Est-il pertinent d’accuser la direction de PSA d’avoir commis de lourdes erreurs stratégiques, qui l’obligent aujourd’hui à fermer l’usine d’Aulnay et à sortir du CAC40 ? On peut en douter. La situation actuelle de Peugeot Citroën résulte en fait de trois causes distinctes.
Des politiques publiques qui encouragent le bas de gamme. N’est-il pas surprenant que l’industrie automobile française, jadis réputée pour ses véhicules de prestige (Bugatti, Delage, mais aussi Renault), ait été distancée par ses voisins Allemands, alors que notre pays reste le symbole international du luxe ? Une des explications est certainement la constance avec laquelle nos gouvernements successifs ont dissuadé les positionnements haut de gamme pour pousser peu à peu nos industriels à se spécialiser sur des produits bon marché.
Pour des raisons autant électorales qu’écologiques, les primes, bonus et subventions concernent toujours les petites voitures économiques à faible marge, là où les Allemands se refusent à limiter la vitesse sur certaines autoroutes pour soutenir Mercedes, BMW ou Porsche.
De même, les réductions de charges sur les bas salaires dissuadent de recruter une main d’œuvre qualifiée – pourtant gage de qualité et d’innovation technologique – là où un redémarrage de l’ascenseur social demanderait plutôt de pousser les entreprises à recruter un personnel mieux formé et mieux payé. Incitée à se focaliser sur l’entrée de gamme, l’industrie automobile française se trouve entraînée dans la spirale infernale du low cost, source de délocalisations et d’appauvrissement.
La conjoncture actuelle de l’industrie automobile en Europe est catastrophique. Le marché s’est effondré d’un quart en quatre ans et la rentabilité des constructeurs est désormais avant tout conditionnée par la couverture de leurs gigantesques frais fixes, alors qu’ils souffraient déjà de surcapacités chroniques. Qui plus est, Volkswagen profite de sa position dominante pour mener ce que Sergio Marchionne, le P-DG de Fiat, a qualifié de "bain de sang sur les prix et sur les marges".
Fort de sa santé retrouvée et d’une notation financière plus favorable qui lui permet de s’endetter à bon compte, le constructeur allemand – qui avait été contraint de supprimer 20 000 emplois en 2006 – menace tout simplement la survie de la plupart de ses concurrents européens.
Il faudra s’y faire : même si l’automobile est née en Europe et a grandi aux États-Unis, son avenir est désormais en Chine, au Brésil et en Russie.
Une bonne stratégie qui n’est pas allée assez loin. Face à cet environnement difficile, PSA a fait des choix stratégiques a priori légitimes.
Plutôt que de s’engouffrer dans la course au low-cost derrière Dacia, Citroën a réussi le lancement de sa gamme DS, premier exemple de succès d’une marque française dans le haut de gamme depuis des décennies. Plutôt que de tenter le pari fou du tout électrique, PSA a misé sur l’hybride, coûteux et techniquement complexe, mais bien en phase avec les attentes des clients.
Enfin, la Chine est d’ores et déjà le deuxième marché de Citroën et ses futurs modèles y seront annoncés. Ces décisions stratégiques ont été pertinentes, mais elles n’ont pas reçu toutes les ressources nécessaires à leur déploiement. Comme le rappelle le rapport remis au ministre du redressement productif, plutôt que de racheter ses propres actions et de distribuer des dividendes pour un total de 6 milliards d’euros entre 1999 et 2011, le conseil d’administration de PSA – celui-là même qui a nommé les dirigeants successifs – aurait mieux fait d’allouer ces sommes au renforcement de sa stratégie : repositionnement sur des véhicules à plus forte marge, innovation technologique et surtout internationalisation.
Au total, ce ne sont donc pas des erreurs stratégiques qu’il convient de blâmer. La situation actuelle de PSA résulte de facteurs qui échappaient en grande partie à ses dirigeants : des décennies de politiques publiques favorables au bas de gamme (peut-on encore croire que la France retrouvera sa compétitivité industrielle en se focalisant sur les offres à bas prix ?), un affrontement concurrentiel délétère (les Allemands vont-ils admettre qu’ils ne pourront pas rester riche au milieu d’une Europe qu’ils auront appauvrie ?) et des actionnaires trop avides (mais la réglementation et la fiscalité ne les ont-elles pas encouragés à préférer les plus-values aux investissements ?).
Pour qu’une stratégie porte ses fruits, il convient de lui allouer tous les moyens nécessaires. Ce qui a manqué à PSA, ce n’est pas une bonne stratégie, ce sont les moyens de l’accomplir.