Après un suspense de longue haleine, le gagnant est enfin connu dans le dossier du rachat de SFR, filiale de Vivendi. C'est l'offre de Numericable qui a fini par l'emporter, après moult rebondissements. Le dossier est clos aurait-on tendance à penser. Que nenni ! Après un premier passage par l'Autorité de la concurrence qui voulait s'assurer du maintien du marché à 4 acteurs, le dossier y retourne pour quelques mois encore. C'est en tout cas ce qu'a déclaré publiquement Bruno Lasserre, président de l'organisme de régulation, oubliant au passage ses règles déontologiques élémentaires. Il ne faudrait cependant pas que cette histoire s'éternise. Des milliers d'emplois sont en jeu.
Pour quelle raison ce dossier revient-il sur le bureau de Bruno Lasserre ? Quand deux entreprises réalisant plus des deux tiers de leur chiffre d'affaires en France fusionnent, l'autorité de la concurrence est tenue de donner son accord à l'opération. Et ça promet d'être long. « Si une enquête approfondie est lancée, cela pourra prendre autour de neuf mois d'instruction contradictoire avant d'arriver à la décision finale », avait fait savoir Bruno Lasserre, président de la structure, dans un entretien accordé au Figaro et publié le 8 mars 2014.
Il a confirmé cette déclaration le 16 avril 2014 : « Je vous le confirme : nous ferons un examen approfondi, le dossier sera soumis au collège à l'issue d'une procédure contradictoire qui permettra aux parties de réagir au diagnostic concurrentiel qui sera porté par l'Autorité (...) Nous consulterons aussi les régulateurs sectoriels : l'Arcep et le CSA et nous ferons un, deux, voire plusieurs tests de marché si c'est nécessaire ».
Bruno Lasserre a oublié son devoir de discrétion
D'un point de vue strictement juridique, cette intervention publique est contraire à la charte de déontologie et en particulier au paragraphe B relatif au devoir de discrétion dont voici l'extrait : « Il en découle, en particulier, que les membres et les agents de l'Autorité, ainsi que son conseiller auditeur, sont tenus de s'abstenir de toute prise de position publique portant sur des questions ayant fait ou, à leur connaissance, susceptibles de faire l'objet d'une décision ou d'un avis de l'Autorité. »
Ce n'est pas la première fois qu'un haut fonctionnaire outrepasse les prérogatives de ses fonctions dans l'affaire du rachat de SFR. Cette déclaration de Bruno Lasserre résonne avec l'intervention d'Arnaud Montebourg qui s'était prononcé début mars en faveur de Bouygues, alors que l'autorité de la concurrence n'avait encore rien tranché et que personne ne lui demandait son avis, et encore moins la loi.
Quand l'esprit de cour déroge à la lettre des lois
C'est également écrit noir sur blanc dans le Code du commerce. Les règles du contrôle de concentrations « relevant auparavant de la compétence du ministre, le contrôle des opérations de concentration a été transféré par la loi de modernisation de l'économie (LME) du 4 août 2008 à l'Autorité de la concurrence (...). À titre exceptionnel, le ministre de l'Économie peut cependant, une fois la décision de l'Autorité rendue, évoquer une opération présentant un caractère stratégique pour le pays, au nom de considérations d'intérêt général autres que la concurrence ». Or la décision de l'autorité de la concurrence n'a été rendue que le 28 mars, bien après les prises de position du ministre.
C'est que les pressions de Bouygues ont été fortes. Ce qui a pour le moins irrité Henri Lachmann, membre du conseil de surveillance de Vivendi, qui s'est exprimé à ce sujet mercredi 16 avril 2014. Il a dénoncé les « pressions spectaculaires et choquantes » exercées par Bouygues sur Vivendi et les pouvoirs publics. « Ce dossier, poursuit-il, est l'illustration de l'ostracisme dont est capable l'establishment français quand on n'est pas des leurs. », a-t-il même ajouté pour expliquer les prises de positions du Gouvernement en faveur de Bouygues.
Une inertie qui ne ferait pas l'affaire de l'économie nationale
D'un point de vue économique, on pourra s'étonner du flou de cette estimation alors que le dossier est brûlant et que son déploiement concerne des milliers d'emplois. Et il ne s'agit pas seulement de Numericable et de SFR, mais de l'ensemble du marché des télécoms, dont la configuration promet d'être modifiée par cette opération.
6 à 9 mois ? 1, 2 ou plusieurs tests de marché ? Pourquoi est-ce si long alors que l'autorité de la concurrence a déjà eu en main le dossier ? Du point de vue de la fusion même des deux structures, cette incertitude pose problème. L'inertie inhérente à l'attente d'une décision réglementaire est défavorable à une mise en place rapide des remaniements organisationnels.
« Nous maintiendrons tous les emplois pendant 36 mois et nous en créerons de nouveaux », avait déclaré Patrick Drahi. Il s'était également engagé « à ne pas licencier, à conserver 8500 emplois chez SFR et 2400 chez Numericable, et même à recruter des commerciaux pour le marché des entreprises ». Une bonne nouvelle pour les salariés, à condition bien sûr de ne pas se voir mettre des bâtons dans les roues. Mieux vaut battre le fer pendant qu'il est chaud. Il en va du recul du chômage, alors même que Pôle Emploi estimait que le mois de février comptait 31 500 demandeurs d'emploi supplémentaires.
Le rachat de SFR par Numericable, complémentaire dans le mobile et l'Internet fixe, devrait en outre exercer une pression nouvelle sur le marché déjà concurrentiel des télécoms (aussi bien sur le marché grand public que sur le marché des entreprises) et pousser les acteurs du secteur à investir dans des infrastructures et des technologies encore plus performantes, ce qui bénéficierait aussi bien aux consommateurs qu'à l'économie nationale.
Mais encore une fois, plus tôt l'autorité de la concurrence rendra son verdict, plus tôt l'opération de fusion pourra stimuler le marché et booster ce pan de l'économie. Au regard de la situation de la France, le délai estimé pour le moment est déraisonnable et il faudrait voir à se presser un peu.