besoin, et lancer la machine de l'Etat. Mais combien de millions de Français travaillent le soir, la nuit, le week-end, le dimanche, pendant les vacances, à Noël ou le jour de l'an ? Pourquoi n'en serait-il pas de même dans les ministères et à l'Elysée, non par accident (le travail n'est pas terminé) mais parce que le service est organisé ainsi ? Des conseillers qui commenceraient leur "quart" à minuit, quand les membres de l'équipe de l'après midi (16h00-24h00) auront terminé, seraient dans des conditions idéales pour faire avancer les dossiers. Pas de coups de téléphone. Pas de réunions subites. Pas de journalistes ou de députés à recevoir, pas de note à rédiger dans l'urgence. Et au petit matin, quand le ministre et le directeur de cabinet titulaire arrivent, des dossiers bouclés, des solutions trouvées. Et des équipes fraiches et motivées (8h00-16h00) pour assurer. Six jours sur sept. Une équipe réduite le dimanche, par roulement.

Puisqu'il faut réformer ce pays, décider et agir vite, le meilleur signal que nous pourrons envoyer à nos partenaires européens et aux marchés n'est pas de passer du Tipp-Ex sur trois chiffres dans un tableau de prévisions économiques. Oui, le gouvernement en place doit pouvoir légitimement se doter de moyens renforcés. Si un ministre est capable de gérer quarante conseillers plutôt que quinze, allons-y gaiement ! Cela ne changera rien aux déficits publics, d'autant que ces hommes peuvent être tout simplement recrutés sur le terrain, dans des ministères où ils font parfois doublon et se sentent inutiles. A croire que je suis seul à avoir des amis fonctionnaires. Aucun, si vous en avez, ne vous a-t-il jamais raconté ces histoires vraies de chefs de service, directeurs adjoints, arrivés à un plafond de verre qu'ils ne peuvent pas percer car les places au dessus d'eux sont prises ou n'existent tout bonnement pas ?

Pour ceux qui ont eu la chance de faire leur service militaire et d'être officier, rappelez vous : à 20, 22 ans, jeune lieutenant, vous commandiez entre 10 et 40 hommes, une section ou un peloton. Certains se débrouillaient très bien, d'autres moins. Pour ma part, j'estime que tous les ministres en poste au Gouvernement ont largement fait la preuve de leur capacité à commander. Monsieur le Président, confiez leur des sections d'assaut ! Si vous voulez créer un choc de croissance, un choc des mentalités, il faut pour cela des hommes qui ne pensent pas qu'à une chose : "faire la grasse matinée et repasser leur linge le dimanche" comme l'écrit mon confrère Michel Revol dans le Point, cette semaine, d'un directeur de cabinet.

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Photo Jean Baptiste Giraud

Jean-Baptiste Giraud est le fondateur et directeur de la rédaction d'Economie Matin.  Jean-Baptiste Giraud a commencé sa carrière comme journaliste reporter à Radio France, puis a passé neuf ans à BFM comme reporter, matinalier, chroniqueur et intervieweur. En parallèle, il était également journaliste pour TF1, où il réalisait des reportages et des programmes courts diffusés en prime-time.  En 2004, il fonde Economie Matin, qui devient le premier hebdomadaire économique français. Celui-ci atteint une diffusion de 600.000 exemplaires (OJD) en juin 2006. Un fonds economique espagnol prendra le contrôle de l'hebdomadaire en 2007. Après avoir créé dans la foulée plusieurs entreprises (Versailles Events, Versailles+, Les Editions Digitales), Jean-Baptiste Giraud a participé en 2010/2011 au lancement du pure player Atlantico, dont il est resté rédacteur en chef pendant un an. En 2012, soliicité par un investisseur pour créer un pure-player économique,  il décide de relancer EconomieMatin sur Internet  avec les investisseurs historiques du premier tour de Economie Matin, version papier.  Éditorialiste économique sur Sud Radio de 2016 à 2018, Il a également présenté le « Mag de l’Eco » sur RTL de 2016 à 2019, et « Questions au saut du lit » toujours sur RTL, jusqu’en septembre 2021.  Jean-Baptiste Giraud est également l'auteur de nombreux ouvrages, dont « Dernière crise avant l’Apocalypse », paru chez Ring en 2021, mais aussi de "Combien ça coute, combien ça rapporte" (Eyrolles), "Les grands esprits ont toujours tort", "Pourquoi les rayures ont-elles des zèbres", "Pourquoi les bois ont-ils des cerfs", "Histoires bêtes" (Editions du Moment) ou encore du " Guide des bécébranchés" (L'Archipel).