Ce qui empêche la sécurité sociale de devenir le fer de lance de l’échange non marchand.
Pour proposer des solutions intelligentes, il faut partir d’un constat lucide. Celui-ci concerne en premier lieu le financement de la sécurité sociale, devenu au fil des ans un capharnaüm de prélèvements fiscaux ou quasi fiscaux et de transferts arbitraires. Année après année, les différentes branches et organismes fournissent des comptes qui n’apportent aucune information fiable sur leur gestion, puisque le résultat dépend essentiellement des affectations de ressources fiscales (subventions en provenance du Trésor public ou ITAF – impôts et taxes affectés), et de versements arbitraires réalisés d’une branche à l’autre.
Ceux qui tiennent la plume de parlementaires noyés par la complexité inutile des dispositifs qui leur sont soumis peuvent à leur gré faire apparaître les déficits dans les comptes de telle branche ou organisme – à commencer par l’État – en utilisant la technique des vases communicants. La distinction entre la dette de la sécurité sociale, gérée par la CADES, et la dette de l’État, n’a de ce fait quasiment aucune signification économique. Il n’y a plus ni assurances sociales, ni sécurité sociale, mais seulement un État providence.
Cette absorption de la sécurité sociale par l’État provient principalement de la transformation des primes d’assurance – les cotisations sociales – en prélèvements obligatoires sans véritable contrepartie. D’un côté on prend l’argent de la manière qui paraît être la plus commode à l’instant t, quitte à en changer à l’instant t+1 ; de l’autre on attribue des prestations en tant que « droits sociaux » quasiment indépendants des cotisations versées.
Il semblerait à première vue qu’il existe une exception en matière de retraites, puisque chaque pension est grosso modo proportionnelle aux cotisations vieillesse versées par son titulaire, mais cela n’est qu’un faux-semblant : en effet, comme Alfred Sauvy l’a expliqué (sans être entendu) dans les années 1970, en répartition les cotisations vieillesse, immédiatement reversées aux retraités, ne préparent en aucune manière la retraite de ceux qui les paient ; elles apurent simplement la dette que les travailleurs ont contractée envers ceux qui ont consacré du temps et de l’argent à les élever et à les préparer à exercer des activités professionnelles.
Comme si cela ne suffisait pas, la distinction archaïque entre cotisations patronales et salariales vient accroître la confusion conceptuelle. La réalité économique est que tout est payé par l’entreprise au salarié au titre de la rémunération du travail et que tout est prélevé sur le salarié, cotisation patronale aussi bien que salariale, au profit de la sécurité sociale. Mais le législateur ne s’est jamais préoccupé de faire la vérité en basculant les cotisations patronales sur les cotisations salariales et en faisant de l’actuel salaire « super-brut » le nouveau salaire brut, objet du contrat de travail.
Ce qui permettra à la sécurité sociale de devenir le fer de lance de l’échange non marchand
Sur la base de ce constat, la solution logique consiste premièrement à faire des cotisations sociales, devenues exclusivement salariales, la source unique de revenus pour la sécurité sociale. Plus de cotisations patronales, qui empêchent les citoyens de réaliser le véritable prix de leur protection sociale, mais des achats de services d’assurance et de report effectués sur un mode « fraternel », c’est-à-dire à un prix plus élevé pour les riches que pour les pauvres. Plus de « subventions d’équilibre » en provenance du Trésor public : les gestionnaires de la sécurité sociale devront équilibrer leurs budgets en ne dépensant pas plus qu’ils ne reçoivent des cotisants.
Deuxièmement, les cotisations vieillesse, qui constituent économiquement un retour sur investissement destiné à être utilisé pour leur consommation courante par les anciens investisseurs devenus retraités, ne doivent plus servir de base à l’attribution de droits à pension. Ce sont les investissements qui, préparant les revenus futurs, doivent être pris en compte pour attribuer des droits portant sur ces revenus. Une réforme importante devra donc faire financer les dépenses d’investissement dans la jeunesse, notamment celles de formation, par des cotisations sociales ouvrant des droits à pension. Cela donnera, cerise sur le gâteau, une belle occasion de faire sortir notre bonne vieille Éducation nationale de son assoupissement bureaucratique.
Troisièmement, les 36 ou 40 régimes, complémentaires aussi bien que « de base », qui forment le système français de retraites par répartition, doivent être fusionnés pour donner naissance à un régime unique beaucoup plus facile à piloter, et moins onéreux à gérer. Quatrièmement, le législateur, après avoir réalisé ces réformes structurelles, laissera les gestionnaires prendre leurs responsabilités, mais un conseil de surveillance composé pour partie de parlementaires surveillera attentivement cette gestion et félicitera ou sanctionnera les responsables de la sécurité sociale en fonction de leurs performances. Actuellement sollicité pour voter un ONDAM (Objectif national de dépenses d’assurance maladie) qui ôte quasiment toute responsabilité aux gestionnaires des systèmes de santé, ou pour approuver un réglage des paramètres de commande des régimes de retraite pompeusement appelé réforme, le Parlement doit donc procéder aux réformes structurelles dont notre « sécu » a le plus grand besoin et cesser ensuite de décider à la place des gestionnaires. Comme dit le proverbe, « chacun son métier, les vaches seront bien gardées ».