La graine, la fleur, le déficit et nos petits impôts

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Par Alain Desert Publié le 13 mai 2014 à 2h02

Qui est à l’origine de quoi ? Si les déficits publics provoquent des hausses d’impôts, peut-on dire que les hausses d’impôts entretiennent les déficits publics ? C’est une question qui peut paraître stupide, sans valeur. On pourrait rapprocher ces causalités avec les affirmations suivantes : les nuages sont à l’origine de la pluie, l’œuf est à l’origine de la poule (ou bien l’inverse), la graine est à l’origine de fleur, la source est à l’origine de la rivière. Mais est-ce aussi simple?

La graine et la fleur

Si la graine est à l’origine de la fleur, la fleur est aussi à l’origine de la graine, et par une continuité causale, je peux donc dire que la graine est à l’origine de la graine, ou bien que la fleur est à l’origine de la fleur. Dans ce dernier cas, je viens de perdre une information importante : l’existence de la graine, ou dans le cas précédent, ce qui est pire encore, l’existence de la fleur. Si je dois retenir une causalité ultra simplifiée, je retiens que la fleur est à l’origine de la fleur, car elle est bien plus jolie que la graine. Avec cette vue réductionniste poussée à l’excès, j’occulte le pollen, l’ovule, la fécondation, l’abeille, les stratégies du vivant, la couleur, l’odeur, la forme, etc. L’abeille a besoin de la fleur pour apporter le nectar à la ruche, et la fleur a besoin de l’abeille pour sa reproduction. L’abeille serait-elle à l’origine de la fleur, ou bien l’inverse ?

Soyez patient, j’avance progressivement sur la question des déficits et des impôts.

La pluie et les nuages

Si les nuages sont à l’origine de la pluie, peut-on dire que la pluie est à l’origine des nuages ? hormis une défaillance de mémoire, je n’ai jamais entendu cette réflexion. Pourtant cela paraît loin d’être idiot, car pour former les nuages il faut bien qu’il y ait de l’eau quelque part. De nombreux nuages sont ainsi formés à partir de l’eau des mers et des océans, arrivent tout doucement sur nos côtes et sur nos terres, et enfin tombe la pluie. Et si la pluie disparaissait par magie au fur et à mesure qu’elle tombe? Eh bien les océans seraient vides à force d’être évaporés durant des millions d’années. Donc c’est bien grâce à la pluie qui va former les petits ruisseaux, qui vont former les rivières, qui vont se jeter dans les océans ou les mers compensant ainsi les pertes d’eau, que peuvent se former les nuages. Alors pourquoi ne dit-on jamais que la pluie est à l’origine des nuages ?

Tout serait-il à l’origine de tout dans une organisation où règne la complexité, les cycles, les dynamiques, de nombreux processus, des interactions, des rétroactions ? La notion de causalité se brouillerait-elle au point que causes et effets n’ont plus la netteté qu’on leur accorde si souvent ?

Où sont les impôts et les déficits dans tout cela ? J’y viens bientôt.

Les habitudes de pensée

Le cerveau humain a l’habitude de raisonner selon des principes de causalité, de linéarité. Une version restreinte de la causalité, celle qui est dite linéaire, se traduit ainsi: s’il y a l’événement A, il y a alors l’événement B, avec éventuellement des étapes intermédiaires, ou bien si l’événement B est arrivé, c’est parce qu’il y a eu l’événement A ; la causalité suppose une antériorité, qu’un effet soit lié à une cause. Lorsque la liaison de cause à effet est nécessaire, inévitable, on touche alors à ce qu’on appelle le déterminisme. Un système soumis au déterminisme subit une succession d’événements, de phénomènes, où ses états futurs sont déterminés par ses états présents et/ou antérieurs.

Notre rapport avec le temps, notre culture, notre formation, nous amènent souvent à décrypter la réalité à travers une succession d’évènements. Mais cette logique appliquée à un monde complexe n’est pas adaptée. L’économie connectée, mondialisée, n’autorise plus exclusivement l’observation et l’analyse sur une succession temporelle d’événements. On voit poindre le rapprochement qui peut être fait avec la causalité "déficit-impôt".

Deux systèmes aux comportements opposés : météo et système solaire

Cela peut aider à comprendre l’économie. Et juste après j’en viens à la vraie question !

Le système solaire est complétement déterministe. Il est ainsi possible de connaître la position des planètes dans le futur ou le passé en connaissant les états et paramètres du présent, et calculer les dates des prochaines éclipses de lune ou de soleil. Quoi de plus déterministe ! Un déterminisme qui ferait rêver certains dirigeants politiques persuadés par exemple qu’en augmentant les impôts de 10 milliards d’euros, il y aura 10 milliards d’euros de recettes supplémentaires. On s’approche de la vraie question !

A contrario, le système météorologique n’est pas déterministe. S’il l’était nous pourrions faire des prévisions à long terme. Je peux affirmer sans trop de risque de me tromper que l’on ne pourra jamais prévoir le temps à 6 mois, quand bien même la puissance de nos calculateurs serait multipliée par 1000 ou 1 million, tout simplement à cause de ses propriétés chaotiques (avec un brin de déterminisme). Heureusement, les nuages, la pluie, le soleil, la neige, le vent nous réserveront pour longtemps encore de belles surprises. Vous imaginez un monde où tout est connu à l’avance, un monde complétement déterminé ! Mais en économie mieux vaut éviter les mauvaises surprises, les instabilités, les changements brutaux, le chaos !

Laissons le déterminisme à nos petites planètes qui courent tranquillement autour du soleil depuis la nuit des temps, et gardons un peu d’alétoire, d’imprévisibilité, dans notre quotidien de vie qui serait bien monotone, morose si tout était prévisible. Mais là c’est un autre sujet !

Mais où sont les impôts et les déficits dans tout cela ? J’y viens cette fois-ci.

La dynamique économique

Pourquoi une si longue introduction ? Tout simplement pour sensibiliser sur quelques notions directement liées à la complexité du monde. L’économie mondiale est aujourd’hui comparable à un système complexe tel qu’il en existe dans la nature. Les chaînes causales disparaissent pour laisser place à des dynamiques, des instabilités, des phénomènes d’emballement, des ruptures, etc. ; les causes et les effets s’estompent, se confondent au point qu’une cause peut devenir un effet et un effet peut devenir une cause. La linéarité fait donc place à des dynamiques toujours plus difficiles à appréhender (par exemple, on le voit aujourd’hui avec la "guerre des monnaies ", élément déstabilisant pour l’économie mondiale, dont on ignore l’issue et la réelle efficacité économique).

L’économie se complexifie à la fois au niveau national, et plus encore au niveau mondial, et si on élargit le champ d’étude, il est toujours plus difficile d’identifier l’origine des phénomènes observés. La réduction de la complexité par les techniques de séparation, revenant à décomposer un système en composants élémentaires ne permet plus d’avoir une bonne connaissance sur son comportement.

Déficit et impôts. Quel mal est à l’origine de l’autre ?

Avec la crise qui brutalement est arrivée sur nos côtes après une traversée rapide de l’atlantique, les déficits ont explosés. En France, le déficit public de l’année 2009 était de 7,5% de PIB, d’un montant proche de 140 milliards d’euros. Les deux dernières années du mandat de Mr Sarkozy ont vu les impôts augmenter de 30 milliards d’euros, tout à fait à l’image des deux premières années du mandat de Mr Hollande où ils ont augmenté d’à peu près autant. Bizarrement, les 60 milliards d’impôts supplémentaires (ne chipotons pas) ont assez peu contribué à la réduction des déficits, qui représentaient encore 5,3% du PIB en 2011, pour laborieusement atteindre 4,3% en 2013. Mais où sont allés ces dizaines de milliards d’euros ? La réponse est loin d’être évidente.

Pour résoudre nos problèmes chroniques de déficit public, l’état choisit le plus souvent l’option fiscale et rarement la diminution des dépenses. Deux remèdes de grand-mère, "OSDETAX" et "OSDEZIMPO", toujours fabriqués par "Bercy-Laboratory" et prescrits par le cabinet "Matignon", sont régulièrement administrés auprès d’une large population, à de fortes doses provoquant gênes, malaises, vertiges, irritations, insomnies, et présentant aujourd’hui quelques cas de résistance. Et lorsque l’état présente une ordonnance d’une autre nature, autrement dit un plan d’économies, on constate qu’elles sont plus fictives que réelles, faisant penser à un vulgaire placebo ; il s’agit davantage d’un ralentissement du rythme de progression de la hausse que d’une réelle baisse.

Les dirigeants politiques toujours convaincus que la pression fiscale réglera le sujet, se trouvent aujourd’hui confrontés à de nouveaux éléments, une nouvelle configuration où les certitudes se brisent, se fracassent sur une nouvelle réalité qui n’est pas encore décrite dans nos petits manuels économiques.

On évoque fréquemment la courbe de Laffer (courbe en cloche) que l’état français est probablement en train d’expérimenter et qui exprime qu’à partir d’un certain niveau de prélèvements obligatoires, les recettes de l’état diminuent si la pression fiscale augmente davantage (plus l’état augmente les impôts et moins il perçoit !). Elle pourrait alors expliquer que l’augmentation des impôts, dans le contexte actuel, s’avère inefficace, donnant de médiocres résultats face aux sommes mises en jeu (loi des rendements décroissants). Ces augmentations entravent le dynamisme économique, l’esprit d’initiative, les potentialités d’investissements, broient certaines entreprises, en découragent d’autres, pénalisent le pouvoir d’achat, font fuir les talents. De là, les recettes fiscales sont moins importantes qu’attendues, la croissance potentielle reste bridée et les objectifs ne sont pas atteints. Mais est-ce que la croissance est la solution ? Me voilà enfin au cœur du sujet. La linéarité est brisée, à tel point qu’il devient très difficile aujourd’hui de bâtir une politique fiscale et budgétaire.

Les déficits peuvent également être en partie expliqués par un endettement trop important (la charge de la dette, autrement dit les intérêts payés chaque année représente une petite somme de 45 à 50 milliards d’euros !), évidemment par un excès de dépenses publiques, par un manque de compétitivité des entreprises qui investissent moins, avec des marges faibles, affectant le PIB et les rentrées fiscales. Encore une fois les causes se brouillent et la circularité s’impose sur la linéarité : dépenses, pression fiscale, déficit, dette, taux d’intérêt, liquidités, compétitivité, attractivité. L’un ne va pas sans l’autre, tout est lié, relié, connecté. La linéarité paraît encore une fois brisée, caduque. Oublions-la rapidement. On ne peut plus se permettre de séparer pour étudier.

L’équation impossible

Quels que soient les leviers utilisés, le pilotage s’avère désormais impossible. les impôts augmentent, au risque de provoquer des effets récessifs ou de compromettre la croissance et les recettes ne sont pas au rendez-vous. Si on les baisse, il y aura alors sur le court terme moins de rentrées fiscales, une aggravation du déficit et une augmentation de la dette. Les effets positifs liés à une baisse de la pression fiscale ne se feraient sentir que quelques années plus tard. Mais le temps politique n’est pas le temps économique. Le politique se doit d’obtenir des résultats à court terme, un temps incompatible avec des décisions élaborées, réfléchies, se portant sur des horizons plus lointains. On reste empêtré, englué, peut-être à cause de logiques de pensée révolues. Les programmes politiques se suivent et se ressemblent, et pourtant le monde change. Le changement impose l’adaptation, la remise en cause, alors que les recettes restent inchangées, utilisant les mêmes ingrédients servis dans les mêmes assiettes.

CONCLUSION

A la question initiale, que peut-on réellement répondre ? Déjà, que soient posées les vraies questions, en recherchant en profondeur les véritables causes, tout en gardant à l’esprit, comme on l’a vu, que les principes de causalité sont de plus en plus flous. Qu’on arrête de se figer dans des théories économiques anciennes, qui tiennent assez peu compte d’un contexte évolutif qui n’a pas plus grand chose à voir avec l’économie telle qu’on la pensait il y a quelques décennies. Je conseille donc aux dirigeants d’abandonner une logique linéaire et les vieux ancrages idéologiques. Essayer de trouver les origines de quelque chose dans un système devenu complexe n’a plus beaucoup de sens. C’est le problème de l’œuf et de la poule. Lequel est arrivé en premier ? La question ne doit même pas se poser, car la problématique est insoluble.

Il faut changer notre regard sur le monde. Les dirigeants politiques doivent réformer leurs modes de pensée, leurs concepts, qui apparaissent à jamais rigidifiés, fixés, cristallisés. Il leur faut découvrir la souplesse d’esprit, apprendre à réagir vite et bien pour ne pas être les derniers, à relier et non à isoler, à rassembler et non à séparer, à raisonner global et moins local. C’est la clé de la réussite économique ainsi que celle d’une stabilité sociale.

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Ingénieur en informatique, Alain Desert a longtemps travaillé sur des plates-formes grands systèmes IBM où il a eu l'occasion de faire de nombreuses études de performances. Il est un adepte de l'approche systémique.

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