ONG: le visage du nouveau militantisme

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Par Sarah Merlino Modifié le 29 novembre 2022 à 9h22
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@shutter - © Economie Matin

Le 30 mai dernier, devant une foule médusée, une fausse grand-mère paralytique projetait une tarte à la crème sur le tableau le plus vénéré depuis l’invention de la peinture. Immédiatement après avoir entartré La Joconde, l’activiste sous la perruque, encadré par deux agents de la sécurité visiblement en parfaite maitrise de leurs nerfs, déclamait ses revendications à la face du monde : « Il y a des gens qui sont en train de détruire la terre, pensez-y ! Tous les artistes, pensez à la Terre. C’est pour ça que j’ai fait ça. Pensez à la planète. » Trois jours plus tard, à la surprise générale, une jeune femme « s’enchainait » symboliquement au filet du central de Roland Garros, perturbant pendant un quart d’heure la demi-finale masculine. L’objectif de cette militante de l’ONG Dernière Rénovation était « de détourner le regard pour montrer l’horreur absolue vers laquelle nous sommes en train d’être amenés. C’est un monde où le tennis n’existera plus. » Ces actions détonantes venaient conclure une séquence débutée le 25 mai. Ce jour-là, malgré l’afflux de militants écologistes bien décidés à interdire l’accès de la salle Pleyel aux actionnaires qui devaient se réunir pour la première fois en présentiel depuis deux ans, l’assemblée générale du groupe Total s’est tenue « normalement, car un certain nombre d’actionnaires » étaient présents, selon le PDG Patrick Pouyanné, résolu à ne pas perdre la face devant une salle pratiquement vide. De nombreux actionnaires ont du se contenter, une nouvelle fois, de suivre l’AG en ligne.

Des revendications écologiques, stratégiques et politiques

A l’appel de Greenpeace France, des Amis de la Terre, d’Alternatiba et d’Action non violente COP21, cette action concertée « réclamait des engagements concrets et immédiats de Total sur le retrait de TotalEnergie de Russie et la fin de tout nouveaux projets d’énergie fossile, telle que EACOP en Ouganda et Mozambique LNG. Nous dénonçons le danger que représente la stratégie de TotalEnergies pour le climat, la paix et les droits humains, ainsi que le soutien que lui apportent, pourtant, Emmanuel Macron et son gouvernement. » Des revendications à la fois écologiques, stratégiques et politiques défendues par quelque 250 activistes, selon les manifestants, mais dont tous les grands médias français se sont fait l’écho. Un rapport « poids / puissance » très avantageux pour les ONG. Même si la stratégie climat du groupe a reçu l’aval de 89% des actionnaires (contre 92 % en 2021) et que ce vote n’est que consultatif, les alertes lancées par les militants parviennent d’ores et déjà à peser dans la gouvernance des plus grands groupes. Par exemple, en votant contre la stratégie proposée, la Banque postale Asset Management ou Mandarine Gestion ont justifié leur position en déplorant « le manque de transparence et que rien ne permette de confirmer que l’objectif de neutralité carbone en 2050 sera atteint par l’entreprise. » Un mois plus tôt, un collectif d’actionnaires représentant 0,78 % des parts avait proposé un texte affichant la volonté de contraindre l’entreprise à « évaluer le degré d’alignement de sa politique avec les objectifs de l’accord de Paris. »

Ligne de fracture

Selon Ilham Rawoot représentante de Justicia Ambiental, la branche mozambicaine des Amis de la Terre, « les ONG cherchent aujourd’hui à faire pression autant sur les partenaires financiers des entreprises pétrolières que sur les groupes énergétiques eux-mêmes qui ne changeront pas, sauf s’ils y sont forcés. Notre message est entendu par les financiers qui nous reçoivent, mais nous restons sceptiques sur les changements que ces derniers opèreront réellement. » Au-delà de la pure gestion entrepreneuriale, la ligne de fracture entre « éco responsables » et tenants d’une ligne plus « souple » a déjà gagné les partis politiques eux-mêmes. Au bas d’une récente tribune publiée dans Le Monde et dénonçant également la politique de Total, on pouvait trouver des signataires issus des Ecologistes, de la France Insoumise, mais aussi du parti présidentiel, telles que Anne Blanc et Sandrine Mörch, députées LRM de l’Aveyron et de la Haute-Garonne.

Dans un de ses textes les plus connus, le Père Theillard de Chardin annonçait la venue de la noosphère, une conscience mondiale réunissant l’humanité tout entière, une sorte de communion des saints bien terrestre. Internet et les réseaux sociaux ont bien entendu favorisé la transversalité des questions écologiques et sociales en donnant un nouveau visage au militantisme. En employant à leur avantage les règles de la « démocratie capitalistique », qui permet à n’importe quel actionnaire de faire entendre sa voix, les ONG pèsent et pèseront sans doute davantage à l’avenir dans des décisions économiques et politiques qui nous concernent tous. Il leur reste pourtant à inventer une forme d’action efficace dans des sphères où ces règles n’ont pas cours. Nulle action n’est à ce jour parvenu à influer sur les décisions de la Chine, de la Russie, de l’Arabie Saoudite et de leurs conglomérats énergétiques.

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Journaliste Grand reporter