Pour amortir l’impact du choc lié à la pandémie du Covid-19, les banques centrales des économies émergentes (EMs) ont promptement réagi en parallèle du soutien budgétaire des gouvernements. L’enjeu est d’assurer les besoins de liquidité des marchés et du secteur bancaire sous pression pour financer les entreprises touchées par la crise. De fait, les politiques monétaires ont pris plusieurs formes dont certaines se sont avérées complètement inédites.
La première forme est traditionnelle. La majorité des banques centrales des EMs a entamé un cycle de baisses des taux d’intérêt directeurs (cf. graphique 1). En moyenne, ces derniers ont été abaissés de 100 points de base depuis le début de la crise sanitaire. L’ampleur est toutefois variable selon le niveau initial des taux et la trajectoire de l’inflation (cf. graphique 2).
En ce sens, les banques centrales latino-américaines et turque ont été les plus actives. Dans ces EMs, les taux d’intérêt étaient élevés avant la crise alors que l’inflation évoluait sur une pente descendante. A l’inverse, le champ d’action est plus limité en Corée du Sud, en Thaïlande et en Hongrie où les taux de référence se trouvaient déjà à leur plus bas historique.
L’innovation vient surtout de l’introduction des politiques d’assouplissement quantitatif (QE), via des achats d’actifs. Il s’agit d’actions inédites dans les EMs dont le but est d’apporter de la liquidité et de limiter la hausse des rendements obligataires à long terme.
Au total, treize banques centrales ont dévoilé leur programme de QE depuis mars/avril. Leur taille et leur durée sont inconnues dans certains cas. Pour d’autres, les montants associés sont limités à ce stade, variant de 0,1 % du PIB en Corée du Sud à 2,8 % du PIB au Chili (cf. tableau ci-dessous). La plupart des programmes se concentrent sur les achats d’obligations d’Etat en monnaie locale. Les banques centrales hongroise et colombienne achètent aussi les « mortgage bonds » et les « bank bonds ». En revanche, la Banque centrale du Chili n’intéresse qu’aux obligations bancaires. Enfin au Brésil, le Congrès a approuvé une loi permettant d’amender la Constitution de manière à autoriser la banque centrale à acheter des obligations d’Etat. La même procédure est en cours en République Tchèque.
S’il est trop tôt pour évaluer son impact sur l’activité économique, le dispositif d’assouplissement monétaire mis en place (baisses des taux d’intérêt, QE, mesures administratives) entretient le risque de dépréciation de la monnaie. Il sera élevé dans les pays fragiles assortis de déséquilibres profonds (Amérique latine, Inde, Turquie, Russie ou Hongrie). Dans un contexte où le soutien à la croissance s’impose comme une priorité au détriment de la stabilité financière, les réserves de change apparaissent alors comme un atout majeur pour atténuer l’impact d’une politique monétaire ultra accommodante sur le cours du change. En ce sens, les pays d’Asie, le Brésil et la Russie disposent de plus de marges de manœuvre que la Hongrie ou la Turquie par exemple (cf. graphique 4).
Enfin, des interrogations s’élèvent également sur l’avenir de la politique du QE dans les EMs. De toute évidence, avec la dégradation des finances publiques et la montée de la dette externe comme conséquences de la crise sanitaire, les EMs vont continuer de s’appuyer sur le financement des banques centrales ou tenter l’expérience. Une boîte de Pandore semble être ouverte et un changement fondamental se dessine dans le monde des EMs de l’après crise : la mise en place inédite des QE, la création de la dette en monnaie locale et in fine une moindre dépendance vis-à-vis du financement externe. Il s’agit là d’une opportunité majeure pour les EMs de réinventer leur modèle économique. Reste à passer le test de crédibilité, notamment en ce qui concerne la transparence des banques centrales (la taille et la durée des QE), ce qui fait encore défaut aujourd’hui, et leur indépendance. Leur lutte contre l’inflation pourrait être également remise en cause, surtout si l’abondance de liquidité en circulation et/ou la probable hausse des cours des actifs, conséquences possibles de l’assouplissement quantitatif, se traduisent dans les prix à la consommation.