* "Ce sera la bataille des modernes contre les anciens, la bataille de l'audace contre le conformisme, la bataille contre les révolutionnaires du statu quo", proclame Arnaud Montebourg.
Bigre, quel est ce combat épique que vous manquâtes peut-être, siestant tranquillement dans le crissement des cigales, le bruissement des abeilles, le croassement des crapauds ou le caquetage des mouettes tandis que notre ministre de l'Economie, prenant tous les risques, guerroyait ferme ?
Peut-être malgré votre confortable torpeur vous demandez-vous quel étrange bipède pourrait être un "révolutionnaire du statu quo" ?
Dans la chaleur de l'été, notre bouillant Arnaud Montebourg s'est attaqué aux privilèges des 37 professions libérales et réglementées : dentistes, notaires, huissiers de justice, greffiers, pharmaciens, podologues, géomètres, ambulanciers... Objectif : rendre du pouvoir d'achat aux Français car un rapport de l'Inspection des Finances dénonce "l'ampleur des gains dans ces métiers", selon le Journal du Dimanche.
En France, l'argent est en général mal vu. Celui qui en a est soupçonné de l'avoir arraché à de pauvres gens sans défense. En a-t-il hérité de sa famille ? Il n'est pas pour autant tiré d'affaire, dans ce cas aussi son argent est mal acquis ; son seul mérite serait le hasard d'être né une petite cuillère d'argent dans la bouche et enrobé de cachemire, ce qui est injuste vis à vis de celui qui est né environné de couverts en fer blanc et de laine mitée.
L'argent bien vu en France est à la rigueur celui gagné par un talent d'amuseur public (acteur, chanteur, sportif de haut niveau) ou au jeu (Loto). Dans ce dernier cas, par une inconséquence que nous n'approfondirons pas, l'argent prodigué par un jeu de hasard inventé par l'homme serait plus respectable que celui qui est prodigué par le hasard de la naissance présidée par Dame Nature.
Il y aurait donc de l'argent propre -- celui qui est gagné par ceux qui n'en gagnent pas beaucoup -- et de l'argent sale, celui qui est accumulé par ceux qui en gagnent beaucoup, par exemple les entrepreneurs ou certaines professions dites libérales, celles que compte pourfendre Arnaud Montebourg.
Notez bien que la noble mission purificatrice de l'impôt et de la redistribution vient transformer l'argent sale. Car la taxe en France n'est plus vue comme la contribution de chacun au bon fonctionnement de l'Etat. Il est désormais admis que l'Etat agisse en justicier, rétablisse la justice en "redistribuant" les revenus. Comme le disent si joliment les auteurs de la Théorie de la révolte fiscale, Serge Schweitzer et Loïc Floury, c'est le miracle de Saint Fisc que de transformer l'argent sale (vilainement gagné) en argent propre (prodigué par l'Etat à ceux qui sont jugés nécessiteux).
* Et le pouvoir d'achat, là dedans ?
Cette distinction entre argent propre et argent sale et le combat d'Arnaud Montebourg laissent cependant songeur. C'est une distinction qui permet aux élus de prendre aux uns pour donner à ceux qu'ils choisissent, en général ceux qui sont susceptibles de voter pour eux.
L'argent propre est celui qui est gagné avec une activité soumise à la concurrence. La véritable concurrence est la seule et unique garantie que l'argent n'a pas été extorqué -- puisqu'à tout moment chacun a le choix de dépenser ou pas, de se fournir ailleurs ou pas. Le monopole privé n'existe pas. Si une activité est lucrative, des concurrents ne tarderont pas à se manifester.
Reste le monopole public ou délégué par l'Etat. Celui là est en général le plus détestable et le plus difficile à faire sauter car il se protège par des lois. Si la lutte d'Arnaud Montebourg était effectivement orientée dans ce sens elle serait admirable.
Hélas, le combat d'Arnaud Montebourg est comme d'habitude déloyal et hypocrite : pourquoi les pharmaciens plutôt que les chauffeurs de taxi ? Pourquoi pas les monopoles d'Etat (réseaux, assurance-maladie) tant qu'on y est ? Parce que c'est plus simple de taper sur une population hétérogène de 650 000 individus en sélectionnant parmi eux les moins nombreux (pharmaciens et notaires) que de faire de vraies réformes.
Le pouvoir d'achat des Français dépend plus de l'efficacité de notre Etat que de la baisse du paracétamol délivré sans ordonnance par le supermarché du coin. Faut-il rappeler que, bizarrement, la France a besoin de deux millions de fonctionnaires de plus que l'Etat fédéral allemand ? L'argent sale, encouragé par l'Etat au travers de passe-droits, privilèges, normes et prébendes ne va pas disparaître, rassurez-vous ; Montebourg – même éjecté du gouvernement - sera probablement réélu par ceux qu'il trompe... mais en réalité, le "révolutionnaire du statu quo", c'est lui !
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