Plan banlieues : les grandes entreprises punies par là où elles ont péché !

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 13 décembre 2022 à 20h39
France Banlieues Sauvetage Plan Borloo
@shutter - © Economie Matin
48 MILLIARDS €Jean-Louis Borloo estime son grand Plan banlieue à 48 milliards d'euros.

Le plan banlieues d’Emmanuel Macron, annoncé hier dans un long monologue prononcé au nom du « stop aux grands discours », a réservé une petite surprise: les sociétés du SBF 120 seront soumises à des campagnes de testing destinées à vérifier qu’elles ne discriminent pas à l’embauche. Cette idée avait déjà été proposée… par l’Institut Montaigne en 2016, après avoir mené sa propre campagne de testing en 2015. Or… les entreprises du SBF 120 soutiennent largement l’Institut Montaigne. Ou comment se tirer une balle dans le pied.

On se souvient qu’en 2017 une polémique avait surgi dans la campagne d’Emmanuel Macron : celui-ci avait initialement hébergé l’association En Marche au domicile de Laurent Bigorgne, directeur de l’Institut Montaigne. Ce think tank initialement créé par Claude Bébéar, patron d’Axa et parrain en son temps du capitalisme français, dispose aujourd’hui de larges soutiens parmi les financeurs.

Chassez le lobbying, il revient au galop. On retrouve, dans le plan banlieues d’Emmanuel Macron, des idées ou des pratiques prônées par l’Institut qui l’a soutenu à ses premières heures. Il est encore un peu tôt, puisque le plan, n’a pas été publié, pour étudier en profondeur les influences de l’un sur l’autre. Mais la mise en place du testing en est une preuve flagrante. On voit ici un très bel exemple de la « porosité » entre think tank auto-proclamés libéraux et pouvoirs publics. Sur ce coup-là, les entreprises ne peuvent donc que s’en prendre à elle-même, puisqu’elles sont à l’origine de cette proposition qui va les réglementer encore un peu plus.

La campagne de l’Institut Montaigne en faveur du testing

L’Institut Montaigne n’a ménagé ni son temps ni son peine pour nourrir et enrichir le cliché d’une France qui discrimine les étrangers et les musulmans. Il a aussi, en 2015, lancé une campagne de testing auprès des entreprises, pilotée par une universitaire: Marie-Anne Valfort, professeur à l’université Paris I (Panthéon-Sorbonne), spécialisée dans la recherche sur la discrimination dont souffriraient les musulmans. Le rapport de l’Institut, intitulé « Discriminations religieuses à l’embauche : une réalité », faisait très fort dans la mise en accusation publique des entreprises françaises :

Les résultats révèlent une forte discrimination à raison de la religion, notamment vis-à-vis des musulmans. La probabilité des catholiques pratiquants d’être contactés par le recruteur pour un entretien d’embauche est supérieure de 30 % à celle de leurs homologues juifs. Elle est en outre deux fois plus forte que celle des musulmans pratiquants. Mais ce dernier résultat cache une forte variation en fonction du sexe. Alors que le taux de réponse des candidates catholiques n’est supérieur « que » de 40 % à celui des candidates musulmanes, le taux de réponse des hommes catholiques est près de quatre fois supérieur à celui des hommes musulmans.

Chacun interprètera à sa manière ces affirmations et les résultats d’une enquête dont les principes méthodologiques mériteraient d’être discutés. Ce qui surprend, c’est que l’institut Montaigne, réputé libéral, finance des études qui contribuent à mettre peu ou prou les entreprises françaises au sens large en accusation. Heureusement que l’institut n’est pas financé par des mouvements communistes ou islamistes ! On voit mal quelles auraient été ses conclusions.

L’année suivante, l’une des permanentes de l’Institut en a remis une couche, tendance Savonarole de la lutte contre les discriminations. Angèle Malâtre-Lansac, aujourd’hui déléguée à la Santé de l’Institut, s’est exprimée en 2016 sur le principe du testing suggéré par la gauche, en considérant qu’il n’allait pas assez loin :

Vouloir montrer du doigt uniquement les pratiques des grandes entreprises, alors qu’elles sont les plus équipées aujourd’hui pour traiter le phénomène, disposent bien souvent de directions de la diversité et forment leurs cadres à la question, c’est occulter que les discriminations touchent l’ensemble du marché de l’emploi et reflètent des stéréotypes et des peurs véhiculées dans l’ensemble de la société française. Les petites et moyennes entreprises représentent l’immense majorité du secteur privé et la fonction publique emploie 20 % des salariés. Ne pas chercher à connaître la réalité des pratiques de ces secteurs et se contenter de quelques dizaines d’entreprises de grande taille est extrêmement regrettable.

Là encore, l’auteure de ces lignes appelant à une véritable inquisition dans les petites et moyennes entreprises a tout à faut le droit d’écrire ses opinions. Il est en revanche dommageable que l’institut Montaigne se présente comme libéral lorsqu’il légitime ce genre de discours qui appelle à toujours plus de réglementations dans les relations sociales au sein de l’entreprise.

Le fantasme de la discrimination à l’embauche dans les entreprises

Sur le fond, on regrettera en effet l’analyse théorique qui est faite sur la discrimination à l’embauche. Il faut sans doute y revenir un peu. L’ensemble des analyses est en effet tournée vers la discrimination des candidats dont le patronyme laisse penser qu’ils sont musulmans et originaires du monde arabe. C’est évidemment un parti pris qui fonctionne d’autant plus facilement qu’il fait appel à l’imaginaire passionnel et clivant du sujet.

Il serait intéressant de faire une étude comparée non pas entre un CV à consonance française et un autre à consonance arabo-musulmane, mais plutôt entre un CV arabo-musulman, un CV chinois, un CV portugais et un CV indien. On s’apercevrait sans doute que les résultats seraient sensiblement les mêmes, c’est-à-dire que le recrutement ne se fait pas selon des critères xénophobes ou racistes, mais selon l’espérance de compétences attendues.

Et là encore, les tests occultent systématiquement la réalité des expériences vécues par les entreprises. Lorsqu’un recruteur a dû gérer plusieurs licenciements houleux de salariés qui posaient des problèmes de prosélytisme religieux, ou d’instabilité due à des questions culturelles, il est assez naturel qu’il prémunisse l’entreprise dont il représente les intérêts en évitant de recommencer à l’infini les mêmes erreurs. Ce raisonnement vaut pour tous les types de stéréotypes existant, y compris ceux qui « visent » des Français de souche.

Par exemple, il est assez probable qu’une entreprise préfèrera, pour un poste en équipe un peu exigeant en horaire, écarter les candidatures de jeunes mamans ou de syndicalistes révolutionnaires qui risquent de perturber l’équilibre du système en place. On peut appeler cela de la discrimination et considérer qu’une entreprise ne devrait pas avoir la maîtrise de ses recrutements. On pourrait même considérer que les recrutements doivent désormais fonctionner par tirage au sort.

Tant qu’on n’aura pas mis en place ces mesures révolutionnaires et que l’entreprise aura la responsabilité d’atteindre les objectifs qu’elle se fixe, les recruteurs continueront à recruter comme ils le peuvent, c’est-à-dire en projetant à partir d’un CV un profil qu’ils imaginent adapté à leurs besoins.

Sur le prétendu libéralisme d’Emmanuel Macron

Redisons-le, le problème de ce dossier n’est pas de savoir si on est pour ou contre le testing pour sanctionner les entreprises qui pratiqueraient l’embauche à la discrimination. Le problème est de connaître la filiation des idées qui conduit à prôner un jour, politiquement, cette mesure.

Cette idée, on l’a vu, est portée, documentée, légitimée, par des think tanks qui se proclament libéraux et qui revendiquent toujours plus de réglementations pour les entreprises et pour les relations sociales en leur sein. Cette revendication est particulièrement paradoxale lorsque le chômage frappe 2,5 millions de personnes en France, et lorsqu’une majorité de chefs d’entreprise se déclare épuisée par la complexité de la réglementation.

On préfèrerait dire que l’inspiration de l’institut Montaigne est démocrate-chrétienne plutôt que libérale. D’ailleurs, le comité directeur du think tank comporte de grandes figures de cette tendance, comme Jean-Dominique Sénard, patron de Michelin et pressenti par Emmanuel Macron pour prendre la présidence du MEDEF.

Mais qu’importe ! Le résultat qui nous intéresse se niche dans l’expression politique. Non, Emmanuel Macron n’est pas un libéral. Il est et demeure fondamentalement un ami de l’intervention de l’État par la réglementation.

Sur la question des banlieues, un libéral s’emploierait plutôt à rétablir l’égalité de la dépense publique par habitant. Et il est un fait que les banlieues sont défavorisées par rapport à ce que certains ont appelé la « France périphérique ».

En attendant, les entreprises qui financent l’institut Montaigne récoltent ce qu’elles ont sem é: toujours plus de règles légitimées sous le sceau d’un libéralisme de façade.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "