Les « points de bascule » mènent à des changements irréversibles, selon des experts du climat

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Par Horizon Publié le 16 juillet 2022 à 13h50
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@shutter - © Economie Matin
83%83% des personnes veulent faire plus pour la planète.

Les changements les plus importants peuvent être soudains, et non progressifs, si les conditions adéquates sont réunies. Horizon Magazine a écouté une discussion récente entre d’importants spécialistes du changement climatique sur le rôle des « points de bascule » dans la transition climatique.

Un point de bascule est une intervention mineure qui, à long terme, a d’importantes conséquences difficiles à inverser.

Faute de réduire immédiatement les émissions de façon conséquente dans tous les secteurs, il sera impossible de limiter le réchauffement mondial à 1,5 °C, a averti le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) en avril. Selon un organisme des Nations unies, cela signifie que les émissions mondiales devront atteindre leur maximum avant 2025, et être réduites de 43 % d’ici à 2030.

Cette question a été étudiée le 7 juin 2022 lors d’une visioconférence intitulée « Points de bascule – Menace et opportunité » qui a permis de sensibiliser des chargés de mission, des chercheurs et des universitaires européens au pouvoir des points de bascule positifs et négatifs dans la transformation induite par le changement climatique. La conférence était animée par les professeurs Tim Lenton et Johan Rockström.

Des changements majeurs, comme le fait de moins prendre l’avion ou d’abandonner les énergies fossiles, sont nécessaires pour réduire les émissions de gaz à effet de serre suffisamment rapidement pour pouvoir éviter une catastrophe climatique.

Instabilités sur Terre

Des preuves d'instabilité sont constatées dans de nombreux grands systèmes terrestres, notamment au niveau de la forêt amazonienne, de la couverture de glace estivale dans l'Arctique et de la plate-forme de glace de l'Arctique occidental, a déclaré Johan Rockström, directeur du Potsdam Institute for Climate Impact Research, dans son discours d'ouverture. « Déjà à 1,5 °C, nous risquons de franchir des seuils irréversibles sur des systèmes uniques et menacés », a ajouté l'expert en durabilité et professeur en sciences du système terrestre à l'Université de Potsdam, en Allemagne.

Le travail du professeur Rockström sur les systèmes terrestres durables a une importante influence et est récapitulé dans une vidéo de présentation proposée dans le cadre des TED Talks, intitulée 10 years to transform the future of humanity -- or destabilize the planet. Ses collègues et lui ont aussi étudié les effets de la rétroaction dans le climat de la Terre qui peuvent renforcer les effets de serre induits par l’activité humaine.

« Pour espérer limiter le réchauffement climatique à près de 1,5 °C, nous devons décarboniser l'économie mondiale au moins cinq fois plus vite », a déclaré Tim Lenton, conférencier, directeur du Global Systems Institute et professeur en changement climatique et science du système terrestre à l'Université d'Exeter.

Selon lui, une façon importante de modifier les comportements profondément ancrés est de trouver des « points de bascule » sociologiques et politiques. À titre d’exemple, la décision de Greta Thunberg en 2018 de sécher les cours pour organiser sa propre manifestation contre le réchauffement climatique devant le Parlement suédois, constitue un point de bascule sociologique.

Sa décision a incité d’autres jeunes à la rejoindre et, au bout de quelques mois, des foules entières de jeunes réclamaient une action plus forte en faveur du climat, a indiqué le professeur Lenton.

Ce mouvement social a débouché sur le vote d’une urgence climatique au Parlement européen en novembre 2019, a déclaré le professeur Lenton, auteur principal d’un article intitulé Operationalising positive tipping points towards global sustainability.

« Comme Greta Thundberg nous l’a rappelé, avoir une rhétorique politique sur le sujet ne suffit pas. Nous avons besoin d’une véritable action … sous la forme d’une réduction des émissions de gaz à effet de serre », a souligné le professeur Lenton.

Sous l’effet d’un autre point de bascule survenu au Royaume-Uni, le pays a abandonné les centrales au charbon qui produisaient 40 % de l’électricité du pays il y a une dizaine d’années.

Ce changement a eu trois effets : investissement dans l’énergie éolienne, introduction d’un prix du carbone dans le secteur de la production d’électricité et prix d’échange du carbone dans l’UE (Système d’échange de quotas d’émission de l’UE - SEQE-UE), a indiqué le professeur Lenton. Lorsqu’il n’a plus été rentable d’investir dans le charbon, les exploitants ont commencé à détruire les centrales au charbon.

« Nous ne reviendrons plus jamais en arrière et nous ne rebâtirons plus de centrales au charbon au Royaume-Uni. Cette époque est révolue », a déclaré le professeur Lenton.

Même si certains gouvernements savent comment créer des points de bascule pour obtenir les changements nécessaires à la division par deux des émissions d’ici à 2030, ce n’est pas le cas de la majorité d’entre eux, a indiqué le professeur Lenton à Horizon Magazine.

Toutefois, il a indiqué que les gouvernements représentant plus de 70 % du PIB étaient signataires de l’« Agenda de rupture », qui les informe des opportunités qui s’offrent à eux et de la façon dont ils peuvent faire changer les choses. L’agenda a été élaboré à l’occasion des discussions sur le climat de la COP26, l’an dernier, à Glasgow.

Sondage auprès de la population

D’après un sondage organisé l’an dernier dans les pays du G20 sur le thème des attitudes vis à vis de la transformation et de la gestion de la planète, il s’avère que la population est très sensible à la crise du climat et de la biodiversité mais a moins conscience de l’importance de l’effort nécessaire.

L’immense majorité des personnes interrogées (83 %) a déclaré vouloir faire plus pour protéger et restaurer la nature. Toutefois, lorsqu’on leur demande quels gestes elles sont prêtes à faire, elles indiquent privilégier le recyclage et éviter les emballages excessifs.

« Des changements qui ont plus d’impact, comme un changement de régime alimentaire et la réduction des déplacements en avion sont généralement tout en bas de leur liste », déclare Sophie Thompson, membre de l’équipe Ipsos MORI en charge du sondage.

« Nous pensons que ceci est dû au fait que la population n’a pas conscience ou est mal informée des gestes les plus efficaces pour la planète », ajoute Mme Thompson.

« Avec la technologie, les points de bascule sociologiques positifs sont vraiment le Saint Graal de la politique publique sur le Pacte vert (européen) », a déclaré Jean-Eric Paquet, directeur général de la recherche et de l'innovation à la Commission européenne. Il a déclaré que les points de bascule joueront un rôle déterminant au niveau de l’Europe.

« Les scientifiques et décideurs ont l’importante responsabilité de poursuivre les efforts au niveau de ces points de bascule sociologiques positifs », a déclaré M. Paquet, « pour amener progressivement la société à avoir les bons réflexes. »

Pour espérer réduire les émissions, les points de bascule positifs doivent être plus nombreux. Les raisons pour lesquelles les personnes n’agissent pas même lorsqu’elles connaissent les aspects scientifiques du problème reste un mystère, selon David Mair, chef, Connaissance au service des politiques : Concepts et méthodes, au Centre commun de recherche de la Commission européenne.

« Ne pensez pas qu’il suffit de convaincre les personnes de l’importance du changement climatique pour obtenir automatiquement de leur part un changement de comportement ou d’attitude », a déclaré M. Mair.

« Ce sont nos valeurs et nos identités qui déterminent ce que nous décidons de faire », indique-t-il.

« En fait, nous avons besoin que toutes nos valeurs et identités trouvent un écho dans les processus politiques... c’est un problème politique, alors nous avons besoin d’une politique pour le résoudre », déclare-t-il.

Les recherches réalisées dans le cadre de cet article ont été financées par l’UE. Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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