Il existe une réaction bobo en France, qui tétanise le pays et dont nous parions qu’elle ne tardera pas à ramener avec elle force protestations et même contestations violentes. Pour l’instant, dans la torpeur de l’été, après un printemps épuisant pour tout le monde, le calme règne. La caste bobo qui monopolise le pouvoir en France en profite pour pousser ses pions et verrouiller un pouvoir qu’elle a cru perdre un soir de 3 décembre, lorsque l’Arc de Triomphe était en proie à l’émeute.
La réaction bobo, semblable à la réaction thermidorienne qui, en son temps, avait expurgé les robespierristes du pouvoir, est à l’œuvre, même s’il est difficile de la déceler avec des yeux aussi fraîchement contemporains, aussi fraîchement collés à l’actualité. Mais nous soutenons ici que ce mélange subtil de managers bourgeois aisés et progressistes, alliés aux acteurs les plus influents de la technostructure, mènent aujourd’hui une réaction en bonne et due forme, destinée à récupérer tous ses privilèges, menacés durant l’hiver des Gilets Jaunes. Nous en proposons une description schématique.
L’écologie, cadre idéologique de la réaction bobo
Pour qu’une réaction ait lieu, il lui faut un sens, une justification intellectuelle et morale en quelque sorte. Ce cadre idéologique de la réaction bobo est celui de l’écologie et du « sauvetage de la planète », qui est mis à toutes les sauces, et spécialement aux sauces qui permettent de réintroduire toutes les mesures destinées à garantir la domination de cette caste sur le reste de la société.
Ainsi, la canicule qui frappe la France est identifiée comme la preuve absolue, irréfutable, des origines humaines du réchauffement climatique, répété à l’envi comme un mantra. Tous ceux qui tentent une explication moins dramatique, tous ceux qui manifestent le moindre doute vis-à-vis du slogan « la planète est en danger » sont bannis, comme ont pu l’être les négationnistes ou les adorateurs d’Adolf Hitler.
Cela faisait longtemps que les bobos cherchaient un motif de culpabilisation des classes laborieuses, une raison nouvelle de stigmatiser les dissidents. Depuis que la mise en quarantaine du Rassemblement National ne suffit plus à tenir le petit peuple, l’écologie fait figure de sauveuse. L’ennemi à abattre n’est plus tant (ou plus seulement, ou plus prioritairement) celui qui est nationaliste. L’ennemi principal est celui qui utilise des énergies fossiles, qui prend une voiture pour aller travailler, qui gaspille les ressources fossiles de la planète.
La terreur millénariste est de retour
On notera que, comme on le sait au moins depuis Gustave Le Bon, cette domination idéologique repose d’abord sur un mécanisme de manipulation émotionnelle. Au dix-neuvième siècle, des communautés protestantes allemandes ou américaines étaient convaincues que la fin du monde était proche et que seuls ceux qui vivaient sur la Terre Sainte seraient sauvés. La même peur d’une fin du monde (transformée en collapsologie, c’est beaucoup plus chic et rationaliste) revient aujourd’hui, avec la conviction que seule une émigration massive vers la planète Mars peut nous sauver (d’où l’engouement actuel pour les conditions d’une colonisation martienne viable). Faute de pouvoir quitter cette planète en voie d’extinction imminente, il faudrait donc se morfondre en attendant le jour dernier.
Les peuples européens victimes de la Grande Peste de 1348 n’avaient pas réagi autrement. La poussée, en ce temps-là, des « flagellants » qui parcouraient les campagnes en se fouettant publiquement pour implorer le pardon divin, n’est pas différente de la pensée de mouvements comme « Extinction Rébellion » ou « L214 », qui légitiment des actions spectaculaires pour expier nos prétendues fautes vis-à-vis de la nature.
La réaction bobo, ou sus au prolétaire pollueur
Qui sont désignés comme les grands coupables de ce prochain effondrement de la planète? Les capitalistes, d’abord, devenus synonymes de productivistes à tout crin, et sans aucun scrupule. Les prolétaires surtout, qui cumulent toutes les tares d’une société héritée des Trente Glorieuses, et ce faisant malade de son sur-développement. Ainsi le prolétaire a-t-il la manie de vivre loin des métropoles, et donc de prendre sa voiture diesel pour aller travailler (s’il restait chez lui à profiter d’un minima social, il deviendrait tellement sympathique). Il a une maison avec un jardinet qu’il entretient à coups de Round-Up. Au supermarché du coin, il achète des ravioli en boîte et des plats surgelés farcis de perturbateurs endocriniens. Il ne recycle rien et participe souvent au mal-être animal en se gavant de viandes bon marché (des poulets en batterie, du porc qui ne voit jamais le jour).
Si l’on ajoute à ce tableau lamentable que le prolétaire vote volontiers pour le Rassemblement National, qu’il est hostile aux femmes voilées et qu’il ne se sent pas responsable de la colonisation, alors on dispose de toutes les raisons légitimes pour le détester et le combattre.
L’écologie comme discours de classe
Bien entendu cette chasse au pollueur sous toutes ses formes est une posture idéologique qui n’inclut pas plus les bobos eux-mêmes que la nomenklatura soviétique n’était concernée par l’égalité prolétarienne. D’où des déferlements de haine comme dans l’affaire de Rugy, où l’on découvre que le ministre de la Transition écologique n’avait manifestement aucun scrupule à envoyer son chauffeur automobile à Nantes pendant que lui-même s’y déplaçait en train, surpolluant ainsi, tout en donnant des leçons de savoir-vivre aux manants. L’hypocrisie règne et exaspère.
D’une manière générale, le discours bobo sur la frugalité énergétique percute de plein fouet le mode de vie de ceux qui le propagent et le transforment en principe théologique infaillible. Ainsi, faut-il manger local, selon Jacques Attali, sympathiquement croqué par Laurent Alexandre. Mais on n’imaginait pas jusqu’ici Jacques Attali adepte d’un mode de vie « local ».
De façon très paradoxale, et révélatrice, l’éloge du local est porté par une caste mondialisée, qui bave à longueur de journée sur les « souverainistes », les « identitaires », les « réfractaires », et professe ouvertement son amour du cosmopolitisme, à grands coups de trajets en avion et de recours effréné à la consommation la plus m’as-tu vu? Raphaël Glucksmann, nouveau prophète de l’écologie et du sauvetage de la planète, n’hésitait d’ailleurs pas à se déclarer plus à l’aise à New-York qu’en Picardie. Ces grands consommateurs de kérosène sont pourtant les champions de la stigmatisation de ceux qui prennent l’avion, et les plus grands défenseurs du « circuit court ». Fais ce que je dis…
La technostructure conserve le pouvoir
Dans ce rouleau compresseur de l’écologie qui envahit tous les esprits et toutes les télévisions, dans cette nouvelle fureur qui ne souffre aucun écart, l’essentiel est préservé. Pendant toute la campagne des Gilets Jaunes, l’appel à baisser les impôts à fait craindre à la technostructure le pire. Peut-être allait-on réellement réduire la voilure d’un service public obèse et inefficace.
Par un retournement miraculeux, l’orage est passé. Grâce aux taux négatifs, que la France entend bien s’injecter dans les veines jusqu’à l’overdose, l’argent facile permet de refaire du déficit, et Macron a poussé la candidature d’Ursula Von der Leyen à la présidence de la Commission en échange d’une promesse de consentir au laxisme budgétaire français. Les fonctionnaires pourront donc largement profiter d’un déficit qui dépassera allègrement, en fin d’année, la barre jamais atteinte des 100 milliards d’euros, soit environ un tiers du budget de l’Etat.
Partout où elle le peut, la technostructure s’accroche au pouvoir comme une moule à son rocher. La démission forcée de Rugy (victime, dit-on, d’une cabale journalistique contre sa femme) permet à Elisabeth Borne de reprendre ce maroquin maudit. On ne pouvait rêver meilleure représentante de la technostructure, meilleure antithèse de l’écologie, pour incarner la transition écologique.
La caste bobo et la technostructure
Ce qu’on retiendra de cet épisode estival de réaction bobo, c’est probablement le lien de plus en plus étroit, de plus en plus osmotique entre la technostructure et l’idéologie bobo. Peu à peu, l’un et l’autre ne font plus qu’un. Face à l’émergence d’une contestation populaire pour laquelle les règles du jeu étatiques ne vont plus de soi, les « aristocrates » du système républicain ont trouvé leur fer de lance pour légitimer leur domination: il faut transformer la société pour sauver le climat. Et cette transformation suppose, bien entendu, l’action sacro-sainte de l’administration pour réussir.
Nous parions ici sur la résistance profonde de la société française à cette tentative de reprise en main par la caste.
Article écrit par Eric Verhaeghe sur son blog