L'économie brésilienne, qui dépend fortement des matières premières, se prépare aux élections législatives et présidentielles d'octobre. Avant cette échéance importante, le coût élevé du capital, l'inflation et les dépenses fiscales pourraient se conjuguer pour accroître la volatilité des actifs financiers. Les sondages d'opinion montrent que le président de droite en exercice Jair Bolsonaro accuse du retard sur l'ancien président de gauche, Luiz Inacio Lula da Silva.
Le 2 octobre, 156 millions d'électeurs brésiliens se rendront aux urnes pour désigner un président, un vice-président et un nouveau Congrès national. Parallèlement, ils devront élire les gouverneurs des États et les législateurs locaux. Le scrutin électronique utilise un système à deux tours. Par conséquent, à moins qu'un candidat ne remporte la majorité absolue, le vote sera suivi par un second tour le 30 octobre. Le nouveau gouvernement entrera en fonction en janvier 2023.
En 2018, lorsque M. Bolsonaro a été élu, le Brésil sortait d'une profonde récession. Ensuite, la pandémie de Covid a provoqué un recul considérable de l'économie du pays, qui a enregistré le deuxième plus grand nombre de décès liés au Covid après les États-Unis, et plus d'un dixième du total déclaré au niveau mondial. En 2020, alors que la pandémie battait son plein, l'économie s'est contractée de près de 4% relativement à l'année précédente, selon les données de la Banque mondiale, avant de progresser de près de 5% en 2021. Après plus d'une décennie de croissance irrégulière, l'économie brésilienne n'est pas plus grande qu'en 2009. Nous prévoyons un ralentissement au second semestre 2022, ce qui ramènerait la croissance à 1,5% pour l'ensemble de l'année.
L'agenda économique est devenu la question centrale de l'élection. Alors que la douzième économie mondiale par produit intérieur brut (PIB) ralentit sous l'effet d'un cycle de resserrement monétaire rapide visant à lutter contre l'inflation, le gouvernement offre des mesures de soutien aux ménages.
Taux positifs, dépenses budgétaires
Depuis mars 2021, la banque centrale du pays, Banco do Brasil (BCB), a augmenté douze fois son taux directeur, baptisé Selic, à partir de 2%. Le taux de référence a atteint 13,75% le 3 août, ce qui le rapproche de son pic attendu de 14% en septembre. La BCB pourrait commencer à abaisser les coûts d'emprunt, par paliers de 25 points de base, dès le deuxième trimestre 2023.
L'inflation, proche de son niveau le plus élevé depuis deux décennies, a légèrement reculé en juillet à 10,1% par rapport à l'année précédente, engendrant les taux réels ou corrigés de l'inflation, parmi les plus élevés des principales économies mondiales. La BCB est loin de son objectif d'inflation annuel de 3,5% (avec une marge de 1,5% de part et d'autre) pour 2022. En plus de la politique monétaire, le pays a tenté de réduire l'inflation par des allégements fiscaux, notamment sur l'électricité et sur l'essence, ainsi que par un gel du prix des carburants et par des subventions aux transports publics. Bien que l'inflation ait maintenu les salaires réels à un niveau relativement bas, le chômage a diminué et, au deuxième trimestre, il était inférieur aux niveaux d'avant la pandémie à 9,3%.
Au Brésil, la quasi-totalité des recettes fiscales des collectivités locales et un cinquième des recettes fiscales fédérales dépendent des prix mondiaux des matières premières et du taux de change. La hausse de la demande mondiale de produits agricoles et de pétrole, qui représentent les principales exportations du pays, a permis à la balance des paiements du Brésil de dégager un excédent record en 2021. Une tendance qui devrait se poursuivre, car l'économie mondiale demande davantage de produits agricoles. À mesure que les chaînes d'approvisionnement et les prix des matières premières se stabiliseront, ces recettes devraient diminuer, ce qui réduirait les budgets nécessaires pour soutenir les ménages. Il reste toutefois une certaine marge, grâce à la reprise économique, puisque le ratio dette/PIB du Brésil a reculé à 93% en 2021, contre 99% en 2020, selon les données du Fonds monétaire international.
Nous ne voyons que peu de risque d'assister à une fuite des capitaux du fait que la majeure partie de la dette brésilienne se trouve entre les mains de ses ressortissants, que le déficit de la balance courante est maîtrisé et que différentiel de taux d'intérêt avec les États-Unis est positif.
Candidats rivaux, programmes rivaux
Il y a quatre ans, la campagne présidentielle était axée sur la lutte contre la corruption et le candidat d'extrême-droite et futur vainqueur Jair Bolsonaro a été poignardé. Cet ancien capitaine de l'armée a historiquement exprimé son admiration pour la dictature militaire qui a pris fin en 1985. Alors que son mandat de quatre ans se termine, M. Bolsonaro instille l'idée que les élections pourraient être l'objet de fraudes. Les politiciens de l'opposition craignent qu'en cas de défaite, des efforts soient déployés pour créer un contexte justifiant un coup d'État. M. Bolsonaro est désormais accusé par la police fédérale de négligence criminelle pour sa gestion de la pandémie, au cours de laquelle il a dénigré les mesures sanitaires telles que le port du masque, et déclaré que les vaccins étaient dangereux.
Le président sortant est désormais distancé par son rival : selon les sondages d'opinion les plus récents, Lula remporterait 44% des voix au premier tour, tandis que M. Bolsonaro pourrait en obtenir 37%. Les autres principaux candidats à la présidence, Ciro Gomes (Parti démocratique du travail ou PDT) et Simone Tebet (Mouvement démocratique brésilien ou MDB), n'obtiennent respectivement que 6% et 4% des votes.
Lula, le candidat du Parti des travailleurs (Partido dos Trabalhadores ou PT), a été président durant deux mandats consécutifs de quatre ans, jusqu'en 2010. En 2017, il a été condamné à douze ans de réclusion pour blanchiment d'argent et corruption dans le cadre de l'opération « Lavage Express » ou « Lava Jato », qui a impliqué des pans entiers de la classe politique brésilienne. Lula a qualifié sa condamnation de conspiration. Après 19 mois d'emprisonnement, il a été libéré quand la Cour suprême du Brésil a estimé que les preuves à son encontre n'étaient pas matérielles. Ses adversaires contestent ce verdict.
Malgré leurs divergences, MM. Bolsonaro et Lula ont tous deux promis de conserver l'augmentation de 50% des dépenses sociales, équivalant à un total de 70 milliards de BRL (13,5 milliards USD) par an. Cette mesure, qui doit se terminer fin 2022, enfreindrait le plafond de dépenses du pays, nécessitant une dérogation du Congrès. M. Bolsonaro affirme qu'il augmentera les salaires des employés du secteur public et ajustera les impôts sur le revenu. Lula veut, quant à lui, supprimer le plafond de dépenses fixé depuis deux décennies et le remplacer par un mécanisme fiscal permettant d'augmenter le salaire minimum et d'accroître les dépenses en matière d'aide sociale et d'infrastructures. Lula a désigné l'ancien gouverneur de Sao Paulo Geraldo Alckmin, réputé favorable aux entreprises et aux marchés, comme vice-président. Lors de la course pour les élections présidentielles de 2006, M. Alckmin avait essuyé une défaite face à Lula au second tour.
Quel que soit le vainqueur, les détails du budget de 2023 doivent être négociés avant fin 2022. La période de trois mois entre l'élection et l'entrée en fonction du nouveau gouvernement le 1er janvier, durant laquelle le pouvoir législatif du pays sera en pleine mutation, pourrait prolonger la volatilité politique. Une situation qui laisse entendre que les mesures d'allégement des charges fiscales en vigueur pourraient être prolongées, surtout si Lula remporte la présidence et peut compter sur davantage d'alliés au sein du nouveau Congrès. Bien que Lula reste favori, l'écart entre les candidats à la présidence pourrait se resserrer à mesure que les consommateurs bénéficieront des transferts récemment approuvés.
Gérer l'exposition aux actifs brésiliens
Au 1er juillet, le Brésil représentait 10% de l'indice JPM Government Bond EM Broad Diversified, de sorte que toute détérioration des perspectives économiques pourrait avoir des répercussions plus vastes et rendre les investisseurs déjà exposés aux marchés émergents moins enclins à renforcer leurs positions.
Fin février, nous avons initié une exposition à la dette brésilienne en devise locale, en nous fondant sur sa position avancée dans le cycle monétaire et sur son avantage consistant à bénéficier de prix des matières premières plus élevés avec des risques géopolitiques plus faibles, ajoutés à une monnaie sous-évaluée. Toutefois, compte tenu de la volatilité attendue entourant les actifs brésiliens à l'approche des élections, nous pensons qu'il est désormais tactiquement prudent de prendre des bénéfices sur la dette souveraine brésilienne. Nous avons par conséquent vendu nos positions en réalisant un gain de 5%. Une fois passée cette période politiquement tendue, nous chercherons de nouvelles opportunités. Toute amélioration éventuelle des perspectives en matière de dette gouvernementale brésilienne, sous l'effet de la hausse des prix des matières premières, soutiendrait la devise du pays, que nous voyons s'échanger à 4,8 réais par dollar à un horizon de douze mois.