Entre les multinationales à la recherche d’une caution éthique et les ONG, la ligne jaune est facilement franchie. A quand un véritable exercice de transparence de la part des associations pour rétablir la confiance ?
On avait connu l’époque des associations ferraillant contre de grands groupes. Aujourd’hui, fini David contre Goliath : place au mélange des genres. Les liens consanguins qui unissent certaines ONG et certaines multinationales se resserrent de plus en plus et font peser de véritables soupçons sur la sincérité de leur action.
Un climat de défiance préjudiciable
Pour beaucoup de cadres et de managers du secteur privé, l’humanitaire et l’activisme écologique constituent un plan de carrière enviable dans la perspective d’une reconversion professionnelle ou pour répondre à une quête de sens. Ces profils sont souvent vu d’un bon œil par des associations qui cherchent à se professionnaliser. Mais ces changements de profil ne vont pas sans un changement de culture en interne, qui tend, de plus en plus, à s’aligner sur les standards du management des grandes firmes anglo-saxonnes.
Le financement d'organismes tiers par les grandes entreprises dans le simple but de défendre leurs intérêts à leur place n'a rien de nouveau et constitue l'un des plus grands défis pour les démocraties occidentales actuelles. S'il est commun en Europe ou aux États-Unis que des partis politiques soient épinglés pour leurs conflits d'intérêts avec de puissantes Multinationales, ces pratiques sont aussi particulièrement répandues au sein des associations qui jouissent pourtant de la confiance du public faisant d'elles de véritables ONGs-écran.
Multinationale cherche caution morale
Le terme ONG, ou Organisation Non-Gouvernementale, possède un certain prestige grâce aux actions de certaines au niveau internationale (Human Right Watch, Médecins sans frontières, Amnesty international). Cependant certains groupes possédant d'importants moyens utilisent l'aura des ONGs afin de défendre leurs intérêts et accroître la sympathie du public envers une cause donnée. Aux États-Unis par exemple, les larges donations de la Multinationale Coca-Cola à des organismes de recherches telle que l'Académie de Nutrition et de Diététique, a donné lieu à l'abandon de recherches menées par l'organisme.
Ces problèmes n'existent cependant pas qu'outre-Atlantique. En France, le groupe Monsanto avait créé et financé dans le cadre du débat sur le glyphosate des groupes de fermiers factices afin de faire pencher le débat public. De la même manière, l'ONG Envol Vert, proche du groupe Carrefour, n'a pas relevé l'implication de l'enseigne dans la déforestation massive au Brésil et en Colombie en incriminant au passage Casino, le concurrent de Carrefour. Les ONGs, outil permettant aux personnes privées de porter leurs causes sur la scène nationale ou internationale, peuvent rapidement se trouver à la botte de puissantes organisations.
En cause ? L'absence de transparence des financements privés des associations loi 1901 qui constituent l'écrasante majorité des ONGs en France. Cette opacité permet aux enseignes comme Carrefour de soigner leur image à travers des associations comme Envol Vert, à l'aide de partenariat ou de liens d'influence importants. En effet, les liens entre l'association de protection des forêts et Carrefour se ressentent jusque dans son "équipe permanente", composée notamment d'une ancienne employée de Carrefour. L'on peut que constater que l'absence d'indépendance aussi bien financière que philosophique de ces organisations peuvent avoir des effets très importants dans la vie démocratique françaises, à l'image des faux groupes de fermiers de Monsanto, cherchant à faire pencher l'opinion publique.
La solution serait en l'attente de réformes législatives sur la transparence des financements privés des associations, de rester vigilants aux tentatives de manipulations des grandes entreprises. En tant que citoyens il est important de ne pas simplement consommer l'information, mais de se la réapproprier pour gagner l'indépendance que les associations ont perdue.
Position d’Envol Vert vis à vis du Groupe Carrefour
À la suite de la campagne “Casino, (Eco)responsable de la déforestation - Stop au double jeu”, que nous avons lancé le 30 juin, nous avons depuis vu apparaître plusieurs articles et posts, laissant croire qu’Envol Vert pourrait être lié au Groupe Carrefour et impliquant une non-objectivité dans nos actions.
Dans un souci de transparence, nous avons décidé de nous exprimer sur plusieurs points afin de rétablir la vérité.
En premier lieu, Envol Vert et Carrefour n’ont jamais eu de partenariat et Envol Vert n’a jamais touché aucun fonds du Groupe Carrefour. Notre indépendance financière vis à vis de quelconque bailleur n’est pas à remettre en cause. C’est même l’inverse puisque le groupe Casino en Colombie (Éxito) fût associé, il y a de nombreuses années, à un festival que nous organisons. Notre liste de partenaires mécène est à jour ici. Nous sommes particulièrement attentifs au type d’entreprise avec qui nous avons des partenariats. Nous avons près d’une trentaine de partenaires privés qui représentent 64% de notre Budget, et aucun ne représente plus de 11% du budget de l’association, ce qui nous permet de ne dépendre d’aucun. Pour plus d’information, nos rapports d’activités et financiers sont publics.
Ensuite, s’il est vrai que Stéphanie Mathey, ancienne salariée de la Direction RSE de Carrefour, est membre du conseil d'administration d’Envol Vert depuis janvier 2014 (et non membre de l’équipe permanente), elle a quitté Carrefour en 2013 et n’a pas participé à cette campagne.
Boris Patentreger, a collaboré, en tant que consultant indépendant, avant le lancement de la campagne, avec le groupe Carrefour sur un projet de cacao en Côte d’Ivoire afin d’identifier les origines des planteurs. Cette collaboration a été close avant la prise de contact officielle avec le groupe Casino.
Enfin, le plus important, si Envol Vert a choisi de dénoncer les pratiques du groupe Casino dans cette campagne plutôt qu’un autre acteur, c’est pour les raisons suivantes :
- Le groupe Casino est le premier distributeur au Brésil devant Carrefour,
- Le groupe Casino est noté plus à risque que les autres acteurs français de la distribution par le Forest500 (qui classe les plus grandes entreprises par rapport à leur risque de déforestation dans les chaînes d'approvisionnement),
- 47% du chiffre d’affaire du groupe Casino a lieu en Amérique du Sud,
- Le groupe Casino est également présent (et leader) en Colombie où n’est pas présent le groupe Carrefour.
Si Envol Vert a choisi de cibler le groupe Casino c’est principalement car le pouvoir de transformation du groupe sur les 2 pays avec le plus de biodiversité est très important. Cependant, les demandes formulées pour le groupe Casino valent évidemment pour tous les autres distributeurs au Brésil et en Colombie (Carrefour inclus). Ils seront très prochainement contactés à cette fin. Pour transformer un secteur, l’ensemble des acteurs doivent s’engager. Le mode d’actions des ONGs est justement de cibler le leader d’un secteur qui en tant qu’acteur dominant a d’autant plus de responsabilité et de poids pour mettre en place la durabilité sur sa chaîne d’approvisionnement. Dans ce cas le groupe Casino.
Les autres acteurs, dont le groupe Carrefour en tête, sont loin d’être exemplaires. Deux articles sont récemment sortis mettant en cause ce dernier sur sa responsabilité dans la déforestation. Le premier en avril dans Médiapart (incluant le groupe Casino) et le second la semaine dernière dans Disclose.
Nous sommes ravis de voir que la pression sur l’ensemble des distributeurs responsables de la déforestation se fait chaque jour plus forte. Cette pression est d’autant plus importante que l’enjeu est immense sur la déforestation en Amérique du Sud.