On se marre bien à gauche, avec cette histoire de primaires qui semble beaucoup agiter les esprits. Il est vrai qu’avec un attentat par mois, 3,5 millions de chômeurs, une économie déprimée et une crise migratoire majeure, le seul sujet qui peut occuper légitimement les esprits est celui de la désignation du futur candidat pour l’an prochain.
Primaires: Hollande s’accroche à son fauteuil
Bon, d’une certaine façon, on peut les comprendre, ces esprits qui s’excitent pour savoir s’il faut ou non une primaire pour 2017. Hollande ne donne pas dans la dentelle et leur stimule forcément une percée de boutons de derrière les fagots. Il faut dire qu’il parle de sa réélection… depuis son élection. L’envie lui vient de loin. Il y pensait déjà quand il avait annoncé qu’il ne se représenterait pas s’il ne parvenait pas à inverser la courbe du chômage. C’était son âge naïf: il croyait vraiment que l’économie était comme une machine à laver, avec des cycles courts et des cycles longs qui s’enclenchent tout seuls.
Personne ne sait s’il a compris que la désastreuse politique fiscale menée par le désastreux Jean-Marc Ayrault avait tué toute possibilité de relancer la lessiveuse. Toujours est-il qu’il croyait à un cycle court de dépression et un cycle long de croissance, et c’est l’inverse qui se produit: l’économie n’en finit pas d’être déprimée, et personne ne sait quand le programme va passer sur l’indicateur: croissance.
Cette petite inversion des cycles ne lui facilite pas la vie et ruine systématiquement tous ces espoirs de rebond en popularité. Même des dizaines de morts dans les rues, des commémorations de tout et de rien, des empilements de discours larmoyants, des promenades sur les tous les lieux de guerre et de mémoire, n’y font rien. Les Français ne le prennent pas au sérieux. Du coup, il se crispe, le pépère Hollande, et il est bien tenté de passer en force sur la question de 2017.
Primaires: la ridicule argumentation des frondeurs
Les coups de menton présidentiels ont le don de hérisser tous ceux qu’il a trahis (ce qui fait du monde). On notera en premier lieu Thomas Piketty, qui s’imaginait avant 2012 pouvoir changer le monde par la politique (et par le candidat Hollande, le meilleur ennemi de la finance mondiale), et qui a vu toutes les portes se fermer une après une, pour lui, au Parti Socialiste, à mesure que le pouvoir se rapprochait et que ses relations avec Aurélie Filipetti se dégradaient. Mais comment un universitaire pouvait-il imaginer un instant que le Parti Socialiste était capable de porter des idées? Il fallait une sacrée dose de cécité pour y croire – dose qui laisse planer un doute sur le sérieux du bonhomme.
Le même Piketty propose aujourd’hui que François Hollande, s’il veut être réélu, passe par les fourches caudines de la primaire, descende dans l’arène face à Cécile Duflot, à Mélenchon, à on ne sait qui encore. Qu’entre deux attentats, entre deux sommets internationaux, il fasse campagne pour se présenter aux électeurs de gauche, comme s’il n’était pas le chef de l’Etat. Voilà une belle idée qui renforcera l’image de la France à l’étranger, et qui garantit une grande victoire de la gauche en 2017.
En effet, de deux choses l’une. Soit Hollande est élu à l’issue de la primaire comme le candidat de la gauche, mais il aura suffisamment écorné sa fonction et son rôle, il aura suffisamment pris de coups pour ne pas être un instant crédible en 2017. On l’imagine dans un débat avec Mélenchon et Duflot, s’entendant dire ses quatre vérités, puis faire campagne en 2017 avec le soutien des mêmes Mélenchon et Duflot qui lui auront infligé une volée de bois vert? Pas besoin de la droite pour arriver affaibli au scrutin: le nombre de voix qu’il aura recueillies à la primaire donnera une bonne indication du score qu’il réalisera aux présidentielles, et sa stature sera définitivement carbonisée.
Mais le pire pour le pays serait évidemment que Hollande ne soit même pas désigné comme le candidat de la gauche pour 2017. On mesure, dans cette hypothèse, le désastre pour la France d’être dirigée par un homme désavoué officiellement par son propre camp. Autant proposer une vacance du pouvoir à partir de septembre 2016, en pleine tourmente terroriste, et autres… On voit mal comment un candidat de gauche, quel qu’il soit, pourrait se relever d’une telle chienlit.
Bref, dans tous les cas, une primaire à gauche ne peut qu’affaiblir un peu plus la gauche tout entière.
La primaire et ses étranges partisans
Dans le lot de ceux qui appellent à l’organisation d’une primaire, on lit des noms stupéfiants. Par exemple, l’un des premiers signataires est Guillaume Duval, rédacteur en chef adjoint d’Alternatives Economiques, qui vient d’être nommé personnalité qualifiée au Conseil Economique, Social et Environnemental au titre de la protection de la nature et de l’environnement. Voilà une belle nomination entre copains qui est immédiatement suivie par un coup de sabot dans les jambes.
Je note aussi le nom de Marie Desplechin, notoirement incapable d’aligner deux idées politiques censées (mais tout aussi notoirement capable de répéter sans le moindre doute les âneries qui circulent dans les cercles parisiens), ou encore celui Vikash Dhorasoo, ancien footballeur de l’équipe de France. On se demande pourquoi Nabila ou Loana ne figurent pas sur la liste. Peut-être sont-elles opposées à la primaire et préfèrent-elles une candidature « naturelle » de Hollande l’an prochain.
On voit bien ici que les partisans de la primaire sont plus mus à la fois par un opportunisme et une haine du personnage Hollande que par le souci de faire gagner leur camp en 2017.
La primaire et le Front National
Alors que le pays est battu par les flots, le nombrilisme parisien de ceux qui demandent une primaire en dit long sur l’incapacité de la gauche à se renouveler sociologiquement et à se hisser au niveau des enjeux qui préoccupent les Français. Dans ces conditions, toutes les conditions sont rassemblées pour une défaite impressionnante en 2017 et pour une mise en exergue du Front National.
La seule chance qui reste à la gauche, c’est la droite. Les divisions y semblent aussi considérables qu’à gauche, et ce qui ressemble de plus en plus à un combat des Horace et des Curiace est plus incertain du fait de la médiocrité des combattants que du fait de leur force.
Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog