Le populisme, maladie infantile du capitalisme financier ?

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Par Hervé Goulletquer Modifié le 20 septembre 2018 à 10h55
Malade Medecin
@shutter - © Economie Matin
3%Le taux américain à 10 ans s?est réinstallé au-dessus de la barre des 3%

CHAPEAU

La « vague populiste » n’est qu’un mauvais moment à passer

Il faut lire l’interview que Larry Fink, le PDG de BlackRock, a donné au journal Le Monde (édition datée de ce jeudi). Il « croit fermement en la mondialisation », mais il reconnait que, en dépit de progrès manifestes en termes de qualité de vie tout autour du monde, « beaucoup de personnes aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou en France n’y ont pas trouvé leur compte ». Je trouver que ces deux citations résument assez bien le « substrat » culturel des marchés de capitaux : le système d’économie ouverte au niveau mondial se maintiendra et à ce titre la « vague populiste » n’est qu’un mauvais moment à passer.

Vrai ou faux ? On ne sait évidemment pas très bien répondre. Dans ce cas, il reste à interroger l’histoire et tenter de comprendre le message qu’elle envoie. Une équipe d’économistes allemands (Funke, Schularik et Trebesch) s’est intéressé au sujet[1]. Leur première conclusion, après avoir étudié 800 élections générales couvrant 20 pays et 140 ans, est qu’après une crise financière le vote en faveur de l’extrême droite augmente d’à-peu-près un tiers. Ce n’est pas le cas de celui en faveur de l’extrême gauche et le phénomène ne se produit pas après une récession cyclique. Leur seconde conclusion est que dix ans après la crise financière la situation se normalise et que l’audience électorale de l’extrême droite retrouve son étiage.

Être attentif à la campagne des élections européennes de mai 2019

L’approche apporte un certain crédit à l’attitude des marchés et la vague populiste devrait alors refluer. Il n’empêche que le monde occidental est aujourd’hui dix ans après le déclenchement de la « grande récession » et qu’aucun reflux n’est vraiment observable. Alors que se passe-t-il ? C’est à cette question que les auteurs tentent de répondre dans l’article récemment publié par Foreign Affairs. Les explications avancées vont dans plusieurs directions : la gravité de la crise, la faiblesse de la reprise économique, les exemples positifs des régimes « illibéraux », voire autoritaires, le terrorisme et la crise des réfugiés et l’habileté des partis populistes pour se maintenir au pouvoir. On a envie de dire que, face à un environnement international perçu comme instable, des gouvernements populistes arrivent à gérer le temps long et en tirent bénéfice pour grignoter les acquis de l’organisation libérale du monde développée progressivement depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.

Il y a assurément ici deux messages qui doivent être reçus tant par les marchés que par les régulateurs et les policymakers. D’abord, il est bien trop tôt pour se « payer le luxe » d’une resucée de la crise financière d’il-y-a dix ans. Ensuite, il faut être attentif à la campagne pour les élections européennes de mai 2019. Comment ne pas voir qu’elle va se dérouler le long de cette ligne de fracture entre libéraux et « illibéraux » ?

Revenons vers le « tout-venant », pour noter quelques points. Premièrement, l’appétit des investisseurs étrangers pour les titres italiens s’est réveillé en juillet (dernier chiffre connu). Il n’empêche que cela n’efface pas les ventes importantes observées les deux mois précédents. Ambiguïté du côté du Cabinet à Rome rime sans doute avec versatilité des investisseurs.

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Deuxièmement, le taux américain à 10 ans s’est réinstallé au-dessus de la barre des 3%. Dans un environnement moins adverse au risque, remarquons que la hausse récente paraît être davantage le fait d’un regard plus positif sur la croissance que de craintes avivées en matière d’inflation. Dans tous les cas, le niveau atteint est cohérent avec une anticipation de point haut pour le taux des fonds fédéraux autour de 3%. Ce qui est repéré depuis un certain temps.

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Troisièmement, et c’est plutôt une surprise, qui plus est mauvaise, la rencontre entre la Première ministre britannique et ses encore collègues, Chefs d’Etat ou de gouvernement, de l’UE ne s’est pas très bien passée. Je pense que l’idée d’aboutir à un accord plus déclaratif que substantif reste un objectif partagé. Encore faut-il s’entendre sur les trois points que sont le statut des ressortissants, le « chèque » de sortie et la frontière entre Nord et Sud de l’Irlande. Le compromis, forcément « baroque », à atteindre sur ce dernier sujet n’est visiblement pas encore mur.

1. On pourra lire Going to Extremes : Politics after Financial crises 1870 – 2014 ; CES ifo octobre 2015 et The Financial Crisis is still Empowering Far-Right Populists, Why the Effects Haven’t Faded ; Foreign Affairs 2018

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.