Le nouveau gouvernement britannique joue le tout pour le tout

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Par Stéphane Monier Publié le 28 septembre 2022 à 5h13
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@shutter - © Economie Matin
5%Le plafonnement des prix de l'énergie équivaut à 4 ou 5% du PIB du Royaume-Uni.

Le nouveau gouvernement britannique émerge de dix jours de deuil national avec un plafonnement des prix de l'énergie et des réductions d'impôts destinées à relancer l'économie. Financé par des emprunts d'État, son programme de dépenses réduit l'incertitude à court terme concernant l'inflation en protégeant les consommateurs et les entreprises des pires effets du choc énergétique. À ce stade, il est difficile d'imaginer que ces dépenses ouvrent une voie durable vers la croissance économique.

Face à l'aggravation de la crise énergétique, l'administration de la Première ministre Liz Truss, en poste depuis le 6 septembre 2022, veut relancer une croissance britannique en berne et améliorer la productivité. Concrètement, le gouvernement prévoit de geler les factures d'énergie pendant deux ans à partir du 1er octobre 2022 à un montant moyen de 2.500 GBP par ménage et par an, et de plafonner les prix pour les entreprises pour une durée de six mois. Ce programme sera financé par des emprunts publics et offrira une compensation aux fournisseurs d'énergie pour la différence avec les prix du marché. Si le plafonnement représente plus du double de la facture énergétique moyenne des ménages depuis 2018, il équivaut au seuil attendu de 3.549 GBP fixé par le régulateur du secteur de l'énergie et qui aurait encore augmenté en 2023.

Le gouvernement affirme que les réductions d'impôts et les dépenses énergétiques seront naturellement compensées par une augmentation de la croissance. Selon le Trésor, une augmentation de 1% du produit intérieur brut équivaudrait à 47 milliards GBP. Nous estimons que ces dépenses ajouteront 4 ou 5 points de pourcentage à la croissance économique, ce qui pourrait suffire à empêcher l'économie britannique de tomber en récession en 2023. En parallèle, l'administration Truss prévoit de supprimer le taux le plus élevé de l'impôt sur le revenu, de réduire l'impôt sur les sociétés, de supprimer le plafonnement des bonus des banquiers, de mettre fin à la « taxe verte » sur les ménages et d'annuler la hausse de l'assurance sociale destinée au service national de santé datant du mois d'avril.

Combien pour manger et se chauffer ?

La crise énergétique n'est qu'un des éléments significatifs d'une crise bien plus vaste du coût de la vie. Le gouvernement a dû agir sur le plan politique pour éviter que les citoyens britanniques n'aient à choisir entre « manger ou se chauffer » à l'arrivée de l'hiver. Les prix des denrées alimentaires ont également bondi alors que le marché du travail subit une pénurie de main d'œuvre, que les salaires augmentent et que le coût des matières premières prend l'ascenseur. Dans le même temps, les importations sont devenues plus chères, la faiblesse de la livre sterling ayant contrebalancé la chute des prix des marchandises importées ces derniers mois.

Le coût de cette politique n'est pas encore connu, en partie parce qu'il dépend de l'évolution des prix du gaz naturel. En outre, contrairement à ce qui s'est passé pour les précédents budgets, le gouvernement a omis de charger le Bureau pour la responsabilité budgétaire de calculer ce coût. En août 2022, le gaz britannique a atteint un record de plus de 600 pence par therm (unité thermique britannique), soit plus de six fois les moyennes historiques, et se négocie actuellement à 294 pence/therm.

L'Institut d'études fiscales (IFS), un organisme de recherche indépendant, estime que ce programme pourrait coûter plus de 60 milliards GBP sur douze mois et un total de quelque 100 milliards GBP si l'on y inclut le programme de six mois pour les entreprises sur la base de la consommation d'énergie de 2019. D'autres estimations évaluent ce coût à 150 milliards GBP, avec des réductions d'impôts qui pourraient coûter jusqu'à 50 milliards GBP supplémentaires.

L'IFS souligne également que les prix élevés du gaz durant ces deux prochaines années signifient non seulement un coût plus élevé pour le gouvernement, mais elles augmentent la probabilité d'une prolongation de ce soutien. Le gouvernement n'a pas détaillé ce qu'il compte faire une fois que les programmes de deux ans et de six mois auront expiré.

Signaux de prix et politique monétaire

La politique doit également trouver un équilibre entre amortir le choc des prix de l'énergie et absorber l'effet de stimulation de l'inflation en remplissant le porte-monnaie des consommateurs. En protégeant les consommateurs, ce train de mesures affaiblit l'impact des prix du marché de l'énergie sur la consommation de gaz, ce qui va à l'encontre de la nécessité à long terme de réduire cette consommation et pourrait aboutir à une forme de rationnement.

L'emprunt planifié par l'État accroît donc, pour la Banque d'Angleterre (BoE), le défi consistant à ralentir l'économie à l'aide de hausses de taux d'intérêt. La semaine dernière, la banque centrale a réagi en augmentant le taux directeur du Royaume-Uni de 50 points de base pour le porter à 2,25%, sa septième hausse consécutive depuis décembre 2021. La BoE a également indiqué qu'elle commencerait à vendre des obligations le 3 octobre afin de réduire son stock de gilts d'un montant de 80 milliards GBP au cours des 12 mois à venir, pour atteindre 758 milliards GBP. Le rendement des gilts à 10 ans (obligations d'État britanniques) a progressé à mesure que les taux d'intérêt ont augmenté en 2022, atteignant 3,83%, leur plus haut niveau depuis 2008.

Si les dépenses financées par l'emprunt plutôt que par une augmentation des recettes fiscales est le modèle prévu par l'administration Truss, la BoE devra encore augmenter ses taux, à la fois plus haut et plus rapidement, dans un environnement d'inflation historiquement élevée. Et si la croissance économique espérée par le gouvernement ne se matérialise pas, il devra réduire ses dépenses. D'un point de vue humain et politique, il est aisé pour un gouvernement de justifier une réduction des prix de l'énergie pour les consommateurs et les entreprises. Cependant, une réduction des impôts dans une économie en surchauffe avec des niveaux d'emploi record semble plus discutable.

Aucun autre État européen n'a offert une telle garantie à durée indéterminée sur les prix du gaz, ni de réductions d'impôts. En octobre, l'UE débattra des prix de l'énergie, ainsi que des subventions accordées aux ménages à faibles revenus. Pour le moment, les gouvernements européens semblent privilégier des subventions plus progressives et ciblées, axées sur la baisse de la consommation et financées par des impôts exceptionnels sur les bénéfices des entreprises du secteur de l'énergie.

Crédibilité budgétaire

On a fait grand cas du risque que représentent ces dépenses du gouvernement pour la santé budgétaire du Royaume-Uni. Nous pensons que la logique du plafonnement des prix de l'énergie est justifiable. Toutefois, couplée à des réductions d'impôts, cette politique fiscale a reçu un accueil peu enthousiaste de la part des investisseurs. Avant la pandémie, de telles dépenses auraient probablement été impensables. Il convient de rappeler que le plafonnement des prix de l'énergie équivaut à 4 ou 5% du PIB du Royaume-Uni, ce qui est bien inférieur au coût total des mesures prises par le pays lors de la pandémie, qui représentaient entre 15 et 20% du PIB.

Les réductions d'impôts annoncées la semaine dernière totalisent 0,5% du PIB et le gouvernement a déclaré qu'il pourrait annoncer d'autres mesures avant le budget annuel, prévu pour novembre 2022.

Soulignons que gouvernement ne peut pas emprunter aujourd'hui aux mêmes coûts que pendant la pandémie, lorsque les taux d'intérêt étaient à leur plus bas niveau depuis plusieurs décennies. Ces dépenses augmentent les emprunts contractés par le secteur public britannique. Le Bureau de gestion de la dette du Royaume-Uni a calculé la semaine dernière que le pays devra emprunter 72,4 milliards GBP supplémentaires, pour un total de 234,1 milliards GBP en 2022.

Les investisseurs ont réagi rapidement à ce budget. À la fin de la semaine dernière, l'indice FTSE 100, qui a surperformé les actions mondiales en monnaie locale en 2022, a reculé de 2%, à l'instar des autres indices européens. Plus révélateur encore, le rendement des gilts à 10 ans a grimpé de 50 points de base et la livre a chuté à 1,04 USD, son niveau le plus bas par rapport à la devise américaine depuis au moins cinq décennies. Le taux de change EUR/GBP s'est élevé à 0,90, au-dessus de la fourchette de 0,83 à 0,87 observée durant la majeure partie de 2022. Alors que nous maintenions une certaine prudence vis-à-vis de la livre sterling en raison de l'important déficit de la balance courante, les marchés ont réagi avec nervosité aux plans du gouvernement pour financer le déficit. La devise devrait rester volatile, avec une fourchette de 0,87-0,95 pour l'EUR/GBP. Dans un contexte de renforcement généralisé du dollar américain, la livre sterling pourrait faire l'expérience de la parité.

Le Royaume-Uni étant particulièrement dépendant des flux de financement à revenu fixe, des mesures pour améliorer la crédibilité budgétaire, ou une accélération du rythme de resserrement de la politique monétaire de la BoE lors de sa réunion du 3 novembre, seraient nécessaires pour stabiliser les marchés.

En décembre 2020, nous avons initié une surpondération des actions britanniques afin d'augmenter notre exposition aux titres de style valeur. Compte tenu des vents contraires macroéconomiques auxquels l'économie britannique fait face, nous avons pris des bénéfices il y a deux semaines et les avons réinvestis en augmentant notre exposition aux actions suisses.

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Stéphane Monier est Chief investment officer chez Lombard Odier.

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